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il faut compter la frontière de terre pour quatre-vingts lieues; ensuite en partant du cap Creuz, en suivant les côtes de la Catalogne, des royaumes de Valence, de Murcie, de Grenade, de l'Andalousie, en franchissant le détroit, en comprenant une partie de celles du Portugal et jusqu'au cap Saint-Vincent dans les Algarves, on trouve deux cent soixante-dix lieues; de cet endroit jusqu'à la pointe du Finistère en Galice, il y a encore cent cinquante lieues; enfin, pour achever de fermer le polygone, en longeant la côte de la Galice, des Asturies, de lå Biscaye, de la Guipuscoa jusqu'à la frontière de France, il faut ajouter cent trente-quatre lieues.

Sous la domination des Goths la Péninsule ne faisait qu'un seul royaume. Sous celle des Maures, elle a été fractionnée en une multitude de petits États indépendants les uns des autres. La couronne d'Aragon, celle de Castille et celle de Portugal ont successivement absorbé toutes ces petites seigneuries. Le mariage de Ferdinand et d'Isabelle a réuni la Castille et l'Aragon. Enfin, en 1580, le Portugal a été joint à l'Espagne par Philippe II; mais après être resté province espagnole pendant soixante années, il a ressaisi son indépendance. Depuis, cette époque il a toujours formé un État séparé.

Cet ouvrage doit traiter seulement de l'Espagne; et pour avoir la figure de ce royaume, il faut retrancher le territoire portugais de la Péninsule telle qu'elle vient d'être décrite. Celuici forme un étroit parallélogramme, une espèce de bande, d'une largeur seulement de trente myriamètres, située le long de la côte occidentale, dont, au reste, il n'occupe pas toute l'étendue. Il n'a guère que soixante myriamètres du sud au nord, et s'arrête au bord du Minho, en sorte qu'il forme comme une entaille à l'extrémité de ce cuir de bœuf.

Des montagnes. - La Péninsule est presque entièrement couverte par des chaînes de montagnes que les habitants appellent sierras, scies, parce que les sommets qui se détachent sur le ciel

donnent assez bien l'idée des dents de cet outil. Ils les appellent aussi cordilleras, mot qu'on a essayé de franciser et qui est au moins resté dans notre langue pour désigner les Andes, cette immense chaîne de montagnes de l'Amérique du Sud, qui s'étend le long du grand Océan depuis le détroit de Magellan jusqu'au golfe de Darien.

Au nord, ce sont les Pyrénées qui servent de barrière entre la France et l'Espagne. Cette chaîne, qui s'étend de l'est à l'ouest sur une longueur d'environ quarante-cinq myriamètres, est large de vingt à vingt-cinq lieues. Les pics les plus élevés sont la Maladeta, le mont Perdu, le pic du Midi, le Canigou. Quoique ces montagnes soient très-élevées, et qu'en tout temps leurs sommets soient couverts de neige, cependant il y existe des chemins praticables. Les Espagnols les nomment des ports, puertos; its désignent par ce mot, et quelquefois, quoique moins souvent, par celui de col tous les passages resserrés entre deux élévations, ou bien entre une élévation et la mer ou un précipice.

Les plus importants de ces chemins sont celui de Saint-Jean-de-Luz à Irun, celui de Roncevaux à Saint-JeanPied-de-Port, célèbre par la mort de Roland, celui de Canfranc à Oloron, celui de Puycerda à Prades, et enfin celui de Junquière au Boulou.

Les Pyrénées ont peu de ramifications sur leur versant septentrional. Il n'en est pas de même du côté de l'Espagne. Elles donnent naissance à une foule de prolongements qui couvrent la Biscaye, la Navarre, l'Aragon, la Catalogne d'un dédale inextricable de collines et de vallées. Le plus important de ces rameaux est celui qu'elles envoient tout le long de la côte septentrionale, et qui, sous les noms de Sierra de Covadunga, de monts des Asturies, de Sierra de Benamarela, sépare la Biscaye de la Vieille-Castille, et les Asturies du royaume de Léon. Presque au sortir de la Biscaye, ce rameau donne lui-même naissance à un autre embranchement qui prend le nom de Sierra de Burgos. Jusqu'à Soria, cette

chaîne se dirige vers le sud-est, mais alors elle retourne vers le couchant et reçoit différents noms. Au nord de Madrid, et près de l'Escurial, elle s'appelle la Sierra de Guadarrama. Plus loin, elle devient la Sierra de Gata, de Estrella, de Alquecidao. Elle arrive ainsi jusqu'à la mer, auprès de Lisbonne, en suivant presque toujours le cours du Tage. Avant de prendre le nom de monts de Guadarrama, elle donne naissance à une branche nouvelle. Celle-ci, après s'être d'a bord dirigée vers le sud-est, retourne bientôt vers le couchant. Auprès de Cuenca, elle se subdivise elle-même en deux parties. Celle de droite est connue sous le nom de monts de Tolède. Elle suit la rive droite de la Guadiana, et va rejoindre l'Océan auprès du cap Saint-Vincent; l'autre, qui s'avance plus vers le sud, qui se rapproche davantage de la Méditerranée, et qui suit la rive gauche de la Guadiana, est la fameuse Sierra Morena. Enfin celle-ci a plusieurs branches. La plus méridionale décrit de nombreux circuits dans les royaumes de Murcie, de Grenade. Elle reçoit successivement les noms de Sierra de Sagra, de Segura, de Sierra Nevada, de Alpuxarras, de Sierra de Alhama, de Antequerra, de Ronda, et va finir à la pointe de Gibraltar.

Plusieurs de ces montagnes conservent les traces d'une origine volcanique. Dans beaucoup d'endroits de la Péninsule, on rencontre des matières qui évidemment ont été vitrifiées. Entre Carthagène et Murcie, pres de la mer, on voit encore, à Torre Vieja, un ancien cratère. Il conserve toujours sa forme, quoiqu'il soit éteint depuis si longtemps que, ni les historiens ni les traditions les plus éloignées ne parlent de ses éruptions.

En Catalogne, entre Gironne et Figuières, on remarque deux moutagnes de forme pyramidale, assez rapprochées l'une de l'autre pour que leurs bases se touchent. Elles sont égales en hauteur. Leur configuration, les matières dont elles sont couvertes, tout démontre de la manière la plus

claire qu'elles ont été autrefois des volcans. Ces faits peuvent donner l'explication d'une vieille tradition répandue en Espagne, et recueillie par les anciens auteurs. Autrefois, disent-ils, les Pyrénées étaient partout couvertes d'épaisses forêts. Des pasteurs y ayant allumé du feu pour se garantir du froid, ou pour faire cuire leurs aliments, la flamme gagna les bois, et l'incendie devint si violent, que nonseulement les buissons et les arbres, mais encore les rochers et les montagnes elles-mêmes brûlèrent jusqu'au fond de leurs entrailles. La chaleur devint telle que les métaux fondus s'échappèrent du sein de la terre, et qu'on les vit couler comme des ruisseaux de feu. Les flammes s'élevèrent si haut qu'on les apercevait des provinces les plus éloignées de l'Espagne, et que les endroits d'où l'on ne pouvait les voir étaient au moins éclairés par la lueur dont tout le ciel était embrasé. Depuis ce temps, ou les nomma les Pyrénées, c'est-à-dire, les montagnes enflammées, parce qu'en grec up signifie feu.

dans

Voilà, dit Pedro de Medina, ses Grandeurs d'Espagne, la véritable étymologie du nom que les Pyrénées n'ont reçu ni du roi Pyrrhus, ni d'une prétendue Pyrene, fille du roi Bébrix, amante d'Hercule, déchirée par les ours et enterrée dans les montagnes qui séparent l'Espagne de la France. Maintenant, si on dépouille ce récit de ce qu'il a de fabuleux, on pourra en tirer cette conséquence, que les volcans, dont le temps n'a pas entièrement effacé les traces, brûlaient encore lorsque les Grecs ont abordé sur la côte, et que c'est pour cette raison qu'ils ont donné aux Pyrénées leur nom, qui signifie montagnes de feu.

Parmi les hauteurs de la Péninsule, i en est peu d'aussi célèbre que le mont Serrat (le mont scié), situé à peu pres au milieu de la Catalogne, à sept lieues au nord de Barcelone; il est assez élevé pour qu'on puisse, de son sommet, apercevoir les hauteurs des îles Baléares, éloignées au moins de soixante lieues. Le mont Serrat

peut avoir huit lieues de circuit à sa base, qui est arrosée par le Llobregat. Les pics de cette montagne sont découpés comme les doigts de la main, ou plutôt ils représentent un immense jeu de quilles. C'est à cette configuration singulière qu'il doit le nom de mont Serrat.

On a construit sur la montagne un couvent, dont, en 1522, est sorti Ignace de Loyola, fondateur de l'ordre des jésuites. On y a bâti aussi douze ermitages, consacrés à saint Jérôme, sainte Madeleine, saint Onufre, sainte Catherine, saint Jacques, saint Michel, saint Antoine, au Sauveur, à saint Benoît, à sainte Anne, à la sainte Croix et au bon Larron.

On vénère dans ce monastère une image de la Vierge, trouvée d'une manière miraculeuse. En plaçant ici la légende qui raconte cette découverte, notre intention n'est en aucune façon d'approuver ou de contredire les faits qu'elle rapporte. Nous ne faisons

un ouvrage de critique. Notre but, notre désir est de peindre l'Espagne telle qu'elle est; de représenter le pays avec ses inconvénients et ses avantages; de montrer le naturel, les coutumes des habitants; de redire leurs croyances et même leurs préjugés. A d'autres le soin de vérifier si telle date est plus ou moins exacte, si tel fait est plus ou moins avéré. Pour nous, notre opinion est que des fables, lorsqu'elles ont cours dans un pays, doivent être recueillies aussi soigneusement que la vérité; car elles sont vraies sous un certain point de vue; elles peignent le génie du peuple, et ne seraient pas devenues populaires si elles n'eussent été en tout point conformes au caractère national.

Au reste, la voici telle qu'on la conte sept jeunes gens du village de Ministrol, en gardant leurs troupeaux au pied du mont Serrat, virent, pendant plusieurs samedis consécutifs, une grande quantité de cierges allumés qui descendaient du ciel, et se dirigeaient vers le flanc de la montagne, où ils entraient dans une caverne. Puis ils entendirent ensuite sortir de

cet endroit une douce harmonie de voix et d'instruments. Surpris de ce prodige, que leur intelligence ne pouvait expliquer, ils le contèrent à leurs parents, qui eux-mêmes en donnèrent avis au recteur d'Avilesa. Celui-ci était un saint homme qui venait tous les dimanches dire la messe à Ministrol; il voulut vérifier le fait, et le samedi suivant, ayant vu lui-même ces lumières qui descendaient du ciel, ayant entendu les chants mélodieux dont les anges faisaient retentir les airs, il en prévint l'évêque de Manresa, car cette ville était alors un siége épiscopal. Le dimanche suivant, l'évêque, avec son clergé, vint escalader la montagne; il entra dans la caverne, qui exhalait une odeur délicieuse, comme si les parfums les plus précieux y eussent été abondamment répandus. C'est dans cet asile que fut trouvée l'image de Notre-Dame. Elle est maintenant sur le maître-autel du couvent, et de toutes les parties de l'Espagne, il vient un grand nombre de pèlerins pour l'adorer.

Du détroit de Gibraltar et des mers qui baignent la Péninsule. Les premiers temps de l'histoire espagnole sont un mélange de peu de vérités et de beaucoup de mensonges. En la parcourant, vous rencontrez à chaque pas une légende chrétienne ou des souvenirs du paganisme; ainsi, le mont Serrat est renommé chez les modernes, mais Calpé et Abyla, les Colonnes d'Hercule étaient célèbres chez les anciens. Calpé est une hauteur située à l'extrémité de la Sierra la plus méridionale de l'Espagne. L'autre colonne est placée tout en face, sur la côte d'Afrique où elle forme l'extrémité occidentale du petit Atlas. Tout porte à croire qu'autrefois ces deux chaînes de montagnes ont été réunies. Quelque convulsion de la nature aura fait disparaître les monts qui les joignaient l'une à l'autre. La fable attribuait cette division à Hercule; ce serait lui qui, en les séparant, aurait fait communiquer l'Océan avec la Méditerranée.

Il y a longtemps que Calpé s'est

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dépouillée de son nom poétique pour prendre la dénomination mauresque de Gibraltar. Suivant quelques étymologistes, celle-ci viendrait des mots Gibel, montagne, et Tarif, le général maure qui vainquit le dernier des rois goths. Bernard Aldrète, dans ses Antiquités d'Espagne et d'Afrique, pense que ce mot vient seulement de GibelAar, ou Gibel-Tarf, ce qui, dit-il, signifie le haut de la montagne.

Quant au nom d'Abyla ou d'Abina, il est d'origine orientale, il n'a pas changé. Il veut dire élevé.

Le bras de mer qui sépare en cet endroit l'Espagne de l'Afrique, et qu'on nomme détroit de Gibraltar, a environ quatre lieues de largeur. Il y existe un courant qui va de l'ouest à l'est, et qui rend l'entrée des bâtiments plus facile que la sortie. La quantité d'eau que l'Océan déverse ainsi dans la Méditerranée est immense, et on se demandait comment elle pouvait être absorbée. Pour expliquer ce phénomène, on avait supposé qu'il existait au fond du détroit des courants qui, allant de l'est à l'ouest, restituaient à l'Océan une grande partie de ce que lui enlevaient les courants supérieurs. Des expériences récentes et des observations faites avec le plus grand soin ont prouvé que cette hypothèse était parfaitement fondée.

A l'est et au midi, depuis le pied des Pyrénées jusqu'au détroit de Gibraltar, l'Espagne est baignée par la Méditerranée à l'occident, et au nord par l'Océan.

Des eaux de la Péninsule. - On sait que les fleuves coulent presque toujours parallèlement aux chaînes de montagnes dont ils sortent. Avoir indiqué la direction de celles-ci, c'est avoir dessiné d'avance le cours des eaux qui arrosent la Péninsule. Toutes ses chaînes de montagnes, on se le rappelle, vont, en faisant plus ou moins de détours, de l'est à l'ouest. Tous les fleuves importants de l'Espagne, qu'ils coulent vers l'orient ou vers l'ouest, suivront tous à peu près une ligne perpendiculaire au méridien. L'Ebre, qui est le plus rapproché des Pyrénées, baignera, pour ainsi dire,

leurs bases; il ira, du couchant au sudest, se jeter dans la Méditerranée. Tous les autres suivront à peu près la même direction, mais avec une pente inverse. Ils roulent leurs eaux vers l'ouest, et vont en porter le tribut à l'Océan.

Les principaux fleuves sont : l'Ebre, le Guadalquivir, la Guadiana, le Tage, le Duero et le Minho. On en nomme encore d'autres d'une moindre importance, comme le Guadalete, le RioTinto, la Segura, le Xucar et le Turia et le Llobregat. Parmi les rivières il faut citer le Segré, le Génil, le Jalon, le Gallego, le Sil. Il faut enfin passer sous le silence beaucoup d'autres cours d'eau, car on ne porte pas leur nombre à moins de deux cent cinquante; il est vrai de dire que la plupart d'entre eux restent à peu près à sec pendant une grande partie de l'année, et qu'ils n'ont d'eau qu'à l'époque de la fonte des neiges.

L'Ebre, l'Ibérus des anciens, prend sa source au pied des montagnes de la Vieille-Castille. Il descend vers la Méditerranée. Son cours est d'environ cent vingt lieues espagnoles. Il reçoit presque toutes les eaux de la Navarre, de l'Aragon et de la Catalogne; la rivière d'Aragon, le Jiloca, le Jalon, le Gallego, le Cinca et le Ségré. On rencontre sur ses rives beaucoup de villes importantes: Logroño, Calahorra, Tudèle, Saragosse, Mora, Tortose; il va se jeter dans la mer, audessous d'Amposta. Ainsi que tous les fleuves de la Péninsule, il doit à la fonte des neiges la plus grande quantité de ses eaux. Leur volume est donc très-variable. 11 charrie une grande quantité de limon qui, en se déposant à son embouchure, a formé des bancs de plusieurs lieues d'étendue. Ces alfaques, c'est le nom que leur ont donné les Maures et qu'on leur a conservé, sont recouverts de quelques pieds, et plus souvent de quelques pouces d'eau seulement; quelquefois même ils sont tout à fait à sec. Ils produisent abondamment des herbes qu'on brûle pour faire de la soude. Dans d'autres endroits, il pousse d'im

menses touffes de roseaux qui servent de refuge à des myriades d'oiseaux aquatiques.

Le Guadalquivir (*) est celui que les anciens désignaient sous les noms de Boetis ou Tartessus.

On a déjà vu que la Sierra Morena se divisait en plusieurs branches. L'une d'elles se dirige le long de la Méditerranée, à travers les royaumes de Murcie et de Grenade, c'est la Sierra Nevada. La chaîne principale de la Sierra Morena se prolonge en courant vers l'ouest; puis, à une dizaine de lieues avant a'atteindre la frontière du Portugal, elle se détourne tout à coup vers le midi, et va finir à trente lieues environ au sud-est du cap Saint-Vincent. C'est dans le bassin formé entre ces deux lignes de montagnes que serpente le Guadalquivir. Il prend sa source dans cette partie de la chaîne méridionale, qu'on appelle la Sierra de Segura. Ses ondes fertilisent les fameux haras de Cordoue et les campagnes de Séville. Les plaines qu'il arrose sont assez unies, surtout au-dessous de Sé ville; en sorte que lorsqu'il vient à déborder, il couvre quelquefois une largeur de quatre lieues de terrain. Ses eaux ont de tout temps été renommées comme excellentes pour la teinture; voici à cet égard comment s'exprimait Martial (**): « Boetis aux cheveux << parés d'une couronne d'olivier, c'est « dans tes ondes limpides que les toi« sons dorées prennent de si vives cou«<leurs. Le Guadalquivir reçoit, audessous de Cordoue, les eaux du Genil qui descend des montagnes de Grenade. Il se jette dans l'Océan, à San Lucar de Barrameda.

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La Guadiana a son lit tracé au fond du bassin formé au sud par la Sierra Morena; au nord, par les monts de Tolède. Les anciens appelaient ce fleuve Ana ou Anas, ce qui, dans la langue des Celtes, signifie mère ou nourrice. Les Arabes n'ont fait qu'ajou

(*) En arabe Ouad-al-Quebir, le grand

Fleuve.

(**) Batis, oliviferà crinem redimite corona, Aurea qui nitidis vellera tingis aquis.

ter avant son nom le mot ouadi, fleuve. Il sort de plusieurs étangs qui communiquent entre eux, et qui sont alimentés par des sources intarissables. Après un cours de quatre lieues, il disparaît dans des prairies à côté d'Alcazar-san-Juan, dans la Manche. Sept lieues plus loin, il se montre de nouveau dans d'autres étangs, qu'on nomme les yeux de la Guadiana. C'est cette circonstance qui a fait dire que ce fleuve avait un pont de sept lieues, sur lequel on pouvait faire paître des milliers de moutons. La Guadiana ne s'engloutit pas dans un gouffre. Elle ne se précipite pas, comme le Rhône, sous une voûte creusée dans des collines. Elle décroît insensiblement à mesure qu'elle s'éloigne de sa source. Pour expliquer ce phénomène, on a supposé que le sol était, jusqu'à une certaine profondeur, composé de fragments de roches et de pierres calcaires, sans mélange de terres fortes capables de retenir l'eau qui passe à travers les interstices de ces cailloux. Ce qui donne quelque vraisemblance à cette supposition, c'est que, dans la partie du terrain qu'on appelle le pont, on a creusé des puits, et qu'au niveau du fleuve, on a trouvé de l'eau qui ne s'épuise jamais. Les yeux de la Guadiana sont de grands étangs, ou plutôt des marais alimentés par des conduits souterrains. Lorsque le fleuve a reçu toute l'eau que ces étangs lui fournis sent, il est assez fort pour faire tourner plusieurs moulins. Il a alors trentetrois mètres de large sur une profondeur de cent trente centimètres.

Le nom de ce fleuve, Anas, qui, en latin, signifie aussi un canard, a donné lieu à un jeu de mots que don Juan de Triarte a exprimé en deux vers latins, dont voici le sens (*) : « L'oiseau et le « fleuve Anas se ressemblent par leurs << habitudes ainsi que par leur nom; << l'oiseau plonge dans l'eau; le fleuve plonge dans la terre. »

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Les bords de la Guadiana sont couverts de pâturages si abondants que

(*) Ales et amnis Anas sociant cum nomine mores: Mergitur ales aquâ ; mergitur amnis humo.

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