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vêque de Cologne; mais il fut forcé de nouveau à demander la paix, qu'il rompit derechef. Alors recommencèrent les ravages et les dévastations, jusqu'à ce qu'enfin le duc Charles le Téméraire interposa sa médiation en 1469. Adolphe eut l'air de céder, vaincu cette fois en apparence par la perte de sa femme Catherine de Bourbon, et par l'anathème qui pesait sur lui depuis qu'il avait si indignement jeté son père dans les fers. En 1470, il convoqua à Nimègue les états du pays, et les pria de consentir à la mise en liberté du duc prisonnier. Ceux de Nimègue et tous les seigneurs ennemis du vieux Arnould se prononcèrent formellement contre la proposition; et Adolphe ne demandait pas mieux que de se rallier à leur volonté. Mais Charles de Bourgogne, poussé par Guillaume d'Egmont, frère du vieux duc, et par le duc de Clèves, manda l'usurpateur à Hesdin, afin de s'y justifier de l'infraction qu'il venait de faire à la paix. Un cardinallégat du saint-siége y était présent, et reprocha vivement à Adolphe l'attentat dont ils s'était rendu coupable; mais celui-ci allégua le serment qu'il avait prêté aux états, et par lequel il s'était engagé à ne rien décider sans leur consentement. Toutefois Charles de Bourgogne insista si vivement, qu'Adolphe donna l'ordre écrit de relâcher son père. Sur cette lettre, portée, sans délai, au commandant du château de Buren, le prisonnier fut tiré de son cachot et conduit à Bois-le-Duc, d'où il se rendit à Hesdin. Partout il fut accueilli avec autant de respect et de vénération que son fils le fut avec mépris. Arnould revint ainsi au monde, portant la double couronne de la vieillesse et du malheur.

Cependant le bruit se répandit en Gueldre que le duc Charles, non content d'avoir fait remettre en liberté le père, allait faire saisir le fils. L'inquiétude fut grande dans le pays, quand cette nouvelle y fut accréditée. Aussi, dans l'alarme qu'elle produisit, les états se réunirent à Zutphen, et prirent la résolution de défendre et de conser

ver le duché au nom d'Adolphe. Cette décision adoptée et signée, ils en donnèrent communication au duc Charles, qui se plaignit amèrement de l'intention qu'on lui avait prêtée. L'assemblée publia, en outre, un manifeste, dans lequel elle exposa toutes les raisons qui avaient motivé l'arrestation et la captivité du duc Arnould.

Charles de Bourgogne, après avoir longuement traité cette querelle de famille, voulut réintégrer Adolphe dans la Gueldre, à condition que la ville de Grave continuerait à appartenir au vieux Arnould, auquel le duché payerait, en outre, une pension de six mille florins d'or. Mais Adolphe se refusa à cet arrangement, disant :

J'aimerais mieux jeter mon père dans un puits et m'y précipiter après lui, que d'accepter une pareille proposition. Voici déjà quarante ans qu'il est duc; il est temps enfin que mon tour arrive.

Bientôt après, il s'échappa brusquement de la cour de Bourgogne; mais, ayant été reconnu dans sa fuite en voulant passer la Meuse, il fut arrêté. On le transporta d'abord au château de Namur, puis à celui de Vilvorde, et enfin à celui de Courtrai.

Après l'arrestation de son fils, le vieux Arnould écrivit des lettres aux états de Gueldre, dans lesquelles il les somma de le reconnaître comme leur prince légitime. Ensuite il s'occupa, avec l'aide de Charles de Bourgogne, à mettre sur pied une armée, et il pénétra dans son duché. Les fêtes de Pâques 1471 terminées, il entra, sans coup férir, dans la ville de Grave, qui lui ouvrit ses portes; mais il fut forcé de réduire le château fort par les armes. Cette entreprise lui réussit; Gelder et Ruremonde se soumirent sans résistance. Mais les autres villes du pays persistèrent dans le refus de le recevoir; et comme Charles, fils aîné d'Adolphe, n'avait pas encore atteint sa majorité, elles conférèrent au comte Vincent de Meurs l'administration intérimaire du duché. Ce ne fut pas tout les chefs-lieux des trois quartiers supérieurs de la Guel

HOLLANDE.

dre et les seigneurs conclu rent un autre traité, en vertu duquel ils s'engageaient à garder entre eux bonne alliance et à s'assister mutuellement. Toutes les lettres qu'Arnould put envoyer aux villes en particulier, telles que Zutphen et Arnheim, de meurèrent sans aucun résultat. En sorte que, voyant l'impossibilité de reconquérir le territoire de son duché, il prit, vers la fin de l'an 1472, à Saint-Omer, la résolution de vendre la Gueldre à Charles le Téméraire pour quatre-vingt-douze mille florins d'or, en se réservant toutefois le titre de duc, et l'autorité souveraine dans le pays. Quant à l'administration, elle fut laissée à Charles de Bourgogne, qui ob

tint le droit de faire occuper par ses hommes une place forte à son choix dans chacun des quatre quartiers. Ce marché conclu, le Téméraire entra aussitôt dans le duché, fit démanteler les villes de Nimègue et de Venlo, pour refréner leur esprit de rébellion, et sévit contre une partie des seigneurs qui s'étaient montrés le plus acharnés contre le vieux Arnould. Celui-ci s'était assuré la jouissance viagère de la ville et du château de Grave, où il passa les derniers mois de sa vie. Il y mourut le 23 février 1473. Le duc Charles se mit aussitôt en possession de la Gueldre, qui dès lors se trouva attachée aux domaines de la maison de Bourgogne.

LIVRE VI.

HISTOIRE DE L'ÉVÉCHÉ D'UTRECHT JUSQU'A DAVID DE BOURGOGNE.

CHAPITRE PREMIER.

DEPUIS L'ORIGINE DE L'ÉVÊCHÉ JUSQU'A L'EMPEREUR ARNOULD.

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L'origine la plus probable du nom d'Utrecht est celui d'Outrecht (vetus Trajectum), par lequel la capitale de l'évêché se trouve désignée dans les documents du IXe siècle, bien que cette ville y soit fréquemment appelée aussi Trajectum ulterius ou ultrajectum, comme opposition au nom de Trajectum superius que portait la ville de Maestricht, également située sur le territoire des Francs. Les habitants du territoire environnant paraissent avoir porté anciennement le nom de Wiltės; car Utrecht est appelé, dans d'autres documents, oppidum Wiltorum. Quelle que soit l'origine romaine ou franque de cette ville, il est certain qu'elle ne fut érigée en place forte et en siége épiscopal que dans les temps de Charles Martel, comme nous l'avons déjà dit.

Le premier chef de cet évêché fut saint Willibert ou Willibrord, de Northumberland, qui, ayant été sacré à Rome évêque des Frisons, s'établit à Utrecht, et y mourut en 739, après avoir, le premier, répandu dans cette contrée les lumières de l'Évangile. Son disciple saint Albert, fils du roi Oswald de Deira, qui prêcha et mourut dans le Kennemerland, fut enseveli à Hattum, appelé plus tard Egmont, près d'Alkmaar. Un autre de ses disciples, saint Werenfried, sema la doctrine du christianisme dans le Bétuwe, où il mourut, et fut enterré à Elst.

Déjà du vivant du premier de ces

prélats, comme il résulte du testament même de saint Willibrord, l'évêché comptait, outre la ville d'Utrecht, plusieurs possessions importantes, parmi lesquelles se trouvait l'Église d'Anvers avec toutes ses dépendances.

L'évêché d'Utrecht était situé dans le comté d'Insterlak, qui faisait partie du Teisterband, lequel était, comme nous l'avons dit, une réunion de plusieurs comtés.

Avant de mourir, Willibrord désigna pour son successeur son disciple et compagnon saint Boniface, que le saint-siége avait déjà sacré évêque des Germains, et qui obtint pour sa nouvelle Église les priviléges les plus étendus, d'abord de Charles Martel, ensuite de Pepin le Bref. Mais Boniface n'administra point par lui-même ce diocèse, absorbé qu'il était ailleurs par le cercle trop étendu de ses travaux apostoliques; mais il délégua successivement le siége d'Utrecht aux soins de ses deux disciples, Éoban et Grégoire de Trèves.

Ce dernier, issu d'une famille franque très-considérable, succéda à Boniface, et mourut entre l'an 765 et 784. Il laissa l'évêché à Albert d'York, qui, plus tard, cumula avec ce siége celui de Cologne, et obtint de Charlemagne d'importantes donations. L'année de la mort de ce prélat n'est point connue. Après lui on voit se succéder rapidement dans le diocèse d'Utrecht, d'abord Théodard, savant frison, pendant l'administration duquel Charlemagne luttait encore avec Wittekind; ensuite Erwachter ou Harkamar, qui, selon les uns, fut originaire de la Frise, selon les autres, de Northum berland; enfin Rixfried, également

Frison, qui vivait encore en 815, et reçut de Charlemagne la ville de Wykby-Duurstede, et tous les impôts et les dimes auxquels avait eu droit jusqu'alors la chambre impériale dans le diocèse d'Utrecht.

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Frédéric, disciple de Rixfried et issu d'une famille frisonne, obtint la crosse après la mort de son maître. Les paroles que l'on assure lui avoir été adressées par l'empereur Louis le Débonnaire, le lendemain du jour où il fut inauguré sur le siége épiscopal, nous montrent suffisamment que les idées païennes avaient encore racine dans certaines parties du diocèse d'Utrecht. « Est autem, dit l'empereur, Walachria tuæ diœcesis insula multum infamis, ubi, proh dolor! concumbere dicitur non solum frater sorori, verum etiam filius suæ propriæ genitrici. Quant à la Frise proprement dite, elle était grandement infectée de l'hérésie des ariens; et ce fut pour l'extirper que Frédéric envoya à Stavoren saint Odulphe d'Oirschot. Dans la tâche difficile qu'il eut à accomplir, Frédéric ne démentit pas un seul instant son zèle, si bien qu'il finit par en devenir la déplorable victime. Il s'attira la colère de l'impératrice Judith, dont il avait sans ménagement réprimandé les relations avec le marquis Bernard de Barcelone; et il fut misérablement assassiné par ordre de cette princesse, en 838.

Ici se succédèrent plusieurs évêques à peu d'années d'intervalle. Ce fut d'abord le frère de Frédéric, Albert II, sous le règne duquel le diocèse fut dévasté par les Normands; ensuite Eginhard, qui n'est cité que dans un diplôme de l'empereur Lothaire I; puis, le Frison Ludger; enfin, un autre Frison, Hunger, sous lequel les Normands exercèrent de nouveaux ravages dans l'évêché. En 866, la crosse échut derechef à un Frison nommé Odilbald, qui régna jusqu'au ternps de l'empereur Arnould.

Sous ce dernier évêque, l'église de Saint-Martin d'Utrecht avait déjà acquis une grande importance` territoriale,

grâce à la faveur des empereurs et à la pieuse libéralité des seigneurs.

CHAPITRE II.

JUSQU'A L'ACQUISITION DU HAMELAND. 1046.

Après la mort d'Odilbald, le chapitre, d'une voix unanime lui choisit pour successeur Egilbold, également d'origine frisonne. Ce prélat était fort considéré à la cour de Zwentibold; mais il n'administra son Église que pendant deux années, et il fit place à Radbod, qui descendait par sa mère de l'ancien chef frison du même nom. Radbod était un homme fort savant, élevé à la cour de France, et instruit dans les sciences philosophiques, telles qu'elles étaient cultivées à l'époque où il vécut. La ville d'Utrecht ayant été entièrement ravagée par les hordes normandes, il transporta sa résidence à Deventer, et s'appliqua avec ardeur à réparer les désastres auxquels son diocèse avait été soumis par les furieuses invasions de ces barbares. Mais les Normands l'arrêtèrent à plus d'une reprise dans ce travail de restauration, jusqu'à ce qu'enfin on eût réussi à les expulser entièrement des terres de l'évêché. Radbod succomba à cette grande tâche en l'an 917, et fut enterré à Deventer, après avoir en 914 obtenu de l'empereur Conrad I la confirmation des droits et des priviléges que lÉ'glise d'Utrecht avait reçus des rois francs précédents.

Son successeur fut Baldric, que l'on croit issu des comtes de Clèves, et qui vivait à la cour de Henri l'Oiseleur, dont il éleva les deux fils l'un qui, plus tard, figura dans les fastes de I'Empire sous le nom d'Otton le Grand; l'autre, que nous avons déjà rencontré dans l'histoire de la basse Lotharingie, et qui fut archevêque de Cologne sous le nom de Brunon.

Le premier projet de Henri l'Oiseleur avait été de donner à Brunon la succession de Radbod; mais, comme le territoire de l'évêché était cons

tamment exposé aux invasions des pirates normands; comme la ville d'Utrecht elle-même demandait à être relevée des ruines où ces barbares l'avaient mise, et que, en un mot, ce siége réclamait un bras énergique, il conféra le diocèse à Baldric. C'était là, en effet, un homme d'un esprit de fer, dans la main duquel la crosse valait une épée. Il ramena à Utrecht les chanoines fugitifs, remit l'ordre dans les finances de sa cathédrale, restaura les églises, fortifia la ville; bref, il fit tout pour cicatriser les blessures que les hordes du Nord avaient faites à l'évêché, et il se montra en toutes choses digne de la tâche qu'il était appelé à remplir. Aussi, les rois ses contemporains le secondèrent-ils le plus qu'ils purent dans son œuvre. Ainsi Henri I lui donna la confirmation de tous les droits et de tous les priviléges de Saint-Martin, et lui fournit les moyens de paralyser entièrement les expéditions que les Normands pourraient encore méditer contre les terres utrechtoises. Ainsi, enfin, Otton I l'enrichit d'un grand nombre de donations et de faveurs nouvelles.*

Après une vie laborieuse, et plus de cinquante ans consacrés à relever son évêché des désastres qui l'avaient affligé, Baldric mourut en 976.

Il eut pour successeur Volcmar, sur lequel l'histoire est entièrement muette, et dont l'administration n'y a laissé qu'une date, celle de 989. Nous ne possédons guère plus de détails sur Baudouin, qui, issu de la famille des comtes de Hollande, recueillit l'héritage de Volcmar, et mourut en 994.

Mais bientôt s'ouvre un règne plus important, celui d'Ansfried, qui, après avoir d'abord occupé un des comtés du Teisterbant, fut investi de la dignité épiscopale. Il enrichit l'Église d'Utrecht de toutes les vastes possessions qu'il avait dans le marquisat de Ryn, telles que Westerloo, Meerbeke, Oudlo, Hombeke. Son exemple et ses exhortations engagè

rent plusieurs autres seigneurs à faire don à l'évêché de tous leurs biens. Les empereurs Otton III et Henri II la pourvurent également de donations remarquables. Enfin, sous aucun de ses évêques, Utrecht ne fut aussi magnifiquement doté que sous l'épiscopat d'Ansfried. Ce diocèse. dont Charles Martel avait jeté les fondements, et que Willibrord avait trouvé si humble à son origine, avait acquis maintenant une puissance telle, que les princes voisins étaient forcés de compter avec elle.

L'organisation politique d'Utrecht était, dans son principe, à peu près la même que celle de l'évêché de Liége: seulement il est probable que, pour attacher davantage les habitants à la capitale, au milieu des périls toujours renaissants dont les Normands la menaçaient, il leur fut accordé, presque dès l'origine, des droits et des priviléges beaucoup plus étendus. Puis encore, pour le même motif, le nombre des seigneurs qui servaient l'évêque de leur épée, et l'importance dont ils jouissaient dans l'État, ont dû y être beaucoup plus grands qu'ils ne le furent à Liége. L'ancienne dénomination d'Hommes de Saint-Martin, sous laquelle étaient compris tous les habitants d'Utrecht, prouve que cette ville ne pouvait pas être regardée comme une commune libre, dans le sens strict de ce mot. Car ils étaient tenus de servir saint Martin, c'est-àdire l'évêque, de leurs bras dans la guerre, et de lui payer des impôts pour la protection qu'il étendait sur eux; libres du reste comme ces fiers Frisons qui se saluaient toujours par ces paroles énergiques: Tala, fria Fresena, Salut, libre Frison; avec cette différence toutefois qu'Utrecht ne dépendait point des empereurs, et que l'évêque, au lieu d'exercer simplement une charge impériale, régnait au nom de sa cathédrale, placée elle-même directement sous là protection de l'Empire.

L'évêque avait, pour administrer son évêché, un haut avoué qui prési

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