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lieu de se proclamer seule tutrice d'Alphonse, de saisir l'autorité d'une main ferme, elle trembla, elle appela près d'elle son fils don Pedro; elle parla de partager le gouvernement; elle laissa envahir le pouvoir par tous ceux qui voulurent s'en emparer; elle n'osa pas essayer de donner la paix à la Castille; au reste, peut-être n'eûtelle pas réussi. La position était difficile, et les prétendants à la régence étaient nombreux d'abord, on trouve la reine Constance, la veuve de Ferdinand l'Ajourné; elle ne voulait pas abdiquer toute part d'autorité; il lui fallait des villes à régir, des États à gouverner; ensuite se présentait don Juan Manuel, fils de l'infant don Juan Manuel, frère d'Alphonse X. Il était commandant de la frontière de Murcie. Sa puissance, la consanguinité qui le liait au jeune roi, lui paraissaient des titres suffisants pour gouverner l'Etat.

L'infant don Juan, ce gendre et ce complice de Lope de Haro, celui qui, après avoir reçu la liberté de la clémence de son frère don Sancho, en avait profité pour porter les armes contre son pays et pour égorger le fils de Guzman le Bon, ce don Juan, qui avait rempli de tant de troubles et de tant de séditions la minorité de Ferdinand, prétendait aussi avoir au moins une part dans la tutelle.

Il ne faut pas oublier une de ces vieilles familles qu'on est accoutumé à voir mêlées à toutes les agitations du pays; les Lara, n'avaient pas désappris les discordes civiles, et Juan Nuñez de Lara fils du seigneur d'Albarraçin, réclamait également une part du pouvoir; enfin, la bonne reine Marie voulait s'étayer de l'appui de son fils; elle voulait que don Pedro l'aidât à supporter le poids des af faires. Tous ces prétendants avaient leurs affidés et leurs soldats; ils agissaient par les armes et par l'intrigue,

et chacun d'eux avait à son service un simulacre d'assemblée nationale qui lui déférait la tutelle. Ainsi, en 1313, aux cortes de Palencia, une assemblée, réunie dans le couvent de Saint-Fran

çois de cette ville, confiait la régence á la reine Marie et à l'infant don Pedro, tandis qu'une autre, qui se tenait dans le couvent de Saint-Paul, proclamait régents l'infant don Juan et la reine Constance. Ces assemblées se séparèrent sans rien avoir pu faire d'utile; plusieurs autres eurent le même résultat. Sur ces entrefaites, la reine Constance périt presque subitement le 17 novembre 1313. Cette mort diminua le nombre des compétiteurs sans diminuer beaucoup les embarras. Enfin, après bien des difficultés, ne pouvant s'accorder sur le choix d'un tuteur, on se détermina à diviser la tutelle. On décida que chaque prétendant exercerait l'autorité dans les villes qui l'avaient choisi, mais que la garde du jeune roi serait confiée à la reine Marie, son aïeule; qu'il n'y aurait pour tous les tuteurs qu'un seul sceau qui resterait, ainsi que la chancellerie, avec le roi et avec la reine. Ce partage de l'autorité ne rendit pas la tranquillité à la Castille; mais cependant elle permit à don Pedro de faire la guerre au roi Ismaïl. Il eut sur les Maures de nombreux avantages, et soit que l'influence et la popularité que ses victoires lui acquéraient eussent excité l'émulation de l'infant don Juan, soit que celui-ci ne vît dans ces entreprises que l'occasion d'y amasser du butin et de toucher une partie des subsides accordés par les cortès, il voulut aussi prendre part à une de ces expéditions. Les infants don Juan et don Pedro rassemblèrent, à Alcaudete, leurs troupes, qui pouvaient s'élever à 9,000 hommes de cavalerie; quant aux fantassins on n'en dit pas le nombre. Les deux généraux, bien qu'on fut parvenu aux jours les plus chauds de l'année, se déterminèrent à pénétrer jusque sous les murs de Grenade. Ils enleverent en passant la ville d'Illora. En donnant un jour de plus à cette conquête, ils auraient pu l'achever et prendre la citadelle, qui se défendait encore; mais ils marchaient avec tant de précipitation, qu'ils ne voulurent pas s'arrêter, et ils arrivérent en vue de Grenade, le samedi,

veille de la Saint-Jean-Baptiste. Ils restèrent deux jours dans la campagne de Grenade, sans rien faire de profitable. Le troisième jour, ils commencèrent à se retirer. Don Pedro commandait l'avant-garde, l'infant don Juan était au dernier escadron avec le bagage. Quand les Maures s'aperçurent que les chrétiens se retiraient, ils sortirent de la ville en grand nombre; on pouvait bien compter 5,000 cavaliers accompagnés d'une grande multitude de fantassins. Osmin, leur général, n'avait ni l'espoir de remporter une victoire, ni même l'intention de combattre; mais, à la faveur de la connaissance qu'il avait du pays, il voulait harceler les chrétiens. Cependant l'occasion se présenta plus favorable qu'il ne l'espérait. A l'heure la plus brûlante de la journée, l'armée des infants, qui ne portait pas de provision d'eau, se trouva éloignée de toute rivière; les guerriers étaient dévorés par une soif ardente; leurs pesantes armures d'acier, échauffées par tous les feux d'un soleil caniculaire, étaient devenues des fournaises; leurs bras avaient peine à porter leurs lances ou à soulever leurs épées. C'est en cet instant que les Maures se précipitèrent sur l'arrière - garde commandée par l'infant don Juan qui, ne se sentant pas en état de faire une longue résistance, envoya en toute hâte demander du secours à son neveu don Pedro. Celui-ci se donna beaucoup de mouvement pour rassembler et pour animer ses gens qui ne retournaient qu'à regret au combat. Il venait de tirer son épée pour les commander, quand il tomba tout à coup de son cheval, et il rendit l'âme sans prononcer un mot (*). En apprenant ce funeste événement, l'infant don Juan fut frappé comme l'avait été don Pedro; il s'évanouit; cependant il ne mourut pas sur le coup; il vécut jusqu'au soir, mais sans pouvoir proférer une parole. Dès

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que cette triste nouvelle se fut répandue dans l'armée, les soldats se grou pèrent avec empressement autour de leurs chefs. Les Maures, qui s'étaient occupés à piller les bagages abandonnés par l'arrière-garde, et qui n'avaient pas encore eu le temps d'apprendre la mort des deux infants, voyant une grande agitation dans l'armée des chrétiens, crurent que ceuxci allaient les charger, et se retirèrent à Grenade avec tout leur butin, en sorte que les Castillans purent librement se retirer. Ils placèrent le corps de l'infant don Pedro en travers sur une mule, et comme l'infant don Juan n'était pas encore tout à fait mort, on l'assit sur un cheval; mais dès que la nuit arriva, il rendit l'âme. La fuite était si rapide, qu'on ne faisait pas une grande attention à lui; son cadavre tomba de cheval sans qu'on s'en aperçût, et il resta sur la terre des Musulmans. Quand le fils de l'infant don Juan, qui se trouvait à Baena, apprit ce funeste événement, quand il vit qu'on ne rapportait pas le corps de son père, il en conçut un grand chagrin, et il écrivit à Ismaïl, roi de Grenade, en lui demandant de le faire chercher dans ses États sur la route que l'armée avait parcourue. Le cadavre fut retrouvé et rendu au fils de l'infant don Juan.

La mort qui frappait d'une manière si inattendue deux des régents ne pouvait manquer de causer encore de nouveaux troubles dans le pays. Ce ne fut pas sans de vives contestations que l'infant don Philippe put être substitué, dans la régence, à son frère don Pedro. Quant à l'infant don Juan, il eut son fils pour successeur; et ce prince trouva le moyen de se montrer plus turbulent encore et plus mauvais que ne l'avait été son père; aussi, comme son corps était à l'avenant de son âme, on l'avait surnommé don Juan le Contrefait (el Tuerto).

La mort de la reine Marie vint encore augmenter la confusion et le désordre. Elle rendit son âme à Dieu dans la ville de Valladolid, le mardi 1er juin 1322. Sentant sa fin approcher,

elle appela les principaux seigneurs de la ville, et leur fit promettre de garder le jeune roi jusqu'à sa majorité, et de ne livrer sa personne à aucun de ceux qui prenaient le titre de régents. Elle leur recommanda aussi l'infante Léonor, sœur du roi. Après qu'elle eut obtenu d'eux cette promesse, qui fut fidèlement exécutée, elle ne s'occupa plus que de son salut, et mourut laissant son pays dans la plus déplorable anarchie. Pour se faire une idée du spectacle que présentait alors le beau royaume de saint Ferdinand, il faut lire quelques lignes de la chronique d'Alphonse XI (*)."

« Les riches hommes et les chevaaliers vivaient d'exactions et de vols « qu'ils commettaient dans le pays. « Les tuteurs les laissaient faire pour « pouvoir, à leur tour, se prévaloir de leur aide; mais, aussitôt qu'un riche « homme ou qu'un chevalier quittait « le parti de l'un des tuteurs, celui qui « était abandonné ruinait les domaines «<et les vassaux du transfuge. C'était, disait-il, pour punir ce déserteur « des crimes qu'il avait commis avant « de quitter son parti. Cependant le << tuteur s'inquiétait peu de ces crimes, « tant que leur auteur lui gardait son « amitié.

«

« Toutes les villes, soit qu'elles eus<< sent reconnu le gouvernement de l'un « des tuteurs, soit qu'elles s'adminis<< trassent par elles-mêmes, étaient dé«< chirées par des factions. Dans les « villes où il y avait des tuteurs, les « plus puissants opprimaient les faiables; en sorte que ceux-ci s'occupaient « sans relâche du moyen de se sous« traire au pouvoir de ce tuteur, et « d'en faire prévaloir un autre, afin « de renverser en même temps et de « ruiner leurs ennemis. Dans les villes

où l'on n'avait pas reconnu de tu<< teurs, les plus forts s'emparaient des « revenus royaux pour entretenir de grandes troupes de gens armés, qui « leur servaient à opprimer ceux qui «< étaient moins puissants. Aussi, dans quelques-unes de ces villes, des trou« pes d'artisans se soulevaient sous le (*) Chronique d'Alphonse XI, ch. XL.

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prétexte de l'intérêt commun. Ils << saccageaient et pillaient les biens des « oppresseurs. En nulle partie du « royaume, on ne rendait justice d'a« près le droit. Les choses en étaient << venues au point que, dans la crainte « des voleurs, on ne sortait sur les « routes qu'en armes et par grandes « compagnies. Personne n'habitait dans « les endroits ouverts. Dans les villes fermées, bourgeois, artisans, gen. << tilshommes ne subsistaient presque a tous que de vols et de brigandage; enfin, il se commettait tant de cri« mes, que c'était chose dont on ne s'étonnait plus de trouver des ca« davres sur les grands chemins. >>

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MAJORITÉ D'ALPHONSE XI. CHATIMENT DES

IL ÉPOUSE L'INNOUVELLE RÉ.

BANDITS DE VALDENEBRO, CONSEILLERS
D'ALPHONSE XI. LIGUE ENTRE DON JUAN
LE CONTREFAIT ET DON JUAN MANUEL.-
LE ROI PARVIENT A DÉJOUER CETTE LI-
GUE.- IL EST FIANCÉ A LA FILLE DE DON
JUAN MANUEL. IL FAIT ASSASSINER DON
JUAN LE CONTREFAIT.
FANTE DE PORTUGAL.
VOLTE DE DON JUAN MANUEL. MORT
DE GARCILASO DE LA VEGA. DON AL-
PHONSE FAIT COMTE DON NUNEZ DE OSO-
RIO. MORT DE CELUI-CI. L'INFANT
D'ARAGON, DON JAYME, RENONCE A SES
DROITS A LA COURONNE.
D'ARAGON, DON JAYME II. — ALPHONSE IV
LUI SUCCÈDE. MARIAGE D'ALPHONSE IV
ET DE L'INFANTE Léonor de castille. —
MORT D'ISMAIL-BEN-FERAG.-MOHAMMED-
BEN-ISMAIL LUI SUCCÈDE. TRÊVE EN-

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MORT DU ROI

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maniement des armes. Il aimait à s'entourer de chevaliers hardis et vigoureux. Il parlait avec élégance et facilité. Son intelligence était plus développée que ne l'est ordinairement celle des hommes de son âge; aussi ressentait-il vivement tous les maux dont le pays était accablé. Il était surtout frappé de ce que les tribunaux ne rendaient pas la justice qui est, dans un État, le principe de tout ordre et de toute tranquillité. Son premier soin fut de commencer par consacrer plusieurs jours chaque semaine à juger les procès eriminels ou civils (*). Il se montra le persécuteur infatigable des bandits qui dévastaient le pays; et c'est à leurs dépens qu'il commença à faire preuve de cette énergie de caractère qui lui mérita le surnom de Alonzo el Vengador, Alphonse le Vengeur (**). Dans les environs de Valladolid, se trouvait un château appele Valdenebro. Ceux qui l'habitaient, sans s'inquieter de ce qu'ils étaient dans le voisinage du roi, continuaient leurs crimes et leurs brigandages comme au temps de l'administration des tuteurs. Alphonse résolut de les châtier. Il alla en persoune attaquer ce repaire de malfaiteurs; et l'ayant emporté, il fit justice de tous ceux qui s'y trouvaient. Plusieurs fois, dans le courant de son règne, le roi fit ainsi preuve d'une implacable sévérité. Les personnes dont le roi avait formé sa maison n'etaient cependant pas toutes pures de tout reproche. C'étaient Garcilaso de la Vega et Alvar Nuñez de Osorio. Pendant la tutelle, ils avaient, eux et leurs bandes, commis quelques actes de brigandage; mais, dès que le jeune roi avait pris lui-même le gouvernement de l'État, ils lui avaient offert leurs services. Comme c'étaient des hommes intré

(*) L'action civile s'appelle en espagnol pleyto; an criminel elle prend le nom de querela. Il y avait encore une autre nature de procès, ceux où il y avait félonie ou injure, et où l'on avait recours au combat: on les appelait rieptos, gages de bataille.

(**) Vengador pourrait aussi rendre l'idée de vindicatif.

pides et habiles, et que leurs compagnies étaient bien organisées, Alphonse les avait volontiers accueillis. Il avait aussi pour almojarif, c'est-à-dire pour trésorier, un juif du nom de Yuzaf d'Ecija. Ces trois personnes étaient celles qui partageaient sa confiance et qui formaient son conseil..

Don Juan le Contrefait et don Juan, fils de l'infant don Juan Manuel, s'étaient sans doute flattés de conserver, sous un jeune prince, le pouvoir dont ils avaient tant abusé quand il était mineur. Ils furent grandement mécontents en voyant le roi choisir pour ses conseillers des personnes qui avaient été attachées à l'infant don Philippe, et qui, par conséquent, s'étaient toujours trouvées dans les rangs de leurs ennemis. Ils quittèrent donc Valladolid, où les cortès avaient été réunies. Ils partirent avec leurs bandes sans prévenir Alphonse, et en répandant le bruit qu'ils se retiraient parce que le roi avait donné l'ordre de les mettre à mort. Ils se réunirent à Cigalès, ville qui faisait partie des domaines de don Juan le Contrefait. Ils formèrent une alliance pour se défendre respectivement contre le roi; et, pour donner plus de force à cette alliance, ils convinrent que don Juan, qui était veuf, épouserait Constance, fille de don Juan Manuel, bien que celle-ci ne fût encore qu'une enfant. Alphonse ne trouva pas de meilleur moyen, pour séparer ces deux alliés, que de faire dire à don Juan Manuel qu'il était lui-même disposé à devenir son gendre, et à épouser doña Constance. Cette union flattait trop l'orgueil et les intérêts de don Manuel pour qu'il hésitât un seul instant. Il accepta donc avec empressement. L'oncle du roi, l'infant don Philippe, et sa femme, doña Marguerite de la Cerda, allèrent chercher, à Peñafiel, la jeune Constance, et l'amienèrent à Valladolid, où son père, don Juan Manuel, l'accompagna. On fit célébrer les fiançailles; mais, comme Constance n'était pas en âge d'être mariée, et que le roi lui-même était fort jeune, on ne conclut pas le mariage. Le roi remit sa fiancée à doña Margue

rite de la Cerda, pour qu'elle l'élevât, et le gouvernement de la frontière fut confié à don Manuel, qui, dans ce poste, remporta quelques avantages sur Osmin, général du roi de Grenade.

Dès que don Juan le Contrefait connut l'arrangement qui était intervenu entre le roi et don Juan Manuel, il fut rempli de courroux, se plaignit d'avoir été trahi, et ne songea plus qu'à susciter des troubles dans le pays. Il reçut près de lui tous les brigands qu'effrayait la justice du roi; mais il chercha aussi des forces dans de plus nobles alliances. On élevait, en Aragon, Blanche, fille de l'infant don Pedro, celui qui était mort dans la plaine de Grenade. Elle possédait, comme héritière de son père, de nombreuses villes en Castille. Il pensa qu'il pourrait. à l'aide de ce mariage, causer de grands embarras à don Alphonse; il fit done demander la main de Blanche. Alphonse n'ignorait aucune de ces menées; et, pour en détourner le coup, il fit dire à don Juan le Contrefait qu'il ne serait pas éloigné de lui donner pour épouse l'infante doña Léonor, sa propre sœur. L'ambitieux don Juan fut ébloui par cet appât. Il vint trouver le roi qui, l'ayant convié à une fête, le fit assassiner au moment où il entrait dans la salle du festin. Ensuite don Alphonse, pour s'excuser de ce crime, déclara don Juan coupable de lèse- majesté. Il se saisit de toutes les villes, châteaux ou lieux fortifiés que celui-ci possédait, au nombre de plus de quatre-vingts. Enfin, soit de bon gré, soit de force, il determina doña Maria Diaz de Haro, mère de don Juan le Contrefait, à lui vendre la seigneurie de la Biscaye. Si l'on ne considère que le caractère pervers de don Juan, la quantité de crimes dont il s'était souille, on ne peut s'empêcher de reconnaître qu'il avait bien mérité le châtiment qui l'a frappé. On ne peut nier que sa mort ait été profitable à l'État; et cependant tous les auteurs sont d'accord pour la reprocher à don Alphonse: tant il est vrai que rien ne justifie la trahison, et que ni l'intérêt

public, ni celui de la justice, ne sauraient en aucune maniere atténuer l'horreur que nous inspire l'assassinat.

Dès que don Juan Manuel connut la mort de don Juan le Contrefait, il fut saisi de frayeur; et, craignant d'être atteint par un semblable châtiment, parce qu'il sentait le mériter, il abandonna la défense de la frontière, et se retira dans la ville de Chinchilla, qu'il regardait comme inexpugnable. Alphonse le fit plusieurs fois engager à revenir à son poste, et à servir dans la guerre qu'il avait l'intention de faire contre les Maures. Mais don Manuel, bien loin de répondre à ces offres, fit alliance avec le roi de Grenade; et don Aiphonse, dans la nécessité de nommer un autre commandant de la frontière, donna cette place importante à don Pedro Lopez de Ayala. Il fit avec quelque succès une campagne contre les Maures, et il était encore à son camp lorsque quelques seigneurs portugais vinrent lui proposer d'epouser Maria, infante de Portugal. Ce mariage présentait au roi des avantages qu'il ne trouvait pas dans son union avec la fille de don Juan Manuel. Il fit donc demander au pape les dispenses que sa proche parenté avec l'infante de Portugal rendait nécessaires. A la nouvelle de ce projet de mariage, don Juan Manuel, dont la fille Constance se voyait ainsi privée de la couronne, fut transporté de fureur. Il envoya déclarer au roi qu'il renonçait à sa naturalité; qu'il se tenait pour relevé du serment de fidé lite qu'il lui avait juré, et il commença à faire des courses sur les domaines de don Alphonse.

Les royaumes de Castille et de Léon, depuis un demi- siècle, avaient passé par tant de révolutions, les éléments de dé ordre et d'a archie s'y étaient tellement implantés, qu'il suffisait de parler de rébellion pour trouver des partisans. La révolte de don Juan Manuel raviva donc l'incendie que la sagesse et l'énergie du jeune roi commençaient à éteindre. Le pays fut de nouveau déchiré par la guerre civile; et deux des intimes conseillers du roi,

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