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gnés se levèrent, et le prélat se sauva par un escalier dérobé.

L'archidiacre, pour se soustraire à la vue de tant de scandale, partit aussitôt pour la terre sainte. Il était à Ptolémaïs quand il reçut la nouvelle qu'il venait d'être élu pape. Il revint en Europe et fut sacré à Viterbe sous le nom de Grégoire X. A peine ce pontife, si distingué par sa piété, eut-il pris possession de son siége, qu'il adressa à Henri de Gueldre une lettre pleine d'onction, dans laquelle il lui reprochait les scandales de sa vie. L'évêque renvoya avec dédain cette lettre au chapitre, disant qu'il trouverait moyen de se venger de ses ennemis. Alors le pape le cita au concile de Lyon. Henri, prévoyant la honte qui l'y attendait, se démit de son évêché. Mais il n'en fut pas moins déposé par le concile en 1274. Il vécut encore douze ans, pendant lesquels il ne cessa de se livrer à tous les genres de brigandage et aux excès les plus déhontés, désolant sa patrie, inquiétant et persécutant ses successeurs. III. LIÉGE JUSQU'A la mort de l'éVÊQUE ADOLPHE DE LA MARCK. f: (1344).

Après la déposition de Henri de Gueldre, la crosse épiscopale fut remise à Jean d'Enghien, évêque de Tournai.

. C'est aux premières années du règne de ce prélat que se rapporte la fameuse guerre de la Vache de Ciney, dont voici l'origine. Un paysan de Jallez, dans la province de Namur, avait volé une vache à un habitant de Ciney, village du Condroz liégeois, et l'avait conduite à Andenne, où le duc de Brabant et les comtes de Namur et de Luxembourg célébraient des joutes et des tournois. Le bailli du Condroz s'y trouvait aussi, et le propriétaire de la vache y vint la réclamer. Le bailli, ayant promis la vie sauve au voleur, obtint de lui l'aveu de son crime, et l'engagea à reconduire la

La chronique inédite de Jehan d'Outremeuse, fournit les plus curieux détails sur Ja déposition de Henri de Gueldre.

vache à l'endroit où il l'avait prise.
Il eut ainsi l'adresse de le faire en-
trer dans le Condroz, où il le fit ar-
rêter et mettre à mort. Jean, sire de
Gosnes, de qui dépendait le village
de Jallez, se vengea de cet acte de
perfidie en portant la dévastation dans
les campagnes de Ciney. Le bailli, par
représailles, incendia Jallez. Jean de
Gosnes appela à son secours ses frères,
les sires de Beaufort et de Fallais, qui
se mirent à ravager le Condroz. Les
gens de Huy ne tardèrent pas à se
mêler de la querelle; ils vinrent, sous
la conduite de leur bailli, brûler le
château de Gosnes, et assiéger ceux de
Beaufort et de Fallais. Le seigneur
de ce dernier manoir, se voyant trop
faible pour résister, en sortit pour al-
ler réclamer le secours de ses alliés ;
mais il fut enveloppé par ceux de Huy,
et tué. Alors son fils se mit sous la pro-
tection du duc de Brabant, auquel il fit
tandis que ses
hommage de sa terre,

deux frères se placèrent sous la suze-
raineté du comte de Namur. Forcés
par le duc de Brabant de lever le siége
de Fallais, les Liégeois se répandirent
dans le Brabant et dans le comté de
Namur et de Luxembourg, où ils
exercèrent les plus affreux ravages.

Cette guerre prit un caractère d'acharnement incroyable. Déjà quinze mille hommes avaient péri, et un nombre prodigieux de villages et de châteaux avaient été réduits en cendres, quand les auteurs de cet incalculable désastre se décidèrent à y mettre un terme. Ils invoquèrent l'arbitrage du roi de France, Philippe le Hardi, qui venait d'épouser Marie, sœur du dục Jean de Brabant. Ce prince accommoda le différend, en décidant que les choses seraient remises dans l'état où elles étaient avant les hostilités; que chacun aurait à supporter les pertes qu'il avait essuyées, et que l'hommage fait par le sire de Fallais au duc de Brabant, et par les seigneurs de Beaufort et dé Gosnes au comte de Namur, serait regardé comme non avenu. Ces conditions furent acceptées, et ces seigneurs rentrèrent sous l'obéissance du prince évêque de Liége.

Mais la paix ne fut pas plutôt rétablie, qu'un nouveau différend s'éleva. Henri de Gueldre réclama une somme considérable qu'il prétendait avoir avancée, pendant son règne, pour les besoins de l'église de Liége. Comme Jean d'Enghien tardait à faire droit à cette demande, l'évêque déposé commença la guerre, et dévastà le territoire de Franchimont. Les Liégeois, de leur côté, se jetèrent dans la Gueldre, et détruisirent le château de Montfort. Après quelques déprédations commises de part et d'autre, les deux partis consentirent à tenir une conférence à Hougaerde, pour examiner la légitimité de la dette. Jean d'Enghien y vint sans défiance et sans armes, le 23 août 1281. Mais, au milieu de la nuit, il fut enlevé par les satellites de Henri de Gueldre, qui le placèrent sur un cheval et l'entraînèrent au grand galop. Comme il était fort gros, et que les mouvements précipités du cheval le secouaient violemment, il fut bientôt épuisé de fatigue, et tomba devant la porte de l'abbaye de Heylissem, où ses ravisseurs l'abandonnerent, et ou il fut trouvé mort le lendemain.

Après une vacance d'une année, le siége fut occupé par Jean de Flandre, évêque de Metz, fils de Gui de Dampierre, comte de Flandre.

Ce prince mourut en 1292, après un règne assez insignifiant, que signala seulement un conflit élevé entre le clergé et les échevins au sujet de l'établissement d'un impôt. Ce différend fat accommodé par le duc de Brabant, et prit dans l'histoire le nom de Paix des Clercs.

Jean de Flandre mort, il y eut de nouvelles querelles pour l'élection d'un prince. Guide Hainaut et Guillaume de Berthaut se disputèrent d'abord le pouvoir. Mais le pape Boniface VIII investit de la dignité épiscopale Hugues de Châlons, de la maison de Bourbon.

Ce fut le 24 août 1296 que Hugues prit possession de la principauté. Son règne commença par une querelle qu'il eut à soutenir contre le duc de Brabant au sujet de la ville de Maestricht,

qui appartenait indivisément à l'église de Liége et au duché de Brabant. Pendant que l'un des concurrents à l'évêché, Gui de Hainaut, était allé à Rome plaider sa cause, le duc s'était emparé de toute la juridiction de Maestricht. Comme il refusait de prêter l'oreille aux réclamations que Hugues de Châlons lui adressa au nom de son église, l'évêque vint mettre le siége devant cette ville. La médiation du comte de Luxembourg put heureusement arrêter cette guerre, et donna lieu à une charte, dans laquelle les deux souverains se partagèrent la juridiction de Maestricht par paroisses; d'où cet adage que la ville a conservé comme règle de son droit public jusqu'en 1794 :

Trajectum neutro domino, sed paret utrique.

Hugues de Châlons fut un ardent protecteur des nobles. Aussi le peuplen'attendait qu'une occasion de faire éclater son mécontentement. Bientôt elle se manifesta lors de la fabrication d'une monnaie nouvelle de bas aloi, que l'évêque fit frapper à Huy. Soit que l'émotion qui en résulta lui eût déplu, soit mauvaise humeur, le prélat quitta Liége et se retira à Huy, après avoir laissé le gouvernement de la principauté à son frère Jean de Châlons, qui fut investi du titre de mambour. Cette dignité fut créée en cette circonstance. Jusqu'alors, à la mort de chaque prince, ou pendant les vacances du siége, le chapitre de la cathédrale avait exercé la puissance suprême. Depuis Hugues, le chapitre convoqua les trois ordres de l'État, à l'effet de choisir celui d'entre les chevaliers liégeois qu'ils croyaient le plus propre a l'éminente charge de mambour, ou de défenseur du pays.

Ce fut sous Hugues de Châlons qu'éclata cette guerre d'Awans et de Waroux, qui couvrit la Hesbaie de tant de ruines. Deux seigneurs, celui d'Awans et celui de Waroux, vivaient en grande inimitié. Un parent du second avait enlevé et épousé une riche serve qui appartenait aux domaines du premier. Celui-ci réclama,

disant que la fille n'avait pu se marier sans qu'il eût donné d'abord son consentement. On ne tint aucun compte de cette réquisition. De là une guerre acharnée entre les deux familles, et tous les seigneurs voisins prirent part pour l'une ou pour l'autre. Le mambour essaya vainement de les amener à une composition. L'évêque, qui, sur ces entrefaites, était revenu à Liége, se déclara pour les Waroux, et, n'ayant pu réussir à faire mettre bas les armes à leurs adversaires, il vint mettre le siége devant le château d'Awans, où le seigneur s'était enfermé avec ses chevaliers. Réduits à se rendre, ils capitulèrent avec le prince, qui les condamna à venir lui demander pardon, à l'église de Saint-Lambert, aux yeux de tout le peuple, pieds nus, en chemise et une selle de cheval sur la tête. Ils se soumirent à cette humiliation. Mais le seigneur d'Awans reprit bientôt après les armes contre les Waroux; il fut tué le 1er juin 1298, léguant toute sa haine aux siens. Cette lutte furibonde ne se termina qu'après trente-huit années de ravages, de siéges et de combats, que vinrent seulement interrompre par intervalles les quarantaines, ou trêves de quarante jours, qu'on observait pour chaque chevalier tué. Pendant ces trêves les deux parits se réunissaient, et on se mariait de part et d'autre. Mais, dès qu'elles étaient finies, on courait de nouveau aux armes, et on recommençait à se battre de plus belle. Trente-deux mille hommes périrent dans cette querelle, qui finit par un mariage, comme elle avait commencé par un mariage. Les deux familles ennemies s'allièrent, et mirent un terme à leur animosité. Les dommages que le pays avait subis étant irréparables, on convint d'ériger en commun une église, où l'on prierait pour ceux qui étaient morts.

Pendant que les Awans et les Waroux dévastaient ainsi la Hesbaie, la ville de Huy fut le théâtre d'une autre lutte intestine entre les drapiers et les tisserands. Le maïeur de la ville, Gilles de Chokier, essaya avec ses

hommes d'armes de réduire les bourgeois, qui s'étaient prononcés pour les drapiers; mais il fut forcé de se sauver. L'évêque remédia à cette division en remplaçant les échevins de Huy qui se sauvèrent à Liége, et com mencèrent à exercer de furieuses déprédations sur les terres des Hutois. Ils étaient soutenus par une troupe d'infanterie légère, que Hugues de Châlons avait levée, et qu'on appelait velites. Ce furent des ravages et des pilleries effroyables, auxquels heureusement l'inclination qu'avait l'évêque à altérer les monnaies vint mettre un terme. Le prélat fut dénoncé au pape pour ce fait frauduleux, et sommé de comparaître à Rome. Le souverain pontife le déposséda de la principauté, et lui donna le siége de Be

sançon.

Adolphe de Waldeck, fils du comte de ce nom et d'Hélène, fille du marquis de Brandebourg, qui se trouvait en ce moment à Rome, fut investi par le pape de l'évêché de Liége, dont il prit possession le 4 juin 1301.

Il aplanit les difficultés suscitées par son prédécesseur entre les villes de Huy et de Liége, en condamnant la première à une amende de six mille livres, et en rétablissant les échevins que Hugues de Châlons avait destitués.

Quand Adolphe de Waldeck en eut fini avec ceux de Huy, il dut s'occuper de la ville de Fosses, qui avait bouché la porte par laquelle les chanoines avaient l'habitude d'y entrer. Il y alla en personne. Mais il fut assailli par le peuple dans une maison où il s'était réfugié avec ses domestiques, et il reçut une flèche dans sa robe. Je me vengerai de cette injure, dit-il avec colère, et je n'ôterai cette flèche que lorsque je serai vengé.

En effet, il manda de Huy une troupe de gens d'armes, qui tombèrent sur la ville de Fosses et la pillèrent entièrement. Cela ne suffisant pas à sa vengeance, il priva la commune de tous ses priviléges, et se réserva exclusivement le droit de nommer les magistrats et de rendre la justice.

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BELGIQUE.

Adovere audne se montra livra dans la ville de Rome, en 1812.

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pas moins
au dedans. Gui de Hainaut, qui avait
été l'un des deux concurrents appelés
à la principauté avant que le pape l'eût
remise à Hugues de Châlons, avait
acheté, avec l'argent de l'église de
Liége, la terre et le château de Mir-
wart, situés au milieu des Ardennes, à
deux lieues de l'abbaye de Saint-Hubert.
Il avait cédé plus tard ce domaine
son frère le comte de Hainaut, comme
s'il l'eût acquis de ses propres deniers.
Or, les Hennuyers qui occupaient
cette forteresse ne cessaient de piller
et de ravager les villages voisins, qui
dépendaient du pays de Liége. L'é-
vêque mit un terme à ces briganda-
ges en assiégeant le château de Mir-
wart, qu'il rasa; et en réunissant de
nouveau la terre et ses dépendances
aux domaines de la principauté.

C'est à l'énergie de ce prélat qu'est
due l'abolition de l'intolérable abus
de l'usure que les Lombards exer-
çaient, à cette époque, à Liége. Le pape
Boniface VIII avait lancé une bulle
contre ceux qui pratiquaient cet odieux
trafic. Les échevins liégeois les proté
gèrent contre le pape et contre l'évê-
que. Adolphe de Waldeck, voyant que
les voies de la justice et de l'autorité
étaient insuffisantes pour extirper cette
lèpre, recourut à un moyen plus ex-
peditif. I sortit un jour de son palais,
la mitre en tête, sa crosse à la main,
et escorté de ses gens d'armes. Dans
cet appareil, il se rendit à toutes les
maisons des usuriers les plus con-
nus, enfonça les portes, et les chassa
de leurs demeures et de la ville, sans
que personne songeât à lui opposer
la moindre résistance.

L'épiscopat d'Adolphe de Waldeck
se termina le 13 décembre 1302. Ce
prélat, selon quelques chroniqueurs,
mourut empoisonné par les Lom-
no
bards.

Thibaut de Bar, fils de Thibaut, comte de Bar, lui succéda l'année suivante, etne fournit qu'un règne stérile; car, s'étant immiscé dans la lutte des Guelfes et des Gibelins, il fut tué dans un combat que l'empereur Henri VII

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les bourgeois ne cessaient de gagner du terrain. Ils finirent par refouler une partie des nobles dans des maisons, où ils pénétrèrent pour les massacrer. Le reste parvint à gagner l'église Saint-Martin, où ils furent bientôt assiégés par le peuple, renforcé d'une troupe de paysans et d'ouvriers des mines de houille voisines. En vain les nobles chercha à s'y maintenir, en se barricadant dans l'édifice. Les assiégeants l'enveloppaient de toutes parts, en faisant des efforts inouïs pour y pénétrer. Voyant qu'il était impossible d'ébranler la porte, la multitude furieuse entassa du bois, de la paille, des tonneaux de goudron et d'autres matières inflammables, autour de l'église; et le feu y fut mis, aux acclamations de la foule. En un instant la flamme jaillit de toutes parts, et l'incendie étreint le refuge des chevaliers, qui ne tardent pas à être enserrés dans un vaste brasier. Les charpentes s'allument, la tour s'écroule, et tous les nobles périssent sous les ruines du temple. Ils étaient plus de deux cents.

Le successeur de Thibaut de Bar ne fut point élu, selon l'usage, par les trois états. Le pape Clément V fit cette fois un coup d'Etat, en conférant de sa propre autorité l'évêché de Liége à Adolphe de la Marck, prévôt de l'église de Worms, que le roi de France Philippe le Bel lui avait recommandé.

Il fit son entrée à Liége le 25 décembre 1313. Après avoir visité les ruines de l'église de Saint-Martin, il condamna les bourgeois à la rebâtir. Mais bientôt il se vit forcé de s'appuyer lui-même sur le peuple pour tenir tête à une ligue que formèrent les nobles, et à la tête de laquelle s'étaient placés les seigneurs de Warfusée, de Hermul et de Waroux, le comte de Looz, et les villes de Huy et de Dinant. Les deux armées étaient sur le point d'en venir aux mains à Hansinelle, dans la province de Namur, quand les abbés d'Aulne et de Lobbes intervinrent, et ménagèrent entre les parties un accommodement connu dans l'histoire sous le nom de Paix de Hansinelle.

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Mais cette paix ne procura point le repos au pays. La guerre d'Awans et de Waroux continuait toujours avec la même fureur. Des meurtres de toute nature se commettaient à l'abri d'une loi appelée la Caroline, parce qu'on l'attribuait à Charlemagne. En vertu de cette loi, tout homme accusé d'homicide, s'il n'avait pas été arrêté en flagrant délit, devait être renvoyé absous, dès qu'il jurait sur les Évangiles qu'il n'avait pris, ni directement ni indírectement, part au fait qu'on lui imputait, quelles que fussent d'ailleurs les preuves qu'on pût produire de sa culpabilité. Les pauvres et les petits étaient toujours sûrs d'être punis, tandis que les riches et les grands se réfugiaient toujours derrière la Caroline, qui leur assurait l'impunité. Les murmures du peuple réclamèrent contre cette injustice. L'évêque, pour faire droit aux petits, convoqua une assemblée des notables du pays, et chargea le mambour qu'il avait nommé pour le remplacer pendant son absence, et pour l'assister dans le gouvernement, de punir les assassins et les meurtriers, sans distinction de pauvres ni de riches. Mais le mambour continuait à favoriser les nobles, et les brigandages se renouvelèrent avec plus d'acharnement que jamais. Alors l'évêque, voyant que les voies de la justice étaient impuissantes, se mit à la tête du peuple, et fit démolir et brûler sous ses yeux les maisons des coupables.

Cependant Adolphe de la Marck ne tarda pas à se voir débordé par la caste dont il s'appliquait à réprimer les odieux emportements. Il chercha donc une force nouvelle dans une alliance qu'il conclut avec le duc de Brabant contre tous ceux qui les attaqueraient, excepté les rois de France et d'Angleterre, et le comte de Flandre. Le duc prêta même à l'évêque une somme d'argent, sur la part indivise que celui-ci avait dans la ville de Maestricht.

Mais Adolphe ne fut heureusement pas réduit à se servir des moyens dont cette alliance lui permettait de disposer; car la guerre intestine avait telle

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