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1719. Manifeste

ment, d'aller à la cour; et ce ne fut que lors de la découverte de la conspiration de Cellamare, qu'il se rapprocha du duc d'Orléans.

Cet ambassadeur était d'une fierté qui dégénérait quelquefois en arrogance, même envers Louis xiv, et le ministre Torci (1); confondant ainsi la hauteur et la dignité. Néanmoins il savait, dans l'occasion, cacher ce caractère altier sous des formes insinuantes, et on lui pardonnait quelques écarts en faveur de ses talens et du zèle pour la cause de son maître. Il acquit l'amitié du duc d'Orléans, et unit intimement. les cours de Londres et de Versailles.

La conduite de la cour d'Espagne, à l'égard de la France du duc d'Orléans, devait amener la guerre. Le contre l'Es- 8 de janvier 1719, il parut un manifeste (2).

pagne.

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dans lequel on résumait les divers refus faits par l'Espagne, d'accepter les propositions de paix entre elle et l'empereur, sous prétexte que ces

(1) On trouve dans quelques ouvrages, que M. de Torci menaça M. de Stairs de le faire jeter par les fenêtres. Ce propos n'est pas assez avéré pour être cité avec confiance; il n'est point d'ailleurs dans le caractère doux et timide de M. de Torci, qui savait que quand un ambassadeur, par abus de son privilége, s'oublie envers le souverain ou son ministre, on demande son rappel, ou l'on déclare qu'on ne le reconnaît plus pour ambassadeur.

(2) Ce manifeste fut attribué à Fontenelle, ami de l'abbé Dubois; il sent la touche fine et modérée de cet écrivain,

propositions détruiraient l'équilibre de l'Italie :

<< Comme si, disait le manifeste, le désir d'un

>>

D

équilibre plus parfait, méritait qu'on replon

geât les peuples dans les horreurs d'une guerre >> dont ils ont tant de peine à se remettre : » comme si l'établissement d'un prince de la mai» son d'Espagne, au milieu des états d'Italie ; >> les bornes que l'empereur s'est prescrites par » le traité de la quadruple alliance; la garantie » de tant de puissances; l'intérêt invariable de » la France, de l'Espagne et de la Grande-Bre» tagne, soutenu de leurs forces maritimes; tant » de sûretés enfin, laissaient regretter un autre >> équilibre. >>

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On reprochait au ministre espagnol « de ne » s'être rendu inaccessible à tout projet de paix, » que parce qu'il eût vu par-là, déjouer le com» plot qu'il avait formé de soulever la France » contre la France, d'y ménager des rebelles » dans tous les ordres de l'état, de souffler la » guerre civile dans le sein de nos provinces, et » d'être enfin, pour nous, le fléau du ciel, en » faisant éclater ces projets séditieux, et faire jouer cette mine qui devait, selon les termes » de la lettre de l'ambassadeur, servir de prélude » à l'incendie, en récompense des trésors que >> la France avait prodigués, et du sang qu'elle » avait répandu pour l'Espagne.

>>

La cour de Versailles publia, le lendemain de

la publication du manifeste, une déclaration de guerre contre l'Espagne, dans laquelle elle disait

que cette puissance, en violant les traités d'U»trecht et de Bade, avait détruit, en un mó»ment, toutes les espérances de paix, et fait >> craindre le retour d'une guerre aussi sanglante » et aussi opiniâtre que que celle que ces mêmes trai» tés avaient terminée; que sa majesté très chré» tienne n'avait rien négligé pour arrêter le feu » que l'Espagne allumait; et que, de concert » avec le roi de la Grande-Bretagne, elle avait >> employé tous ses bons offices pour ménager >> entre l'empereur et le roi d'Espagne, un accom» modement aussi avantageux qu'honorable au » roi catholique.... mais que, comme on ne » pouvoit s'assurer que le ministre du roi d'Es>> pagne modérât l'ambition de ses projets, et qu'il n'était pas juste que le repos de l'Europe » fût troublé après tant de nombreux efforts de >> S. M. T. C. et du roi de la Grande-Bretagne » pour la paix, la cour de Versailles se voyait >> contrainte, par le traité de la quadruple al>>liance, de déclarer la guerre au roi d'Espagne; » mais en le conjurant de ne pas refuser la paix à >> un peuple qui l'avait élevé dans son sein, et qui » avait si généreusement prodigué son sang et » ses biens pour le maintenir sur le trône, comme » il l'avouait lui-même dans sa déclaration du de novembre dernier, etc. »

»

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La cour de Madrid avait tort de réclamer encore contre l'indivisibilité de la monarchie espagnole, pour colorer l'attaque de la Sicile et de la Sardaigne. Aucun état n'est indivisible de sa nature. Si ce principe était admis, il serait propre à tous, et aucun d'eux ne pourrait faire des acquisitions même pour une cause juste, aux dépens d'un autre les états ne se sont accrus que par les armes et les traités. Le sort des armes, dans la guerre de la succession, avait été défa- vorable à l'Espagne, et des traités avaient sanctionné ses pertes. C'était donc sans fondement, qu'elle venait leur opposer des raisonnemens abstraits et faciles à réfuter. L'Espagne avait un tort particulier envers la France, c'était d'avoir cherché à y faire une révolution éversive du pouvoir du régent, lequel était légitime sous tous les rapports.

Le manifeste de la France fut bientôt suivi de la formation d'une armée qui, sous les ordres du maréchal de Berwick, se porta, en 1719, sur les frontières d'Espagne, et prit la même année toute la province de Guipuscoa, le port du Passage, Fontarabie, Saint-Sébastien, la ville de Tolosa et celle d'Urgel en Catalogne, tandis que les Anglais faisaient la conquête du port de Vigo en Galice. Le roi d'Espagne qui semblait n'être venu sur la frontière, que pour voir ces revers, trompé dans l'espoir qu'il avait fondé sur la

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défection des troupes françaises, proposa une trève qui fut acceptée. Pressé par les états généraux d'accéder à la quadruple alliance, il s'y résolut ; et son ministre, le marquis de BerettiLandi, en signa l'acte, le 17 de février 1720, avec le comte de Windisgratz, ministre de l'empereur, avec le comte de Morville, ambassadeur de France, et avec le comte de Cadogan, ministre plénipotentiaire d'Angleterre. Cette accession si vivement exigée, fut l'équivalent de la paix, et il n'y eut point de traité formel entre la France et l'Espagne.

Avant que l'acte d'accession fût terminé, Philippe v avait congédié le cardinal Alberoni, sur la demande des cours de Londres et de Versailles. Celles-ci avaient envoyé le maréchal de Tessé en Espagne, pour cet objet (1). L'abbé Dubois mit beaucoup d'activité à faire disgracier le cardinal Alberoni, quoique l'identité de leur fortune singulière eût dû amortir leur animosité. Mais on a remarqué que les hommes parvenus étaient plus haineux et plus jaloux les uns des autres, les hommes nés dans des conditions élevées. La postérité verra Alberoni sous deux faces opposées, ainsi qu'il arrive souvent aux hommes

que

(1) Le maréchal de Tessé revint de Madrid, le 7 de mars 1720, rendit compte à la cour de sa mission, se retira dans sa maison des Camaldules de Grosbois, et y mourut le 30 de mai 1720, âgé de soixante-dix ans.

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