Page images
PDF
EPUB

haute importance pour les Espagnols; de plus, c'était de ce côté que la Zéelande était principalement menacée et inquiétée, le général Spinola tombant à chaque moment, du fond du port de l'Écluse, avec ses puissantes galères, sur les côtes zéelandaises, où les bâtiments de cette partie de l'Union souffraient souvent de grands dommages. Il importait de mettre un terme à ces courses incessantes. Aussi les états généraux amenèrent Maurice à transporter la guerre en Flandre. Après avoir réuni un corps assez considérable d'Anglais, d'Ecossais et de huguenots venus de France, s'élevant ensemble à douze mille fantassins et trois mille cavaliers, il entra avec sa flotte dans l'Escaut, et s'empara du fort Philippine, sur les frontières de Flandre. Puis il traversa à marches forcées Eecloo et Maele; et, après avoir passé sous le canon de la ville de Bruges, il dégagea Ostende, que les Espagnols tenaient bloqué, et planta ses tentes devant Nieuport, tandis qu'une flotte hollandaise entrait dans le port d'Ostende avec des vivres, de l'artillerie, et les bagages de l'armée. C'était vers la fin du mois de juin 1600. Depuis la fin du mois d'août de l'année précédente, l'archiduc Albert se trouvait de retour aux Pays-Bas, où il avait amené son épouse, l'infante Isabelle. La marche rapide et la manœuvre inopinée des confédérés lui avaient inspiré les inquiétudes les plus vives. Il était devenu manifeste pour lui que le prince Maurice avait l'intention de s'emparer de Nieuport et de Dunkerque, et de dominer ainsi la Flandre par ses ports de mer. Aussi il se hâta de mettre sur pied une armée de dix mille hommes d'infanterie et de seize cents chevaux, et se mit en marche avec tant de vitesse qu'il reprit Oudenbourg avant que Maurice en fût averti. La garnison qui occupait ce fort s'enfuit en désordre à Ostende, où elle porta l'alarme et annonça que l'armée de Maurice était coupée, Albert ayant pris position entre ce port et les confédérés. En effet, l'armée espagnole avait entièrement intercepté les com

munications du prince d'Orange avec sa flotte, qui était mouillée dans les eaux d'Ostende. Ainsi, toute retraite étant devenue impossible, Maurice ne pouvait se frayer un chemin qu'en passant sur le corps à l'archiduc. Il se hâta donc de prendre ses dispositions pour une bataille, devenue inévitable. Le 1er juillet, il se trouva littéralement cerné d'un côté par les dunes de la mer, de l'autre par l'ennemi, qui avait déjà enlevé quelques détachements chargés des vivres. Afin de ne pas être pris en flanc, et pour garder ses derrières libres, il s'enfonça plus avant dans les dunes, où il concentra ses forces dans une masse serrée et compacte. Le lendemain, un corps considérable, que le comte Ernest de Nassau lui amenait, fut taillé en pièces par les Espagnols, presque sous les yeux de l'armée principale. On crut Maurice perdu sans miséricorde. Lui, fut le seul à ne pas désespérer de sa position. Il fit ordonner à la flotte de lever l'ancre; et, après avoir dressé ses batteries et rangé son armée en bataille, il parcourut les rangs de son armée, et dit à ses troupes qu'il n'y avait plus de choix à faire: qu'il fallait vaincre, ou périr dans les flots. Il était trois heures de l'après-midi. Le combat s'engagea aussitôt par quelques escarmouches, et bientôt la bataille fut générale. Elle dura jusqu'au soir, et se termina par la défaite complète des Espagnols, qui laissèrent près de cinq mille hommes sur le terrain, outre cent cinq drapeaux et les prisonniers, parmi lesquels se trouvait l'amiraĺ d'Aragon, Mendoza lui-même.

Cette victoire, si glorieuse pour les confédérés, répandit la consternation dans les provinces espagnoles. On craignait que Maurice, poursuivant le cours de ses succès, ne formât le siége de Nieuport et ne se fortifiât dans la Flandre. Mais ces craintes ne se réalisèrent point; car, avant la fin du mois de juillet, il s'était déjà embarqué pour la Hollande.

Cependant l'archiduc, ayant convoqué à Bruxelles les états généraux des provinces belges, leur fit connai

tre que, malgré le désir qu'il avait de faire la paix, il fallait, dans l'impossibilité où l'on était d'arriver à la conclure, se résoudre à continuer la guerre et à la pousser avec vigueur. Cette déclaration n'avait pour but que d'en venir à de nouvelles demandes d'argent, et elle conduisit naturellement les états des provinces catholiques à faire proposer de nouveau la paix à ceux des provinces de l'Union. Mais Oldenbarneveld leur répondit qu'aussi longtemps qu'il se trouverait des troupes espagnoles sur le territoire belge, on ne pourrait considérer l'archiduc comme le souverain indépendant de ce pays, ni conclure avec lui un traité sûr et durable. Des ouvertures faites dans le même sens par les Belges aux Anglais n'obtinrent pas un meilleur résultat. Ayant ainsi échoué dans cette double tentative, les provinces méridionales des Pays-Bas se décidèrent à fournir de nouveaux subsides à leur prince, pour l'aider à pousser la guerre avec l'énergie réclamée par les circonstances.

Pourvu des ressources nécessaires pour reprendre les hostilités, l'archiduc appliqua tous ses soins à la Flandre. Son but était de reprendre Ostende à tout prix; car il sentait trop bien qu'aussi longtemps que les confédérés seraient maîtres de ce port, le pays n'aurait aucune sûreté de ce côté contre les invasions des Hollandais, qui pouvaient, à chaque instant, pénétrer par ce point au cœur des provinces les plus importantes.

Le mois de juillet 1601 était venu; et Maurice, qui avait de nouveau transporté la guerre sur le Rhin, s'était rendu maître de Rhynberg. Le mois suivant, il avait investi la place de Meurs. Pendant ce temps, T'archiduc s'était brusquement porté devant Ostende, dont il avait commencé le siége. Mais la garnison se défendit si bravement, que Maurice eut tout le temps de menacer Bois-le-Duc vers la fin de la même année, et de prendre la ville de Grave au mois de septembre 1602. L'été

de l'année suivante arriva avant qu'Ostende se trouvât réduit aux dernières extrémités, bien que le siége fût commandé par le marquis Ambroise Spinola, un des officiers les plus entendus de cette époque dans la science des fortifications. L'archiduc pressait ce siége de toutes ses forces; mais l'année 1603 s'écoula tout entière sans que la ville se rendit. Cependant elle était serrée de si près, que les états confédérés sentirent la nécessité de jeter une armée sur les côtes de la Flandre, pour empêcher ce port important de tomber au pouvoir des Espagnols. Aussi, au mois d'avril 1604, le prince Maurice parut, avec un bon corps de troupes, dans l'fle de Cadzand en Zéelande, enleva Yzendyk et investit Aardenbourg. Bientôt après il commença le siége de l'Ecluse, qui se rendit le 20 août. Enfin, le 2 septembre, Ostende fut pris par l'archiduc. Mais cette perte, les confédérés l'avaient largement compensée par la possession de l'Écluse, dont le port offrait une importance infiniment plus grande. Albert recut donc un grand échec, plutôt qu'il ne remporta un avantage.

Mais, de leur côté, les états de l'Union avaient perdu une puissante alliée, l'Angleterre, depuis la conclusion de la paix entre ce royaume et l'Espagne, sous Jacques Ier, qui avait succédé en 1603 à la reine Elisabeth.

Tout le reste de l'année 1604, depuis la prise d'Ostende, on l'employa de part et d'autre à faire des préparatifs pour la campagne suivante. Le prince Maurice n'entreprit rien avant le printemps de l'an 1605. Alors il tenta de surprendre la ville d'Anvers, mais il fut repoussé avec une perte considérable.

Quand l'armée espagnole se fut refaite des sacrifices énormes que le siége d'Ostende lui avait coûté, Spinola songea à exécuter le projet qu'il méditait depuis longtemps, de pénétrer dans la Frise. Il laissa donc dans la Flandre un corps destiné à tenir tête à Maurice, qui avait pris position dans

le pays de Waos; puis il se porta brusquement, avec une armée de dix-huit mille combattants, sur le Rhin, et s'avança dans l'Over-Yssel, où il s'empara de la place d'Oldenzeel. Maître de cette ville, il rentra en Westphalie, et emporta Lingen après huit jours de siége.

Aussitôt que Maurice eut appris que cette forteresse était menacée, il remit le commandement de la Flandre à un de ses capitaines, et se mit à la poursuite de Spinola. Mais il arriva trop tard pour l'empêcher de s'emparer de Lingen. Les deux armées se trouvèrent bientôt en présence, et le prince d'Orange essuya près de Muhlheim une défaite qui le força de se retirer avec des pertes assez considérables. Presque en même temps Wachtendonck tomba entre les mains des Espagnols, pendant que l'archiduc tentait vainement de surprendre Bergop-Zoom.

Sur ces entrefaites l'automne arriva, et la mauvaise saison força les deux armées à prendre leurs quartiers d'hiver. Les états des Provinces-Unies mirent à profit ce temps de repos pour prendre leurs mesures pour la campagne prochaine, résolus cependant à se tenir sur la défensive.

L'année 1606 arriva, et la guerre se rouvrit. Spinola divisa son armée en deux corps; il remit l'un, composé de onze mille hommes, au commandement du comte de Bucquoi, et il garda sous ses ordres l'autre, composé de treize mille combattants. Il comptait pouvoir entrer avec ce dernier dans la Frise par le territoire de Drenthe. Mais les pluies continuelles ayant rendu le sol entièrement impraticable, il fut forcé d'abandonner son projet. D'ailleurs Maurice occupait avec ses troupes les bords de l'Yssel, et avait jeté de bonnes garnisons dans les places de Deventer, de Zutphen et de Doesburg. Cependant il avait négligé Lochem, dont Spinola se rendit maitre. En même temps Bucquoi essayait de pénétrer dans le Betuwe; mais le prince d'Orange, qui s'était fortifié sur l'Yssel et sur le Wahal, lui barra

le passage. Alors Spinola voulut essayer une pointe sur Zwolle. Cette tentative ne réussit pas mieux que celle de Bucquoi, et le capitaine espagnol se contenta, pour cette campagne, de la prise de Grol et de Rhynberg.

Cette année avait complétement épuisé les ressources de l'archiduc; de sorte qu'il songea plus sérieusement que jamais à entamer des négociations avec les Provinces-Unies. D'ailleurs, de nouvelles mutineries avaient éclaté à plusieurs reprises parmi les troupes espagnoles, et les rebelles étaient entrés en arrangement avec les états confédérés: D'un autre côté, le développement prodigieux qu'avait pris la puissance maritime des provinces de Hollande et de Zéelande menaçait incessamment d'une ruine complète le commerce espagnol et portugais. Le roi Philippe III devait donc également désirer la paix.

Dans ces circonstances impérieuses, il fut fait des ouvertures, au nom de l'archiduc et d'Isabelle, d'abord au comte Guillaume-Louis de Nassau et à l'avocat des états, Oldenbarneveld; ensuite aux états généraux des provinces eux-mêmes. Ces ouvertures eurent pour premier résultat de rendre plus vive la mésintelligence qui régnait entre Maurice et Barneveld. Le premier insistait fortement pour que la guerre fût continuée; le second inclinait vers la paix pour plusieurs motifs d'abord, parce qu'il voyait à regret le prince habituer de plus en plus l'armée à ne voir que dans lui seul le chef de l'État, et qu'il le soupçonnait de viser à l'autorité suprêine; ensuite, parce que toutes les provinces, excepté la Hollande et la Zéelande, étaient fatiguées d'une lutte aussi longue, qui les épuisait de plus en plus. Aussi, ce ne fut qu'avec beaucoup de peine que Barneveld parvint à amener Maurice à consentir à des négociations. Les bases posées par les archiducs étaient : «< qu'ils témoignaient le désir de traiter avec les états généraux des Provinces-Unies, comme les tenant pour pays, provinces et États libres, sur lesquels Leurs

Altesses n'avaient rien à prétendre, pour une paix perpétuelle, ou pour une trêve de douze, de quinze ou de vingt ans, au choix des états; à condition que, si l'on venait à conclure l'une ou l'autre, chacun demeurerait en possession de ce qu'il tenait, à moins que par accommodement on vînt à faire l'échange de quelque ville ou place par consentement mutuel. »

Le négociateur des archiducs était le P. Neyen, provincial des franciscains. Il obtint, le 12 avril 1607, une sorte d'armistice qui, à dater du 4 mai suivant, devait se prolonger pendant huit mois. Cependant cette suspension d'armes, conclue seulement entre les provinces belges et hollandaises, n'empêcha point la guerre maritime de suivre son cours; et elle laissa précisément aux états leur liberté d'action là où ils étaient les plus forts. Une flotte hollandaise, composée de vingtsix bâtiments, et placée sous les ordres de l'amiral Van Heemskerk, était partie du port de Texel, et mouillait dans les eaux de Lisbonne. Elle reçut tout à coup l'ordre d'attaquer les Espagnols dans la baie de Gibraltar, où elle les battit à outrance. Cet événe

ment faillit un instant rompre les négociations. Mais les états, se rendant enfin aux instances des archiducs, et d'une ambassade que leur envoya le roi de France Henri IV, consentirent à rappeler leur flotte.

La cour d'Espagne avait ratifié l'armistice le 30 juin, mais dans des termes vagues et généraux, et sans la clause essentielle de l'indépendance des Provinces-Unies; de sorte que les états demandèrent, avant de vouloir entrer dans des pourparlers ultérieurs, une déclaration nouvelle, qui fut en effet signée à Madrid le 18 septembre. Alors seulement commencèrent les négociations réelles à la Haye. Elles traînèrent singulièrement en longueur, les états ayant demandé, comme préliminaires du traité, un acte solennel de leur indépendance, et une renonciation expresse, dans la forme la plus étendue, à toute espèce de droits et de prétentions sur

les Provinces-Unies, tant au nom du roi qu'au nom des archiducs et de leurs successeurs, avec l'obligation d'abandonner les armes, titres et marques quelconques de leur ancienne souveraineté de ces provinces. Les députés des archiducs réclamaient, de leur côté, que les Provinces renonçassent à la navigation et au commerce des Indes. Il était impossible qu'on s'entendit au sujet de ces prétentions réciproques; on s'obstina donc de part et d'autre. Aussi, par une résolution du 23 août 1608, les états généraux déclarerent qu'ils rompaient toute espèce de négociation.

Les choses en étaient à ce point, quand le roi de France et celui d'Angleterre chargèrent leurs ambassadeurs de proposer un traité de lon. gue trêve. Enfin ce terme moyen fut adopté, et, le 9 avril 1609, on signa une trêve de douze ans, dont les deux rois se portèrent garants, et dont les principales stipulations sont que « les archiducs déclarent, tant en leur nom qu'au nom du roi d'Espagne, qu'ils sont contents de traiter avec les seigneurs états généraux des ProvincesUnies, comme les tenant pour pays, provinces et Etats libres, sur lesquels ils n'ont rien à prétendre; que la trêve sera bonne, ferme et inviolable pour le terme de douze années, et sera une cessation d'actes d'hostilités, de quelque sorte qu'ils puissent être, entre les susdits roi, archiducs et états, tant par terre que par mer, en tous leurs royaumes, provinces, pays et seigneuries, sans exception de places ou de personnes; qu'un chacun retiendra les provinces, villes, places, pays et seigneuries qu'il possède présentement, en comprenant les places, bourgs et villages qui en dépendent; que les sujets et habitants des susdits seigneurs, roi, archiducs et états tiendront toute bonne correspondance et amitié, sans se souvenir des offenses et dommages qu'ils ont soufferts; et pourront venir et demeurer au pays les uns des autres, pour y faire leur commerce en assurance, tant par mer que par terre,

seulement dans les royaumes, provinces, pays et seigneuries que le susdit roi possède en Europe; que les sujets et habitants des pays des états auront la même assurance et liberté dans les pays du roi et des archiducs, laquelle à été accordée aux sujets du roi de la Grande-Bretagne, dans le dernier traité de paix, et dans les secrets articles conclus avec le connétable de Castille; que les sentences prononcées entre personnes de divers partis, sans avoir été défendues, en matière civile ou criminelle, ne pourront être exécutées ni contre les personnes condamnées, ni contre leurs biens, pendant la trêve; que ceux dont les biens ont été arrêtés ou confisqués à cause de la guerre, leurs héritiers ou ceux qui y ont droit, jouiront de ces biens durant la susdite trêve, et en prendront possession de leur propre autorité, en vertu du présent traité, à condition néanmoins qu'ils ne pourront en disposer, ni les charger ou amoindrir, durant le temps de cette jouissance; que la même stipulation s'applique aux héritiers du prince d'Orange; que les membres de la maison de Nassau ne pourront être

poursuivis ni molestés en leurs personnes ou biens durant ladite trêve, à cause des dettes du prince d'Orange contractées depuis l'an 1567 jusqu'à sa mort; que les sujets et habitants des pays des archiducs et des états, de quelque qualité ou condition qu'ils soient, sont déclarés capables de succéder les uns aux autres tant par testament qu'autrement, selon les coutumes du lieu; enfin, que tous les prisonniers de guerre seront relâchés de part et d'autre sans rançon. »

Tel est le contenu de cet acte célèbre, le premier qui, depuis l'origine de cette guerre si longue, consacrât la reconnaissance de la souve raineté des Provinces-Unies, non pas encore d'une manière diplomatique et absolue, mais au moins d'une manière indirecte.

Ce document ferme la première phase de la révolution des Pays-Bas. Maintenant que ce grand déchirement s'est opéré entre les provinces dont ils se composaient, nous allons voir comment les Provinces-Unies s'élevèrent au degré presque fabuleux de puissance et de grandeur où le dix-septième siècle les vit placées.

« PreviousContinue »