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DES

PONTS ET CHAUSSÉES.

LOIS, DÉCRETS, ARRÉTÉS ET AUTRES ACTES

CONCERNANT

L'ADMINISTRATION DES PONTS ET CHAUSSÉES.

(N° 1818)

[3 juin 1858.]

Cours d'eau non navigables; redressement; rétablissement d'un lit abandonné; question de propriété et d'indemnité; conflit. (Mocker c. le syndicat de la Veyle.) 'Les travaux ayant pour but de ramener les eaux d'une rivière non navigable dans le tit qu'elles ont depuis longtemps cessé d'occuper constituent un redressement et non un simple curage de la rivière. Si, à cette occasion, un riverain réclame une indemnité comme propriétaire des terrains formant l'ancien lit abandonné par les eaux, et si l'administration soutient que l'ancien lit n'était pas susceptible d'une possession privée, il appartient à l'autorité judiciaire de statuer sur cette question de propriété (*).

Le tribunal de Bourg a rendu, le 23 février 1858, un jugement ainsi conçu : « Attendu, en fait, que Mocker articule avec toute présomption de vérité que le syndicat de la Veyle, chargé d'opérer le curage de cette rivière à vieux fonds et à vieux bords, lui a tracé et ouvert un nouveau lit dans tout le par

() Voir l'arrêt du 1er février 1855, Tacherat, 3° série, V, 284.

Annales des P. et Ch. Lois, DÉCRETS.

TOME IX.

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cours de sa propriété sur la longueur d'un kilomètre environ, ce qui l'a dépouillé en partie d'un pré de grande valeur lui appartenant;

>> Que s'il a traduit en justice les membres du syndicat, ce n'est ni pour s'opposer à un fait accompli, ni pour revendiquer le terrain dont il a été ainsi dépossédé, qui est maintenant occupé par les eaux, mais uniquement pour faire reconnaître son droit antérieur de propriété sur ledit terrain, et par suite se faire adjuger la juste indemnité que comporte une pareille dépossession; > Que c'est dans cet état du litige qu'est intervenu le déclinatoire qu'il s'agit d'apprécier;

» Attendu, en droit et en principe général, que toutes les questions de propriété et de dommages permanents sont de la compétence exclusive des tribunaux civils, sauf les matières attribuées à des juridictions exceptionnelles par des lois spéciales qui, comme toutes les exceptions, doivent être renfermées dans leurs limites;

>> Attendu qu'aucun des textes législatifs cités et invoqués à l'appui du déclinatoire ne déroge à cette règle fondamentale sur la division des pouvoirs ;

» Qu'en effet les lois des 22 décembre 1789 et 20 août 1790, en chargeant les administrations départementales d'assurer le libre écoulement des eaux, ne leur confèrent que le droit non contesté ici de régler et faire exécuter ce que réclame l'intérêt général à cet égard, mais sans rien statuer sur la compétence, quant aux questions de propriété qui pourraient en naître et qui restent ainsi dans le droit commun;

>> Que si la loi du 14 floréal an XI saisit les conseils de préfecture de toutes contestations relatives à la confection des travaux de curage de rivières, elle n'a entendu s'appliquer qu'aux oppositions et aux réclamations soulevées par les riverains sur le mode d'exécution desdits travaux pour les dommages accidentels ou temporaires qui pourraient en résulter, mais nullement aux litiges relatifs à la propriété même du sol ou des rives, toujours réservés au domaine judiciaire;

» Que si l'interprétation de cette loi avait pu prêter à quelques doutes sur l'extension de ses termes, ils auraient été levés par toutes les lois postérieures, notamment par celles des 8 mars 1810, 7 juillet 1833 et 3 mai 1841, toutes concordantes pour soumettre à la compétence des tribunaux ordinaires tous les conflits de propriété et d'expropriation surgissant de l'exécution des travaux publics, ce qui est du reste consacré par de nombreux monuments de la jurisprudence civile et administrative;

» Attendu, dans l'espèce, qu'il ne s'agit nullement de juger ou d'apprécier les décisions et les actes de l'administration, ni par exemple de porter la noindre atteinte au dispositif de l'arrêté préfectoral du 28 février 1856, qui a prescrit le rétablissement de l'ancien lit de la Veyle sur la propriété Mocker, et qui a été suivi d'une exécution d'office devant laquelle s'incline le propriétaire;

⚫ Qu'il s'agit en réalité de savoir si l'emplacement sur lequel a été transféré le cours de la rivière existant de temps immémorial sur un autre point, était ou n'était pas, au moment de cette translation, un sol acquis au sieur Mocker par titre, par prescription ou autrement, et par suite s'il pouvait en

être exproprié sans indemnité préalable, ce qui constitue bien au premier chef une de ces questions de propriété déférées à la juridiction civile;

» Que vainement l'arrêté précité aurait considéré la nouvelle assiette donnée à la Veyle comme son ancien lit, alors que d'une part, en le supposant vrai, cet ancien lit pouvait être devenu depuis des siècles une propriété privée, inviolable comme toute autre, alors que d'autre part il ne saurait dépendre de l'administration de résoudre, en la tranchant, une véritable question de propriété et de la soustraire ainsi à ses juges naturels;

» Attendu, dès lors, que l'autorité judiciaire a été compétemment saisie par le demandeur de la connaissance de ses droits à la propriété en litige comme base de ses prétentions à une indemnité;

» Par ces motifs, le tribunal, sans s'arrêter au déclinatoire proposé, qu'il rejette, se déclare compétent et retient la cause, etc. »>

Le 11 mars 1858, le préfet a pris un arrêté de conflit en ces termes :

• Considérant qu'il ne s'agit pas d'un nouveau lit ouvert, mais de l'ancien lit de la rivière qui a été rétabli et curé de nouveau là où se trouvaient des traces évidentes de cet ancien lit, et qui n'avait pu disparaître que par suite des anticipations et voies de fait de M. Mocker ou de ses auteurs;

» Considérant qu'à l'autorité administrative seule il appartient de fixer le point où était l'ancien lit de la Veyle et d'ordonner sa réouverture suivant son ancienne direction et ses anciennes dimensions;

>> Considérant que, par cela même que le sieur Mocker n'a pas déféré au conseil d'état l'arrêté du 28 février, il en a reconnu le bien jugé, et que, dans aucun cas, il ne peut être admis à le déférer incidemment aux tribunaux ordinaires;

>> Considérant que cet arrêté, en prescrivant de rendre à la Veyle son ancien lit, a tranché dans les limites du droit de l'administration toute question de propriété, et établi qu'il y avait reprise d'un terrain appartenant au lit de la rivière et non occupation d'un terrain appartenant au sieur Mocker;

>> Considérant que toute question de propriété étant ainsi définitivement vidée, il ne reste aucune raison d'invoquer les lois des 8 mars 1810, 7 juillet 1833 et 3 mai 1841 relatives à l'expropriation pour cause d'utilité publique;

» Considérant que l'anticipation ou le changement du lit de la rivière, commis par le sieur Mocker ou ses prédécesseurs, est un de ces actes qui, à raison de la nature des lieux et de leur qualité de chose commune ne peuvent ni en conférer la propriété à leurs auteurs, ni permettre à ceux-ci de l'acquérir par prescription;

» Que les terrains dont il s'agit étant frappés, par la nature même des lieux, de l'obligation de recevoir et de laisser écouler les eaux de la vallée, l'administration a pu et dû, en vertu des droits qu'elle tient des lois susvisées des 22 décembre 1789 et 12-20 août 1790, faire cesser une possession abusive et rendre aux terrains litigieux leur destination naturelle, c'est-à-dire rétablir le passage des eaux dans leur direction primitive, sans avoir pour cela fait un acte de possession ou de propriété, qu'exclut naturellement la qualité même du lit de la rivière qui est une chose commune et n'appartenant à per

sonne;

» Qu'on ne saurait prétendre, dès lors, que le syndicat ou l'administration ait pu, dans cette circonstance, faire acte de possession ou de propriété; qu'on conçoit que pour une route, un chemin vicinal, un canal, une rivière navigable, qui sont dans le domaine public, l'administration puisse avoir besoin d'acquérir ou d'exproprier des immeubles pour les incorporer à ces voies de communication, et puisse, à ce titre, être appelée à répondre à une instance civile ayant pour objet la propriété du terrain compris dans le périmètre de ses plans d'opération; mais qu'il ne saurait en être de même quand il s'agit de rétablir un lit de rivière non navigable, lit qui, d'après la jurisprudence la plus générale des cours et tribunaux, est un objet n'appartenant à personne, et par conséquent non susceptible de devenir une propriété publique ou privée;

» Que, même en admettant une autre jurisprudence admise par quelques cours, et qui consiste à regarder les riverains d'un cours d'eau comme propriétaires du lit de ce dernier, on confirmerait encore l'appréciation qui précède; qu'en effet, dans ce système, le sieur Mocker resterait propriétaire du terrain sur lequel l'ancien lit a été rétabli, et qu'il ne pourrait, dès lors, et tout au plus, à raison des dommages qu'il prétend avoir éprouvés, que porter son action devant les tribunaux administratifs, ce qui rentrerait complétement dans les prévisions de la loi du 14 floréal an XI ci-dessus mentionnée;

D Qu'il en serait encore de même si l'on considérait comme un dommage permanent la privation de jouissance pouvant résulter pour le sieur Mocker du rétablissement du lit de la Veyle dans sa direction naturelle, dommage qui, malgré son caractère de permanence, ne saurait être assimilé à un acte d'expropriation, et dont les tribunaux civils ne sauraient, dès lors, s'arroger le droit de prononcer la réparation, celle-ci étant, d'après la jurisprudence récente du conseil d'état, exclusivement réservée aux tribunaux administratifs ; » Considérant, dès lors, qu'en retenant l'appréciation des réclamations relatives à la confection des travaux prescrits par l'arrêté préfectoral du 28 février 1856, le tribunal de Bourg a violé la loi du 14 floréal an XI, qui remet cette appréciation au conseil de préfecture;

» Arrêtons: Le conflit est élevé sur l'instance engagée par le sieur Mocker au sujet des indemnités qu'il prétend lui être dues par suite du rétablissement au travers de sa propriété, de l'ancien lit de la rivière de Veyle.

Napoléon, etc.,

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Vu l'arrêté, en date du 11 mars 1858, par lequel le préfet du département de l'Ain a élevé le conflit d'attribution dans une instance pendante devant le tribunal civil de l'arrondissement de Pourg, entre le sieur Mocker, propriétaire, d'une part, et, d'autre part, le syndicat de la rivière de Veyle;...

Vu l'exploit, en date du 3 décembre 1857, par lequel le sieur Mocker a exposé que l'association syndicale de la Veyle avait fait ouvrir, sur un pré dont il est propriétaire, un lit nouveau à la rivière de Veyle; que le résultat de ce travail avait été de le priver d'une partie notable de sa propriété et de ses irrigations, qui ne pouvaient

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