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Gueldre, et fit conclure le mariage qu'il lui avait fait proposer avec Catherine de Hainaut.

Dès que Wenceslas fut rentré dans ses États, il lui fallut songer à payer les dettes que les dernières guerres lui avaient fait contracter. Ce ne fut pas chose facile. Une assemblée des villes et du commun pays se réunit cependant à Cortemberg, et accorda au duc une ayde de neuf cent mille moutons, monnoie de Vilvorde. » Cette somme votée, une nouvelle difficulté s'éleva. Les villes, qui pendant la captivité de Wenceslas s'étaient alliées entre elles dans le but de défendre en commun leurs droits et leurs libertés, voulurent que la répartition et la levée de cette somme fussent faites par leurs propres gens, et que ceux-ci fussent exclusivement chargés d'en surveiller l'emploi. Le duc, blessé de cette défiance, sortit de Bruxelles, et se disposa à faire la guerre aux villes. Mais l'évêque de Liége, Jean d'Arckel, interposa sa médiation, et engagea le prince à convoquer une assemblée nouvelle, qui eut lieu en effet à Braine-Lalleud. Là il fut décidé, le 30 avril 1374, que l'alliance conclue entre les villes, pendant la captivité du duc, serait déclarée dissoute; que, des neuf cent mille moutons accordés à Cortemberg, les villes et le plat pays en payeraient huit cent mille; que les villes nommeraient, pour la perception des deniers, leurs propres receveurs, auxquels il en serait adjoint deux nommés par le duc. Deux mois après, cet accord fut modifié, en ce sens que l'on mit à la charge des monastères cent mille moutons, plus quinze mille à titre de subsides ultérieurs, en laissant les huit cent mille autres à la charge des villes du plat pays, des chevaliers et des barons. Ce dernier acte n'ayant été souscrit par aucun ecclésiastique, les monastères refusèrent de payer la part qu'on leur avait imposée, et portèrent leurs plaintes à Rome. Le pape, faisant droit à leur réclamation, mit le duché de Brabant en interdit, excommunia les officiers du duc et tous ceux

qui avaient pris part à cette affaire, et cita devant son tribunal Wenceslas, et les villes qui l'avaient assisté dans cette mesure, si contraire aux immunités ecclésiastiques. Toutefois ces difficultés nouvelles furent bientôt levées, mais d'une manière peu honorable pour le duc, il est vrai. L'évêque de Liége fut chargé par le pape d'examiner les réclamations produites par les monastères, le saint-siége ayant delégué à son commissaire le pouvoir dé casser et d'annuler, en vertu de l'autorité apostolique, les impositions mises à la charge des corps ou des personnes ecclésiastiques, et s'étant réservé le droit de fixer selon son bon plaisir la part que les monastères seraient tenus de payer. Telle fut, en 1377, la conclusion humiliante de ce différend.

Cependant la ville de Louvain, grâce à la mauvaise administration des patriciens, et aux amendes ruineuses que les soulèvements lui avaient fait imposer, se trouvait tellement obérée, que ses marchands n'étaient plus en sûreté ailleurs que dans le Brabant; car on les arrêtait partout, et partout on saisissait leurs biens, qu'on retenait en nantissement. Le duc crut remédier à cet état de choses en nommant une commission chargée d'examiner les comptes de la ville, et d'aviser aux moyens de faire face à ses dettes. Mais ces commissaires n'obtinrent aucun résultat, les factions se heurtant sans relâche, et le peuple comptant sur l'appui et sur le secours des Flamands. Au mois d'août 1378, la commune s'insurgea, s'empara de l'hôtel de ville, et fit prisonniers tous les patriciens. Le duc ne vit dans ce mouvement qu'une nouvelle occasion d'extorquer de l'argent; et il accorda, le 14 septembre, une nouvelle paix, qu'il fallut payer d'une somme considérable, et en vertu de laquelle les vingt et un jurés se composeraient de onze patriciens et de dix plébéiens; et les sept échevins, de trois membres pris dans l'ordre des bourgeois, et de quatre choisis dans celui de la noblesse. Co

pendant cette mesure ne rétablit point le repos. Les nobles recommencerent à opprimer le peuple, qui, fatigué de ces persécutions, résolut d'en finir une bonne fois. Mais, avant de recourir àla révolte, l'échevin Wautier Van der Leyen fut envoyé au duc pour lui exposer les griefs de la commune. Ce malheureux fut assassiné par deux chevaliers appartenant au patriciat, avant qu'il eût pu arriver jusqu'au prince. Aussitôt que la nouvelle de ce nouveau crime se répandit dans la ville, la commune exaspérée courut aux armes, et se rua sur l'hôtel de vilie, où treize patriciens se trouvaient réunis. Ils furent massacrés sans miséricorde, et précipités par les fenêtres, sous lesquelles se dressaient des milliers de piques pour recevoir les cadavres. Ce fut une horrible boucherie, où le peuple irrité se vengea de toutes les oppressions qu'il avait si lontemps subies. Après le premier vertige de cette fureur, le peuple, effrayé lui-même de son œuvre, envoya des députés à la duchesse Jeanne, pour lui demander l'oubli du passé et l'exil des deux chevaliers qui avaient assassiné l'échevin Van der Leyen. La duchesse eût peut-être accédé à la prière de la commune; mais le duc, revenu du Luxembourg sur ces entrefaites, n'accorda la paix que pour une grosse somme d'argent, et il condamna en outre la ville à payer une composition aux parents des treize nobles égorgés, et les principaux auteurs de ce massacre à faire un pèlerinage en Palestine.

Cet arrangement, s'il contenta les bourgeois, fut loin de satisfaire les patriciens, qui ne voulaient que des représailles. Un grand nombre de nobles étaient sortis de la ville, et égorgeaient, partout où ils les trouvaient, les bourgeois qui osaient s'aventurer hors de leurs remparts. Les atrocités qu'ils commirent passent toute idée. Pour en donner un seul exemple, nous citerons le fait suivant. Un jour, ils parvinrent à s'emparer d'un riche bourgeois, auquel ils coupèrent les mains et les pieds, et qu'ils envoyèrent dans cet état sur une charrette à Louvain,

disant qu'ils traiteraient de la même manière tous ceux qui leur tomberaient entre les mains. La commune irritée perdit de nouveau patience. Elle arma ses métiers, et les lança dans les campagnes à la poursuite des patriciens; de façon que bientôt ce ne fut plus partout que dévastations, assassinats, pillages et incendies. Il fallut que le due s'avançât de nouveau avec une armée contre la ville. Il parut sous les murs de Louvain le 5 décembre 1382. Les bourgeois étaient décidés à soutenir un siége; mais l'évêque de Liége, Arnould de Hornes, ayant offert sa médiation, le duc consentit à leur accorder la paix. Parmi les conditions qu'il leur imposa, les trois principales étaient, d'abord le bannissement de dix-neuf des principaux chefs du peuple; ensuite le payement d'une amende de onze mille moutons d'or; enfin, la réconciliation des partis. Cette paix, si elle ne rétablit pas complétement la tranquillité, donna au moins quelque relâche à cette malheureuse ville, où la révolte fit encore par moments quelques légères tentatives, qui furent réprimées presque aussitôt.

Cette longue suite de tumultes et de séditions, et, presque autant que ces séditions et ces tumultes, les exactions incessantes de Wenceslas, ruinérent cette cité naguère si florissante par son commerce et par ses riches draperies, maintenant si morne, si désolée. L'émigration qui en fut la suite fit, selon les écrivains de la ville même, tomber en ruines plus de trois mille maisons.

Wenceslas ne vécut guère au delà du dernier arrangement des affaires de Louvain. Il mourut le 7 décembre 1383, dans le Luxembourg, sans laisser un seul enfant.

Ainsi la duchesse resta chargée de l'administration du duché, et elle s'en acquitta avec une prudence et une sagesse dont le pays n'avait eu, depuis longtemps, à se louer dans ses princes. Cependant, dès 1386, elle se trouva en guerre avec le duc de Gueldre, qui prétendait libérer les trois châteaux

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forts que le comte de Mœurs tenait en gage du duc Renaud, et qu'il avait sous-engagés à Wenceslas. Jeanne de Brabant ayant refusé de satisfaire à cette exigence, l'épée fut tirée, et les hostilités continuèrent, presque sans interruption, jusqu'en 1399.

Dans le cours de cette année, les états du Brabant reçurent un message du duc de Bourgogne, qui les invitait à venir prêter le serment de fidélité à ses fils, héritiers présomptifs de la duchesse. Presque en même temps Wenceslas, roi des Romains, rappela aux états l'ordre de succession établi dans le duché de Brabant en faveur de la maison de Luxembourg, par le duc Wenceslas et son épouse, de concert avec l'empereur Charles IV. Mais les états donnèrent la même réponse au duc de Bourgogne et au roi des Romains, disant que la duchesse vivait

encore.

Jeanne de son côté ne songeait guère à tenir l'engagement inconsidéré qui avait été pris avec la maison de Luxembourg. En effet, le 2 septembre 1399, elle avait réglé sa succession, à laquelle elle appelait, par un diplôme daté de Tournay, Marguerite, sa nièce, femme de Philippe le Hardi, duc de

Bourgogne et comte de Flandre, laquelle était fille de Marguerite de Brabant, sa sœur. Ce fut à la suite de cet acte que le roi des Romains et le duc de Bourgogne s'adressèrent aux états du Brabant, pour obtenir le serment de fidélité. Philippe le Hardi prenait si vivement à cœur cette affaire, qu'il ne négligea rien pour y réussir. Aussi parvint-il, à force de présents et de promesses, à attirer dans ses intérêts les principaux membres des états, qui, dans une assemblée nombreuse tenue à Bruxelles en 1403, déclarèrent successeurs de Jeanne, Antoine, second fils de Philippe le Hardi et de Marguerite de Flandre. La mort du duc de Bourgogne, survenue peu de mois après, determina la duchesse de Brabant à abdiquer en faveur de sa nièce Marguerite, qui elle-même remit le gouvernement du duché à son fils Antoine, avec la dignité de ruwaert. Ce prince ne prit le titre de duc de Brabant qu'après la mort de sa mère, survenue en 1405, et celle de Jeanne, arrivée en 1406. Ce fut par lui que le Brabant et le Limbourg sortirent de la maison de Louvain, pour entrer dans celle de Bourgogne.

HOLLANDE.

INTRODUCTION,

Nous voici sur un tout autre sol que celui de Belgique. Nous voici dans ces Provinces-Unies qui, comprises sous la dénomination générale de HolJande, suivirent pendant si longtemps les destinées des provinces belges, sans s'y être jamais vues liées autrement que par l'autorité commune qui les gouvernait. Tout, en effet, a divisé foncièrement ces deux grandes parties des Pays-Bas le caractère national, les mœurs, les usages, les traditions, les intérêts, les occupations, même les diverses influences du dehors. Tandis que, de bonne heure, le système féodal se développa dans les provinces belges; que les habitudes élégantes et chevaleresques de la société française s'y introduisirent; que l'industrie et le commerce y constituèrent ces formidables et menaçantes communes dont nous avons raconté l'histoire; que les arts fleurissaient au milieu de cette active et joyeuse population, les fêtes de rhétorique pour les bourgeois, les cours d'amour, la poésie et la musique pour les comtes de Flandre et pour fes ducs de Brabant; les provinces septentrionales vivaient d'une vie plus simple et plus grave. Leurs peuples, soit ceux qui habitaient la Hollande proprement dite, ou l'évêché d'Utrecht, soit ceux qui se trouvaient établis entre les côtes orientales du Zuyderzée

et les bords de l'Ems, se ressentaient tous de leur origine fris onne, et portaient dans leur caractère la fierté, la roideur et la ténacité qui distinguent encore aujourd'hui les enfants de cette race. Leurs luttes constantes avec la mer, et l'ardeur infatigable avec laquelle il leur fallait combattre ce terrible élément et lui disputer le sol natal, les avaient endurcis aux plus rudes fatigues, et rendus impatients de tous les jougs. Aussi, les institutions féodales ne purent s'implanter d'une manière complète au milieu de ces hommes, rebelles à tout ce qui avait l'air de gêner leur liberté. Ni le faste ni les fêtes de la chevalerie n'avaient de charme pour eux. Autant la nature monotone et triste qui les environnait tendait sans cesse à réagir sur leur pensée, autant les traditions de la mythologie du Nord, qui s'étaient maintenues chez eux, avaient imprimé à leur esprit leur couleur sombre et farouche. Ce fut la dernière population indépendante et aussi la dernière population païenne des Pays-Bas; car la crosse du clergé ne sut pas mieux la dompter que les épées des chevaliers n'avaient pu le faire; et le temps seul parvint à la courber sous la double puissance de l'Église et des châteaux.

Tel est le terrain sur lequel nous allons introduire le lecteur.

HISTOIRE DES COMTÉS DE HOLLANDE ET DE ZÉELANDE, ET DE LA SEIGNEURIE DE FRISE, JUSQU'A LEUR RÉUNION AUX ÉTATS DE LA MAISON DE BOURGOGNE.

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L'histoire de l'Europe ne nous offre guère un peuple qui se soit maintenu sous des institutions aussi particulières, avec une constance aussi énergique et sur un territoire aussi borné, que les Frisons. Il entre dans les idées des natures ainsi trempées de rapporter leur existence à quelque origine antique et fabuleuse, et de la rattacher à des noms héroïques qui n'ont jamais existé que dans les royaumes de l'imagination. Ainsi Corneille Van Kempen n'eut pas de peine à accréditer auprès de quelques-uns l'origine donnée par lui aux Frisons, qu'il fait descendre des Juifs que la captivité de Babylone dispersa sur la terre; tandis que Tritheim eut moins de peine encore à établir une généalogie de rois frisons, en tête desquels il plaça le roi Friso, de la race de Pharamond. Mais aux Frisons eux-mêmes tout cela ne suffisait pas encore. Ils font remonter leur origine bien autrement loin dans les annales du monde. A les en croire, ils sont originaires des Indes, d'où leurs ancêtres sortirent sous la conduite de trois frères, Friso, Saxo et Bruno, qui servirent sous Alexandre le Grand, et, après la mort de ce roi, coururent les plus incroyables aventures, jusqu'à ce qu'enfin ils abordassent avec leurs vaisseaux, en l'an 313 avant l'ère chrétienne, à l'embouchure du Vlie ou Flévo, où ils bâtirent la ville de Sta

voren, et donnèrent le nom de Frise au pays qu'ils occupèrent.

Il n'est pas nécessaire que nous nous occupions ici de discuter l'existence des prétendus rois qui se succédèrent, selon les chroniqueurs, depuis Friso jusqu'au roi ou plutôt jusqu'au chef qui se présente dans l'histoire de Frise en 677, sous le nom d'Adgill. Toute cette généalogie tombe devant le moindre examen historique. Quelle était la nature du pouvoir de ces chefs, on le voit dans la conduite que tint Radbod, successeur d'Adgill. Selon le témoignage de l'auteur de la vie de saint Ludger, il employa la violence contre tous ceux qui lui étaient opposés, ou dont il convoitait les biens; et il les fit égorger par ses soldats, ou les chassa du pays. Nous lisons, dans le même écrivain, qu'il y avait en Frise certaines familles qu'on désignait particulièrement par le titre de nobiles, et dont la condition était évidemment la même que celle des principes, ou chefs, de la première période germanique. Il est dans la nature même des choses que parmi ces chefs une famille se soit élevée au rang de stirps regia, c'est-à-dire qu'elle ait acquis une puissante prépondérance dans quelque moment de trouble et de division intestine. Nous savons, en outre, qu'au temps de Radbod, c'est-à-dire à la fin du vire et au commencement du viir siècle, les Frisons soutinrent de rudes guerres contre les Francs, et que ceuxci les tenaient dans une certaine dépendance. Ces guerres pourraient particulièrement avoir fourni à Radbod l'occasion d'acquérir de fait le pouvoir suprême. Mais l'usage qu'il fit de cette autorité donna lieu à une oppo

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