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entretenir, toute la faute de cette négligence fut rejetée sur le prince d'Orange et sur le duc de Brunswick, dont on disait toujours qu'il ne faisait que suivre les inspirations. Le duc surtout devint l'objet de l'animadversion publique, et il fut un moment sur le point d'être mis en accusation. Les états de Hollande se bornèrent à demander que sa conduite devînt l'objet d'une enquête, et, à la suite de cet acte, qu'il fût renvoyé du territoire de la république. Les provinces d'Utrecht, de Frise et de Zéelande se rallièrent à cette proposition, et le duc tut enfin force de sortir du pays.

Grâce à l'intervention de la France, on n'en vint cependant pas à des hostilités ouvertes. L'empereur se contenta des forts de Lillo et de Liefkenshoek, qui lui furent remis; de la démolition de quelques autres forts, et d'une somme de dix millions de florins. Il laissa aux états généraux la place de Maestricht et la domination exclusive de l'Escaut. Cet arrangement fut suivi d'un traité d'alliance défensive entre la France et les Provinces-Unies, qui fut conclu, à la grande joie des patriotes, le 12 novembre 1785.

Tous ces événements et toutes ces difficultés avaient donné une grande force au parti des républicains, et ieur opposition en était devenue d'autant plus vive contre le prince d'Orange. Dans presque toutes les villes ils eurent bientôt le dessus, et des collisions ne tardèrent pas à avoir lieu sur tous les points du pays. Le prince, ne se trouvant plus en sûreté à la Haye, quitta enfin cette résidence, et la Hollande, avant la fin de 1785.

Ces divisions intestines firent craindre à la France, alliée des patriotes, et à la Prusse, alliée de la famille d'Orange, l'explosion d'une guerre civile dans la république : aussi ces deux puissances résolurent de la prévenir par leur médiation. Mais Louis XVI ne tarda pas à abandonner ce rôle pacifique, dans l'espoir d'acquérir une influence décisive sur les affaires des Provinces-Unies, par le triomphe du

parti républicain. Cet abandon isola complétement le plénipotentiaire de Prusse à la Haye, dont les efforts n'obtinrent aucun résultat. Les esprits sages qui se trouvaient parmi les patriotes ne réussirent pas davantage a caliner l'effervescence, qui se manifestait de plus en plus. Les partis s'irritaient chaque jour davantage; et cette irritation, portée jusqu'à la fureur, fit couler le sang, le 9 mai 1787, près de Vreewyk sur le Leck. La guerre civile se trouvait allumée. La ville d'Utrecht était surtout la plus ardente dans cette lutte. Aussi les états généraux résolurent, contrairement à l'avis des états de Hollande, d'intervenir à main armée dans les sanglants débats que cette ville avait suscités. Cependant il restait encore quelque espoir de terminer pacifiquement ce déplorable état de choses.

La princesse d'Orange voulut ellemême le tenter, et elle prit, au mois de juin, le parti de revenir à la Haye. Mais les patriotes l'arrêtèrent entre Gouda et Schoonhoven, et la forcèrent à retourner à Nimègue, où la cour s'était retirée. Cette insulte, ainsi faite à sa sœur, irrita vivement le roi de Prusse Frédéric-Guillaume II, qui en demanda aussitôt satisfaction aux républicains : ils lalui refusèrent, car ils comptaient sur l'appui d'un corps d'armée français qui s'était réuni près de Givet, sur la Meuse. Mais l'Angleterre intervint au même instant; et, menaçant de commencer la guerre contre quiconque empêcherait le roi de Prusse de demander une juste satisfaction, elle tint de cette manière la France en échec.

Le 13 septembre 1787, le duc Ferdinand de Brunswick entra sur le territoire de la république avec une armée de vingt mille Prussiens. La place de Gorcum se rendit, après n'avoir essuyé que le feu d'une seule bombe; et le rhingrave de Salm s'enfuit avec ses huit mille partisans, emportant la caisse de l'armée. Enfin, le 18 septembre, la majorité des états de Hollande réintégrèrent le prince

d'Orange dans toutes ses dignités et dans tous ses pouvoirs; et, deux jours après, il fit son entrée à la Haye.

Les patriotes avaient été dispersés de tous côtés dans les provinces par des détachements prussiens. La ville d'Amsterdam seule offrit une résistance sérieuse. Mais, après quelques combats énergiques, elle fut réduite à capituler le 8 octobre.

Tous les corps patriotes furent désarmés. On déposa les fonctionnaires nommés par les patriotes, et la lutte finit, la princesse d'Orange s'étant contentée de la retraite des membres des états de Hollande, et des ma

gistrats des villes qu'elle désigna. L'armée prussienne se retira ensuite du pays, laissant un corps de trois mille hommes à la disposition des états généraux, pour le terme de six mois.

Si la lutte était ainsi terminée, les haines n'étaient point apaisées. Il y eut de violentes et brutales réactions contre les vaincus, des persécutions mesquines, des pillages populaires, toutes les conséquences des passions déchaînées, levain d'une révolution mal faite, mais qui devait produire bientôt une révolution plus terrible.

HISTOIRE DES PROVINCES BELGES JUSQU'EN 1790,

CHAPITRE PREMIER.

Jusqu'au traité d'Aix-la-Chapelle, signé le 2 mai 1668, la situation

LES PROVINCES BELGES JUSQU'EN politique et territoriale des provin

1713.

Le gouvernement des archiducs Albert et Isabelle laissa entièrement in tacte l'ancienne organisation qui avait été donnée par le roi Philippe II aux provinces belges retournées sous la domination des souverains espagnols. Cependant les états généraux de ces provinces n'étaient que fort rarement convoqués. Nous les voyons se réunir en l'an 1600, pour régler l'état civil, militaire et financier du pays, après que l'archiduc Albert eut été investi de cette partie des PaysBas. Nous les voyons s'assembler de nouveau en 1632, quand l'archiduchesse Isabelle, après les succès des armes hollandaises dans les provinces belges, se vit réduite à entrer en négociations avec les ProvincesUnies. Mais ce fut la dernière fois que les états généraux belges figurèrent en corps, sous le règue de la maison de Habsbourg.

Après la conclusion de la paix entre l'Espagne et la république des Pays-Bas en 1648, la guerre continua pendant quelques années encore entre l'Espagne et la France. Ce furent surtout les provinces belges qui en

furent le théâtre: elle ne se termina que le 7 novembre 1659, par le traité des Pyrénées, qui adjugea à Louis XIV, dans l'Artois, Arras, Hesdin, Bapaume, Lille, Lens; dans la Flandre, Gravelines, Bourbourg, Saint-Venant; dans le Hainaut, Landrecies, le Quesnoy, Avesnes, Marienbourg, Philippeville; dans le Luxembourg, Thionville, Montmédi et Dampvillers; et la France, de son côté, restitua à l'Espagne Ypres, Oudenaerde, Dixmude, Furnes, Merville, Menin et Commines.

ces belges resta entièrement intacte. Après la première phase de la guerre de la succession, cet acte assura à la France les conquêtes qu'elle venait de faire dans ce pays, à savoir ies places de Charleroi, de Binche, d'Ath, de Douai, de Tournai, d'Oudenaerde, de Lille, d'Armentières, de Courtrai, de Bergues et de Furnes, contre la restitution qu'elle fit de la Franche-Comté.

Ce traité fut détruit par celui de Nimègue, qui intervint ie 10 août 1678, et fit rendre par les Français à l'Espagne une partie des territoires du Hainaut et de la Flandre, qu'ils avaient obtenus par la paix d'Aix-laChapelle, c'est-à-dire, Charleroi, Binche, Ath, Oudenaerde et Courtrai avec leurs prévôtés, châtellenies et dépendances; tandis qu'il assurait à Louis XIV la Franche-Comté, le Cambrésis, et les villes de Valenciennes, Bouchain, Condé, Aire, Saint-Omer, et leurs dépendances; celle d'Ypres avec sa châtellenie, celles de Werwick, Warneton, Poperingue, Bailleul, Cassel, Bavai, Maubeuge, et leurs appartenances.

A la suite de la nouvelle guerre que fit éclore le système des chambres de réunion, instituées par Louis XIV, comme le lecteur l'a déjà vu, nous assistons à une série de nouvelles batailles dont ia Belgique est de nouveau le théâtre, et que la paix de Ryswyck, en 1697, vient fermer à son tour, en remettant les choses dans l'état où elles s'étaient trouvées après le traité de Nimègue, et en ne donnant à la France que quelques villages voisins de Tournai.

La Belgique, bouleversée par tous ces événements, et à chaque instant mutilée dans ses frontières, reste

enfin, quelques années, en repos dans les limites que l'acte de Ryswyck lui a données. Elle existe jusqu'à l'extinction de la ligne espagnole de la maison de Habsbourg.

Pendant la guerre de la succession d'Espagne, et particulièrement par suite de la campagne de 1706, la plus grande partie des Pays-Bas espagnols, qui s'était déclarée pour Philippe V, était tombée au pou voir des Hollandais et des Anglais alliés, qui l'avaient occupée au nom du roi Charles III. Un nouveau conseil d'Etat, composé exclusivement de nationaux et formé sur les bases de l'ancien, avait été investi de l'administration de ces provinces. Il n'obéissait cependant pas directement à Charles III; mais il relevait d'un collége de commissaires anglais et hollandais, qu'on appelait la conférence. Cette conférence transmettait au conseil d'Etat, sous le nom de réquisitions, les mesures que l'Angleterre et les Provinces-Unies jugeaient nécessaires; et elle était ainsi, à vrai dire, l'autorité souveraine du pays.

Les événements qui se succédèrent jusqu'à la conclusion du fameux traité de la barrière ont déjà été développés; nous y renvoyons le lecteur.

CHAPITRE DEUXIÈME.

LES PROVINCES BELGES SOUS LA DOMINATION de l'autriche jusQU'EN 1786.

La signature du traité de la barrière produisit d'abord un vif mécontentement dans toute la Belgique. On craignait que les Hollandais ne missent à profit l'occupation militaire des principales forteresses de ces provinces, pour opprimer le pays, et achever d'en ruiner le commerce. Aussi les états de Brabant et de Flandre firent à Vienne des remontrances réitérées à l'empereur, pour l'engager à défendre la dignité de sa couronne. Ces représentations eurent

pour résultat de faire envoyer à la Haye un plénipotentiaire, dans le but d'entamer de nouvelles négociations, à l'effet d'obtenir que le nombre des places de la barrière en Flandre, tel qu'il était fixé par le traité, fût diminué. Les négociations se terminèrent par une convention, le 22 décembre 1718.

Immédiatement après la conclusion de la paix d'Utrecht, l'empereur Charles VI avait chargé du gouvernement général des Pays-Bas le prince Eugène de Savoie; mais celui-ci n'étant pas venu remplir lui-même ce poste, l'administration du pays avait été confiée au marquis de Prié, nommé ministre plénipotentiaire pour la Belgique, le 28 juin 1716. Ce seigneur représenta l'empereur à la cérémonie de son inauguration solennelle, qui eut lieu à Bruxelles le 11 septembre de l'année suivante. Il s'occupa ensuite, comme nous venons de le dire, de négocier avec la république hollandaise les modifications à apporter au traité de la barrière. La convention du 22 décembre 1718, qu'il signa avec l'Angleterre et les Provinces-Unies, réduisit à un cinquième le territoire assigné aux états généraux dans la Flandre, assura d'une manière plus positive aux habitants des lieux cédés le maintien et la liberté de la religion catholique, et enfin modifia l'article séparé qui désignait la Flandre et le Brabant comme devant servir d'hypothèque au subside annuel de cinq cent mille écus que l'empereur s'était engagé par le traité à payer à la république, et stipula que la noitié de cette somme serait prise sur les revenus des pays rétrocédés par la France, et l'autre moitié sur les droits d'entrée et de sortie.

Le mécontentement populaire avait été loin de se laisser apaiser par ces légères satisfactions. Dès le mois de juillet, le marquis de Prié avait envoyé au conseiller des finances De Neny, qui préparait à la Haye les négociations, une lettre où nous voyons combien les esprits étaient agités. « Je puis bien dire avec vérité, écrivait-il, que je n'ai guère eu de repos ni de

satisfaction depuis que je suis arrivé dans ce pays-ci, tant par rapport aux affaires de la barrière, qu'à l'extravagance de ces peuples et aux manœuvres qui se font pour causer tous ces troubles. Louvain commence à remuer, et l'on travaille à Gand et à Bruges pour exciter la populace. On se sert présentement des prétextes que fournissent les affaires de la barrière. S'il arrive quelque mouvement à Gand et à Bruges, je ne répondrais pas que cela ne passe à une révolte formée et générale du pays. J'attends au premier jour les réponses de la cour sur un projet que j'ai fait pour éteindre ce feu dans sa naissance, et ne pas laisser durer plus longtemps ce désordre. Je ne doute pas que la cour envoie un corps de troupes, dès que la trêve sera conclue avec les Turcs. Mais le chemin est un peu long de Belgrade jusqu'ici; c'est ce qui m'a fait souhaiter un remède plus prompt. Je n'en connais pas de meilleur que de prendre deux ou trois mille hommes de troupes palatines, et trois autres mille des troupes anglaises qui sont dans les États du roi d'Angleterre en Allemagne. Avec un pareil renfort, nous rangerons bientôt ces mutins à la raison, et nous rétablirons le calme dans tout le pays, jusqu'à ce qu'après l'arrivée des troupes impériales, on puisse rechercher la source de tous ces désordres, et y remédier une fois pour toujours. » Ce document se termine par ces paroles : « Je connais bien que je ne manque pas d'ennemis. »

Dans d'autres lettres adressées à Vienne, il ne s'exprime pas avec plus de ménagements pour des populations qu'il opprimait à plaisir dans tous leurs droits, et auxquelles il refusait jusqu'à celui de se plaindre.

Bruxelles était le principal foyer du mécontentement. Les sommes énormes que cette ville avait dû payer pour son contingent, dans le subside accordé aux états généraux de la république, avaient singulièrement épuisé ses finances. En 1717, le marquis de Prié demanda aux représentants du tiers-état, qu'on appelait

et

les doyens des nations, le quadruple impôt du vingtième. Il employa, il épuisa tous les moyens pour les engager à y consentir, raisonnements, promesses, menaces. Les doyens se réunirent quatre-vingt-dix fois à l'hôtel de ville, et ils persistèrent constamment dans leur refus. Peu de temps après, les magistrats et les doyens furent renouvelés. François Agneessens, fabricant de grosses chaînes en cuir, fut du nombre des doyens. En 1718, on renouvela la demande du quadruple impôt. Mais les doyens ne se contentèrent pas de le refuser; ils exigèrent, en outre, qu'on leur rendit compte de l'emploi du subside antérieur. On ne leur répondit pas. Alors toute la populace se souleva, se mit à piller la maison du bourgmestre et l'hôtel du chancelier, et à dévaster plusieurs autres habitations. Ces désordres eurent lieu le 17 et le 23 juillet. Ne se trouvant pas en mesure de les réprimer, de Prié laissa faire l'émeute et garda le silence. Mais il fit venir des troupes; et, le 14 mars 1719, on arrêta les doyens des neuf corps de métiers et cinq bourgeois de la ville, qui furent conduits à la prison criminelle. Les rues par où ils passèrent étaient bordées des soldats de toute la garnison, qui avaient ordre de faire feu au premier bruit ou au premier mouvement. Le 19 septembre, leur sentence fut prononcée. Celle d'Agneessens contenait vingt chefs d'accusation, dont la plupart consistaient en simples propos tenus. Il fut condamné à avoir la tête tranchée, et conduit à la chancellerie pour y entendre lire sa sentence dans la chambre du conseil, qui s'y trouvait assemblé. On l'y mena sur une charrette, le dos tourné vers le cheval, ayant son confesseur devant lui. Il était suivi de sept autres, condamnés à être pendus, pour avoir eu la principale part au pillage. Ils subirent tous leur supplice sur la grande place de Bruxelles.

Cette exécution jeta la ville et le pays dans une stupeur profonde, et l'on se demanda si les temps du duc d'Albe étaient revenus, et si l'Autriche allait rivaliser avec l'Espagne, en res

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