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nation espagnole, depuis la Californie jusqu'au détroit de Magellan, et que ce serait un motif pour que la France obtînt de pareilles places de commerce.

Le conseil du roi sentait qu'il était aussi dangereux d'accorder que de refuser de pareils avantages, dont la concession ruinait le commerce des autres nations, et dont le refus rompait toute négociation; car la cour de Londres exigeait une réponse catégorique.

La cour de Versailles, pour sortir de ce double embarras, imagina de transporter le siége de la négociation à Londres, et elle nomma pour son plénipotentiaire, le sieur Ménager.

Nicolas Ménager était né à Rouen en 1658, d'une famille considérée dans le commerce. Les connaissances spéculatives et pratiques qu'il acquit dans cette partie, l'avaient fait choisir par les négocians de Rouen pour leur député à Paris, et la manière dont il s'y conduisit, le fit juger propre à suivre la négociation qu'on entamait avec la cour de Londres, laquelle avait pour base un traité de commerce, ainsi que des concessions dans les colonies espagnoles.

Ménager arriva à Londres le 18 d'août, accompagné du sieur Prior et de l'abbé Gautier (1),

(1) Il paraît que les services de l'abbé Gautier se terminèrent du moment que la négociation devint publique.

et ouvrit immédiatement des négociations avec les deux secrétaires d'état d'Angleterre, dont l'un était le fameux lord Bolingbrocke. Ceux-ci s'attachèrent d'abord à obtenir des avantages pour les alliés de la Grande-Bretagne, les étatsgénéraux et le duc de Savoie, tandis que la cour de Versailles recommandait non moins vivement ceux de ses alliés, et ceux en particulier, de l'électeur de Bavière.

Dans les conférences qui suivirent, il ne fut plus question que des intérêts de l'Angleterre qui exigeait impérativement la démolition des nouveaux ouvrages construits à Dunkerque.

Ménager ayant refusé d'une manière absolue, la cession des places sur les côtes occidentales de l'Amérique; les ministres anglais demandèrent alors un privilége exclusif de trente années, pour la traite des nègres dans les colonies espagnoles, et que la nation anglaise fût la plus favorisée dans les ports d'Espagne.

Le roi le récompensa par deux abbayes. Il mourut à SaintGermain-en-Laye en septembre 1720. « On doit à sa mé» moire, dit M. de Torci, la justice de louer sa sagesse, » sa discrétion, et les bons avis qu'il donna dans le cours » de la négociation, sans abuser de la confiance des minis> tres d'Angleterre. » L'abbé Gautier ne saurait donc être confondu avec ces agens secrets, qui croient servir leur gouvernement par de faux rapports et des intrigues sans honneur, comme sans objet.

Ménager promit que sa cour seconderait à cet égard les désirs de la nation anglaise. Mais la pêche de la morue au banc de Terre-Neuve, que les ministres anglais voulaient absolument interdire à la France, obscurcit pour quelques instans la bonne intelligence existante entre les négociateurs.

Ménager déclara que le roi recommencerait plutôt la guerre que, de céder sur un point si important. Il fit voir que l'Angleterre n'avait qu'un médiocre intérêt à s'opposer à cette jouissance, puisqu'elle possédait trois fois plus d'étendue de mer et de terrain, qu'il n'en fallait pour pêcher et pour sécher. Les ministres se prètèrent avec peine, à laisser aux Français la faculté de pêcher et de sécher les morues sur la côte de Terre-Neuve. Enfin, les deux secrétaires d'état signèrent le 8 d'octobre, par ordre de la reine, trois actes avec le sieur Ménager. Le premier contenait les demandes de l'Angleterre et les réponses du roi; le second regardait le duc de Savoie; le troisième comprenait les articles proposés par la France pour arriver à la paix générale. Ces trois actes servirent de base et d'acheminement à la paix.

Le sieur Ménager fut admis incontinent à une audience secrète de la reine, qui lui dit; « Je n'aime point la guerre, et je contribuerai >> de tout mon pouvoir à la terminer au plutôt. >>

Le trésorier, comte d'Oxford, tendant la main à M. Ménager, lui dit : « Ex duabus igitur gentibus, faciamus unam gentem amicissimam. » («< Que nos deux nations si long-temps rivales, se >> confondent enfin en un peuple d'amis. »)

Lord Bolingbrocke s'exprima à son tour, visà-vis de M. Ménager de la manière suivante : « Vous êtes témoins du désir que nous avons » de la paix. Faites-en le rapport fidèle à votre » cour, lorsque vous y retournerez; mais ob>> servez que nous ne pouvons nous départir des » bienséances à l'égard de nos alliés. Nous en >> remplissons une, en faisant partir en même. >> temps que Stafford, le comte de Rivers, pour >> assurer expressément le duc de Hanovre, que >> nous voulons maintenir la succession dans la ligne protestante.

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>> Nous ne pouvons aussi nous dispenser de » faire en sorte, que la Hollande et que l'Empire » obtiennent une barrière sûre et raisonnable, » telle que le roi a bien voulu la promettre, etc.. Quant à la France, il est nécessaire qu'elle! » soit à la fois ferme et facile; ferme pour tenir » tête aux Hollandais, s'ils contestent les avan> tages promis à l'Angleterre ; et facile sur cer>> tains articles qu'il convient d'accorder à la >> paix.

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M. Ménager s'étant récrié sur cette facilité désirée, persuadé que les Hollandais en abu

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Evénemens

de la guerre

cession.

seraient comme ils avaient déjà fait tant de fois. « Ils sont avertis, répondit Bolingbrocke; nous » leur avons déclaré et répété, qu'après les dé>> penses excessives que l'Angleterre a faites, » elle se croit en droit de former et de fixer leur

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prétendue barrière; il n'est pas de notre in» térêt qu'elle soit ni si étendue, ni si forte. >> Enfin, éloignons et supprimons tout détour » ordinairement attaché aux négociations. Al»lons au but. Il est question de faire la paix, » et de la faire promptement. »>

Tel était le langage de Bolingbrocke, et il le soutint par une franchise et une loyauté parfaites, dans tous les rapports qu'il eut avec la France.

Les succès de sa nation ne l'aveuglaient pas, et ne le portaient point à vouloir l'entière humiliation de la France, qui, du reste, avait payé cher l'orgueil de ses anciens triomphes, ainsi qu'on peut en juger par l'exposé suivant, lequel indiquera en même temps, quelle pouvait être la mesure des prétentions réciproques.

La guerre, au sujet de la succession d'Espagne, pour la suc- avait été vive et marquée par une alternative de succès et de revers; mais ceux-ci avaient été plus désastreux que les succès n'avaient été éclatans.

En 1702, le duc de Vendôme avait contraint le prince Eugène à lever le siége de Mantoue,

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