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Avant la fin de la trêve d'une année, conclue en 1478, la guerre avec la France avait recommencé par de petites rencontres et de petites escarmouches; et les Français l'avaient surtout conduite avec avantage sur la mer. Pour donner une meilleure face à ses affaires de ce côté, l'archiduc réunit en 1479, à Saint-Omer, une armée imposante, composée de Flamands, d'Artésiens, et de compagnies allemandes. Le comte de Chimay y amena le corps avec lequel il avait reconquis Virton, et le prince d'Orange y conduisit une bonne troupe de ces Bourguignons, qui ne se montraient pas moins hostiles au roi que les gens de Flandre eux-mêmes. Le 25 juillet, l'archiduc quitta Saint-Omer avec environ vingt-cinq mille cinq cents hommes, et plaça son camp devant la ville de Thérouanne. Mais à peine eut-il bien pris position, que l'armée française parut, forte de dix-huit cents lances et de quatorze mille francs-archers. Elle s'établit sur la hauteur d'Engui. Les Bourguignons marchèrent au-devant des Français, et ils n'étaient plus séparés d'eux que par la colline de Guinegate. Le signal fut donné, et les deux armées en vinrent aux mains. La bataille commença à deux heures de relevée, et bientôt elle parvint à un degré d'acharnement incroyable. Malgré les prodiges de valeur que fit Maximilien en se multipliant partout, et en encourageant les siens par la voix et par l'exemple, les Français s'emparèrent de presque toute son artillerie. Déjà la victoire penchait en leur faveur, et une déroute complète allait entraîner les Bourguignons, quand le comte de Romont, l'un des capitaines de l'archiduc, parvint à reprendre les canons, et rétablit si bien la bataille, que l'armée française fut ébranlée et mise en fuite. La victoire des Flamands fut complete, mais elle n'avait pas été sans leur coûter bien cher; car la plupart de leurs plus braves chevaliers avaient été faits prisonniers par l'ennemi, au commencement de l'affaire. A huit heures du soir, quand les débris des troupes royales se mirent en

retraite, treize mille de leurs archers et homines d'armes étaient couchés sur le champ de bataille, où les Flamands laissèrent trois mille hommes à peine.

Après avoir remporté ce succès signalé, Maximilien n'eut rien de plus pressé que de courir à Gand en apporter la nouvelle à la princesse, et de la célébrer par des fêtes. Ce fut là précisément ce qui l'empêcha de tirer parti de sa victoire et de poursuivre ses succès. Peut-être, s'il eût profité de la déroute des Français, fût-il parvenu à s'emparer de Thérouanne et d'Arras. Mais ce ne fut qu'au mois d'octobre qu'il reparut en armes à Aire. Cette fois ses troupes étaient plus nombreuses, et il put pousser la guerre avec plus d'énergie: elle se borna cependant à une série d'escarmouches, de petites expéditions, de siéges de villes et de châteaux.

On atteignit ainsi l'année 1480. Maximilien se trouvait dans un assez grand embarras; car Louis XI avait envoyé une armée dans le Luxembourg, tandis qu'il menaçait également l'Artois. Enfin, la Gueldre était toujours dans une vive agitation, grâce aux agents du roi ; et les luttes des factions duraient encore en Hollande. Plus que jamais on sentait le besoin de recourir à des alliances, pour échapper à ce réseau d'intrigues dont Louis XI ne cessait d'envelopper la famille de Bourgogne. Maximilien songea d'abord à resserrer les liens d'amitié que Charles le Téméraire avait noués avec l'Angleterre; et son fils Philippe, que Marie avait mis au monde le 22 juin 1478, fut fiancé, bien qu'il ne se trouvât âgé que de deux ans à peine, avec la princesse Anne, fille duroi Édouard. Ces fiançailles furent l'occasion d'un traité entre les deux pays. Ce premier avantage obtenu, l'archiduc résolut de se rendre dans le Luxembourg avec Marie, autant pour se faire inaugurer dans cette partie de leurs Etats, que pour encourager par leur présence les troupes destinées à tenir tête aux Francais. Son armée était loin d'être assez forte pour commander le succès caries

BELGIQUE ET HOLLANDE.

états de Flandre avaient répondu par un refus à la demande qu'il leur avait faite d'une aide pour entretenir mille lances dans le duché de Luxembourg. Toutefois les affaires ne tardèrent pas à prendre de ce côté une tournure plus favorable. D'ailleurs, le moment était prochain où la décision des différends qui existaient entre les pays bourguignons et la France allait cesser d'être livrée aux hasards de la guerre, pour être réglée par la voie des négociations.

Cependant les désordres qui désolaient toujours la Gueldre et la Hollande ne purent être étouffés d'une manière aussi pacifique. La première de ces provinces fut pacifiée, comme on l'a dit, par la trêve du mois de janvier 1481 Mais les troubles qui agitaient la Hollande en prirent un développement nouveau. Les Hoekschen, qui succombaient de plus en plus sous la puissance des Kabeljaauwschen, s'étaient en grande partie retirés sur le territoire de l'évêché d'Utrecht. Après la conclusion de la trêve avec dans ceux de Gueldre, Regnier de Broekbuysen un des capitaines qui avait, cette province, tenu le parti du jeune duc Charles, alla, avec un grand nombre de ses compagnons, se joindre aux Hoekschen rassemblés sur les terres de l'évêché, et fit avec eux une invasion en Hollande, où il pénétra dans les murs de Leyden, aux cris de « Brederode! Montfoort! » et s'empara de l'hôtel de ville. Mais, pendant qu'il cherchait à se rendre maître du reste de la place, et à faire prisonniers quelques chefs du parti ennemi, le feu prit aux poudres entassées sous la maison de la commune, et la fit sauter en l'air. Un grand nombre des siens y perdirent la vie. Toutefois, il resta maître de Leyden. Aussitôt toutes les villes des Kabeljaauwschen s'émurent, et poussèrent le gouverneur de Hollande, Josse de Lalaing, à reprendre cette place. En effet, le siége en fut forme, et la ville reconquise. Il en fut de même de Dordrecht, que les Hoek

1 Voir ci-dessus, page 294.

schen avaient surpris, et dont les Kabel-
jaauwschen parvinrent aussi à s'empa-
rer, comme ils firent également de
Gouda, de Schoonhoven et d'Oudewa-

ter.

Dans ces entrefaites, Maximilien
approuva
se rendit en Hollande,
tout ce que le parti vainqueur avait
fait, força les gens de Leyden à lui de-
mander pardon, et ne leur fit grâce
qu'après s'être réservé dix-huit hom-
mes, dont six furent décapités. Tous
les biens de Jean de Montfoort, qui
était chef des Hoekschen en Hollande,
furent confisqués, de même que ceux
de Regnier de Broekhuysen; et tous
peines sévères furent infligées à la
deux furent bannis à perpétuité. Des
plupart des seigneurs de ce parti dans
les différentes villes du comté; et ainsi
le repos, sinon le calme, fut rétabli,
aussi bien qu'il peut l'être par la ter-

reur.

L'évêché d'Utrecht n'était pas resté à l'abri des tumultes qui avaient ainsi désolé la Hollande. Les Hoekschen, condamnés au bannissement, et beautaient fait un lieu d'asile de ce diocèse. coup d'autres de leurs partisans, s'éMais, sans respect pour l'hospitalité qu'ils y recevaient, ils ne tardèrent avaient commencé par chasser d'Apas à y répandre aussi la discorde. Ils mersfoort les officiers de l'évêque bien réussi à indisposer les gens d'UDavid de Bourgogne, et avaient si trecht contre ce prélat, qu'il s'était vu forcé d'établir sa résidence à Wykby-Duurstede. Cette retraite leur laissa beau jeu. Aussi ils s'emparèrent bienrent une guerre ouverte contre l'évêtôt de la ville d'Utrecht, et entreprique. Cette lutte se prolongea jusqu'en 1482, avec des chances diverses. Pour y mettre enfin un terme, Maximilien réunit une armée à Bois-le-Duc. Penceux de Gueldre, croyant qu'elles demandédant que ces forces se rassemblaient, rent aussitôt à convertir la trêve en étaient dirigées contre eux, un traité. Le pays tout entier, à l'exainsi à reconnaître l'autorité de l'arception de la ville de Venlo, consentit chiduc.

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Avant que ses préparatifs fussent achevés, l'archiduc fut tout à coup rappelé dans ses provinces voisines de la France, où les trêves étaient plus mal observées que jamais, et où commençaient à se montrer des bandes d'aventuriers qui dévastaient les frontières avec une incroyable fureur.

On était au commencement du mois de mars 1482. Maximilien s'était montré un moment dans le Hainaut, et avait repris le chemin de Bruges, où Marie avait passé l'hiver. La duchesse, qui s'était vivement inquiétée de l'absence de son époux, et que préoccupait déjà peut-être le pressentiment de sa mort prochaine, voulut célébrer ce retour par une grande chasse au vol. Cette fête eut lieu par une belle matinée. Le duc monta à cheval avec Marie et toutes ses dames d'honneur, et ils sortirent de la ville. Les sires de Nassau, de Beveren, de Gruthuse, de Chimay, et d'autres seigneurs, les accompagnaient. La duchesse portait un émerillon sur le poing. Le duc et ses chasseurs prirent les devants, pour découvrir quelque gibier.

Pendant que Marie chevauchait ainsi, elle aperçut un héron posé à terre. Le faucon fut déchaperonné et lancé; le héron était pris. Elle continua sa course du côté où se creusait le nouveau canal, et vit en cet endroit un autre héron. Voulant pousser sa haquenée de ce côté, et lui faire franchir un fossé, elle la frappa de la main. Mais le pied manqua au cheval; il s'abattit, et tomba sur la duchesse, qui eut le corps, pour ainsi dire, brisé par cette chute. On la rapporta dangereusement blessée; mais on ne croyait pas que sa vie fût en péril. Pour ne pas inquiéter l'archiduc, ou par pudeur, dit-on, elle ne laissa pas les médecins panser la profonde blessure qu'elle s'était faite. Le mal s'envenima, la duchesse devint de plus en plus malade, et, trois semaines après sa chute, elle mourut le 27 mars 1482, à l'âge de vingt-cinq ans.

Maximilien fut inconsolable de cette perte, qui d'ailleurs allait lui préparer une position toute nouvelle dans les provinces des Pays-Bas, comme nous allons le voir dans les pages qui suivent.

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LIVRE VIII.

HISTOIRE DES PAYS-BAS SOUS LE RÈGNE DE LA MAISON
DE HABSBOURG, JUSQU'A L'ABDICATION DE CHARLES-
QUINT.

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BOURGOGNE JUSQU'A L'AVÉNEMENT
DE CHARLES-QUINT. 1482-1515.

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Les Gantois s'emparèrent du jeune Philippe et de Marguerite sa sœur; et les membres du pays de Flandre formerent un conseil de régence, composé de l'évêque de Liége, de Wolfram de Bor

§ I. RÉGENCE DE MAXIMILIEN JUSQU'A LA selen, de Philippe de Bourgogne, sei

MAJORITÉ DE SON FILS PHILIPPE LE BEAU.

En vertu du pacte matrimonial, Marie eut pour héritier légitime de ses seigneuries des Pays-Bas, non pas son époux, mais son fils l'archiduc Philippe. Cependant il était naturel que Maximilien prétendît à la régence et à la tutelle de son fils, mineur encore. Ce ne fut pas sans peine qu'il parvint à se faire nommer régent en Hainaut, en Brabant, dans le comté de Namur, et dans les provinces hollandaises, où la faction des Kabeljaauwschen lui prêtait un grand appui. Les Flamands eurent moins de confiance encore dans ce prince, pour lequel ils avaient conçu la plus profonde aversion. Le 17 juillet 1482, les villes de Gand, Bruges et Ypres, qui représentaient les trois membres du pays de Flandre, se confédérèrent par un traité, et commencèrent à lui montrer un esprit d'hostilité, contre lequel il lutta vainement. Ils tenaient que le duc n'était pas leur souverain, mais seulement le mari de leur souveraine; et, réclamant comme un privilége ce qui s'était en effet pratiqué souvent, les Gantois voulaient qu'on nourrit et qu'on élevât dans leur ville les enfants de madame Marie et du duc Maximilien. Il y en avait deux, Philippe, né en 1478, et Marguerite, née en 1480. Le troisième, François, qui avait vu le jour en 1481,

gneur de Beveren, et de Philippe de
Clèves, fils d'Adolphe de Ravestein.
Ensuite, pour rendre plus nulle encore
la position de Maximilien, ils entamé-
rent des négociations avec la France.

Ce prince devait souhaiter le réta-
car les embarras étaient loin d'être fi-
blissement de la paix avec Louis XI,
nis dans l'évêché d'Utrecht. Aussi l'ac-
complissement de ce souhait parais-
sait d'autant plus facile, que le roi était
fort malade, et désirait lui-même 'ar-
demment le terme des différends qui
divisaient les deux pays. Seulement les
Flamands y suscitèrent de graves dif-
ficultés; car, leur intention étant
d'accepter la paix à des conditions
fort onéreuses pour le jeune prince
soumis à leur tutelle, Maximilien ne
pouvait pas en réclamer de plus favo-
rables, s'il ne voulait hâter un rap-
prochement entre les Français et les
Gantois qui s'étaient déclarés contre
sement de son autorité en Flandre.
lui, et rendre ainsi impossible l'établis-
La principale condition que le roi te-
nait à poser était le mariage de la jeune
princesse Marguerite avec le Dauphin,
déjà fiancé à la fille du roi Édouard
d'Angleterre. La crainte de blesser par
cette rupture le roi anglais, et de le
cours à Maximilien, devait engager
conduire ainsi à prêter de grands se-
Louis XI à pousser ses négociations
avec énergie, et à les amener promp-

tement à terme. Aussi elles furent conduites avec la plus grande célérité possible: si bien que l'archiduc n'eut pas même le temps de renouveler les tentatives d'accommodement qu'il avait vainement faites dans l'assemblée générale des états du pays, convoquée par lui à Alost, au mois de mai 1482. Les Flamands n'y avaient point paru, et ils continuaient à lui montrer une opposition presque furieuse.

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Là, dit Philippe de Commines, firent plusieurs choses contre le vouloir dudit duc comme de bannir et d'oster aucuns d'auprès de son fils, et puis luy dirent le vouloir qu'ils avoient que ce mariage se fist pour avoir paix; et le lui firent accorder, vousist-il, ou non. » Ainsi entraîné par la volonté des gens de Flandre, que secondaient dans ce projet de paix les états de Brabant et de Hollande, Maximilien n'eut pas à choisir. Force lui fut de consentir à fiancer sa fille au Dauphin, et à abandonner, à titre de dot, l'Artois et la Franche-Comté, bien que Louis XI n'eût d'abord espéré obtenir qu'une seule de ces deux seigneuries. Même peu s'en fallut que les Flamands n'eussent également renoncé au Hainaut et au comté de Namur, afin de rompre ainsi à tout jamais l'union des provinces flamandes et des provinces wallonnes, placées sous la domination bourguignonne. Enfin les états du pays consentirent à la paix aux conditions acceptées par les gens de Flan dre, et elle fut signée à Arras le 23 décembre 1484.

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les terribles incursions que les Hoekschen faisaient, de ce côté, dans les terres hollandaises. Cependant les gens sages d'Utrecht étaient singulièrement fatigués de ces désordres, qui les ruinaient, et des taxes que cette guerre continuelle faisait peser sur eux. Aussi l'évêque n'eût pas manqué d'y être rappelé, sans les efforts d'Englebert de Clèves, lequel était venu se placer à la tête des mécontents, qui y dominaient en maîtres. Les choses en étaient venues au point que le souverain pontife s'en mêla. Le 1er août 1482, l'excommunication fut lancée contre Englebert de Clèves, et l'interdit fut fulminé contre les villes d'Utrecht etd'Amersfoort. Le mécontentement qui s'était déjà manifesté parmi les bonnes gens d'Utrecht n'en devint que plus vif; de sorte que le parti rebelle consentit enfin à entrer en négociations avec l'évêque; mais elles demeurèrent sans résultat.

Presque au moment où la paix fut conclue avec la France, une nouvelle explosion eut lieu dans la ville de Liége. Elle fut excitée par Louis XI, qui crut parvenir plus vite à faire consentir Maximilien à un traité pour lequel il éprouvait une si vive répugnance, en lui suscitant des embarras dans son propre voisinage. Pour cela une circonstance extraordinairement favorable s'était présentée. Le roi, voyant que toute possibilité de guerre avec les provinces flamandes était écartée, par suite des dispositions dans lesquelles les gens de Flandre se trouvaient à son égard, avait licencié une partie de l'armée qu'il entretenait à si grands frais sur les marches de leur pays. Or, Guillaume d'Aremberg, comte de la Marck, surnommé le Sanglier des Ardennes, attira à lui la plupart de ces bras inoccupés. Tous les bannis liégeois étaient venus se joindre à ces forces déjà si imposantes, et il résolut de s'emparer de la ville de Liége. Depuis longtemps ce remuant seigneur, qui cherchait à placer son fils sur le siége épiscopal, avait vécu en inimitié avec l'évêque, Louis de Bourbon. Jouissant d'une grande po

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