Page images
PDF
EPUB

lettre du traité d'Utrecht, qui, en stipulant le comblement du port de Dunkerque, n'avait pas interdit formellement la confection d'un nouveau port. En effet, quand les conditions sont sévères, il semble qu'on peut prendre les mots à la lettre. Les plénipotentiaires anglais, à la clause spéciale du comblement du port de Dunkerque, auraient dû joindre une clause générale prohibitive d'ouvrages de ce genre (í).

Toutefois le ministre plénipotentiaire d'Angleterre, Prior, présenta le 23 d'octobre 1714, à la cour de Versailles, une note dans laquelle il disait : «< Sa majesté britannique a été très sur» prise d'apprendre que, nonobstant les ins>> tances et représentations qui ont été faites de » la part de la Grande-Bretagne, pour presser » l'exécution de l'art. IX du traité d'Utrecht, re»lativement à Dunkerque; ce port est si peu » comblé, qu'il pouvait monter encore aujour» d'hui par le vieux canal, jusqu'au cornichon de » la ville, d'aussi gros vaisseaux que par le passé.

(1) D'autres diront peut-être avec autant de fondement, qu'une stipulation dont l'intention est non-seulement positive, mais a été énoncée dans le cours des négociations d'une manièrè claire, ne peut être éludée à l'aide d'une interprétation du texte; et que le motif de la démolition du port de Dunkerque étant fondé sur le danger de cet établissement au centre de la Manche, le port de Mardick ne pouvait lui être substitué, que par une subtilité indigne d'un grand roi.

>> Tant que le susdit canal subsistera, on ne » pourra nier qu'il ne reste à Dunkerque, un » port de mille toises de long, et par conséquent,

[ocr errors]

capable de contenir plusieurs centaines de >> vaisseaux. Les paroles du traité portent : por» tus compleatur, aggeres seu moles diruantur; » que le port soit comblé, que les digues du >> canal soient détruites. »

>>

Prior observait encore, « que la surprise du roi, son maître, avait été bien plus grande, » en apprenant que, nonobstant le susdit article qui porte expressément : Que les fortifications, » le port et les digues de Dunkerque ne pour» ront jamais être rétablis ( Nec dicta munimenta, » portus, moles aut aggeres denuò unquam reficiantur), on travaillait actuellement à faire » un nouveau port beaucoup plus grand que le » vieux canal de la ville de Dunkerque, et qu'on » y avait jeté les fondemens d'une écluse beau» coup plus grande que celle qui servait à nettoyer le vieux port.

[ocr errors]

>>

» On ne saurait s'imaginer que sa majesté » veuille se prévaloir du mot dicta, qui est dáns » ledit article, pour soutenir que, pourvu que » l'on ne rétablisse pas le même vieux canal, » qu'on n'y emploie pas les mêmes matériaux; » qu'on ne relève pas les mêmes bastions ou les » mêmes courtines, il lui soit libre de relever » de nouveaux ouvrages, ou de construire un

D

» nouveau port, meilleur que le vieux: la bonne » foi qui doit régner dans les traités, et qui sera toujours religieusement observée par le roi, » mon maître, n'admet point une pareille sup» position.

Que des vaisseaux puissent aborder à Dun» kerque par le vieux canal, qui était du côté » de l'ouest, Dunkerque sera également incom>> mode et dangereux au commerce de la Grande>> Bretagne, »

Le sieur Prior concluait, en demandant que sa majesté très chrétienne voulût bien ordonner que l'on comblât le susdit canal.

La réponse de Louis xiv, en date du 2 de novembre 1714, fut que, « conformément à l'ar>>ticle IX du traité de paix, conclu à Utrecht, » le port de Dunkerque entre la ville et la cita» delle était entièrement comblé ; et qu'on ne » cessait même d'y transporter encore des terres » qui provenaient du rasement des cavaliers de » la citadelle.

Que les termes portus compleatur, ne pou» vaient jamais s'appliquer au vieux canal, » très différent du port, et que certainement le >> roi ne se serait pas engagé à combler entière>>ment un canal de mille toises de long; ou>> vrage immense, et auquel il serait impossible » de travailler en d'autres temps qu'en marée » basse; ce qui serait d'ailleurs inutile, car en

» peu de temps, la mer emporterait le reste des >> digues qui avaient été construites. »

Enfin la réponse du roi portait : « que le ca» nal creusé à Mardick, n'avait d'autre destina>>tion que de recevoir les eaux de quatre ca>>naux inférieurs qui s'écoulaient autrefois par » les écluses de Dunkerque; que du reste, sa » majesté très chrétienne n'avait point eu l'in» tention de faire un nouveau port à Mardick, »ni d'y construire une place, et qu'elle ne vou» lait que sauver un pays qui serait submergé, » si les eaux n'avaient pas un écoulement vers >> la mer. >>

Cette réponse ne satisfit point la cour de Londres. Le sieur Prior ayant été rappelé, il fut remplacé par Jean d'Alrymple, comte de Stairs (1), lequel arriva à Paris, au commencement de février 1715, avec ordre de ne prendre ni audience ni caractère, avant que l'affaire fût réglée à la satisfaction du roi et de la nation anglaise.

Le comte de Stairs eut, à son arrivée, plusieurs conférences avec M. de Torci, et les mêmes raisons furent reproduites de part et d'autre, quoiqu'avec aussi peu de succès. La

(1) Le comte de Stairs, né à Édimbourg en 1673, avait été en 1709, ambassadeur près d'Auguste, roi de Pologne. Il mourut le 7 de mai 1747, âgé de soixante-quatorze ans.

1714. Ambassade

Louis XIV.

cour de Londres ordonna au comte de Stairs de continuer ses instances; mais si cet ambassadeur s'efforçait de démontrer que le port de Mardick remplaçait avantageusement celui de Dunkerque, la cour de France insistait toujours sur la nécessité de vider les eaux du pays, et sur ce que Mardick n'était point Dunkerque.

M. de Stairs, pour terminer cette discussion, dans laquelle, de part et d'autre, on mettait beaucoup de subtilité, indiqua les moyens de pourvoir d'une autre manière à l'inconvénient supposé, et d'exécuter sans réserve le neuvième article du traité d'Utrecht. Louis XIV, par esprit de paix, se détermina tout à coup à faire suspendre les travaux de Mardick, et les ouvrages commencés furent bientôt après, démolis sous la régence.

Le consul de France à Alep, Michel, avait du sophi à conclu, il y avait quelques années, à Ispahan, un traité avec le gouvernement persan, lequel contenait des priviléges en faveur des négocians et des missionnaires français.

Les Arméniens, qui font le principal commerce de la Perse, s'élevèrent contre ces priviléges, et maltraitèrent les négocians français, ainsi que les missionnaires, accusant ceux-ci d'entraîner leurs femmes et leurs enfans à changer de religion. Les Arméniens appuyés à la cour, obtinrent du sophi l'annulation des prin

« PreviousContinue »