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Caius Annius avec une armée puissante, pour écraser le proscrit qui osait lever la tête. Sertorius songea à disputer au lieutenant du dictateur les passages des Pyrénées. Il envoya une armée de six mille hommes, commandés par Livius Salinator, un de ses capitaines, pour occuper les défilés de ces montagnes. Caius Annius, n'osant pas essayer de les franchir de vive force, eut recours à la trahison. Il gagna un des officiers de Salinator nommé Calpurnius Lanarius. Ce misérable assassina son général, qui le traitait comme son ami. L'armée, privée de son chef, ne tarda pas à se débander, livrant ainsi le champ libre aux troupes d'Annius. Sertorius n'était pas encore préparé à la défense, il ne se trouvait pas en force pour lutter contre l'armée que Sylla envoyait contre lui; il fut donc obligé de prendre la suite, et de se retirer en Afrique.

sur le champ de bataille et ceux qui se trouvaient du côté des Romains, ils demeurèrent effrayés, et demandèrent à se soumettre. Au reste, la paix ne fut pas rétablie d'une manière si solide, que plusieurs villes, poussées à bout par les vexations, ne se soulevassent. Les habitants de Castulo, aidés par les Girisènes, citoyens d'une ville voisine, profitant un soir de ce que presque tous les Romains s'étaient abandonnés à la débauche, les attaquèrent à l'improviste, en tuèrent un grand nombre, et forcèrent les autres a quitter la ville. Cependant le jeune Sertorius, qui commandait la garnison, étant parvenu à réunir tous ceux qui avaient échappé au massacre, se trouva assez fort pour prendre à son tour l'offensive. Il pénétra subitement dans Castulo, fit mettre à mort tous les habitants trouvés les armes à la main. Ensuite il fit endosser par ses soldats les vêtements des Espagnols qui avaient été tués, et les conduisit à la ville des Girisènes. Ceux-ci, trompés par ce déguisement, et les prenant pour leurs compatriotes, qui revenaient de Castulo chargés de butin, s'empressèrent de leur ouvrir les portes; mais les Romains ne furent pas plutôt entrés, qu'ils se jetèrent sur les habitants, les passèrent au fil de l'épée, et saccagèrent le chercher les offres des Lusirent la ville. Tels sont les premiers actes attribués par l'histoire à ce jeune Sertorius, qui devait bientôt acquérir tant de gloire en disputant à Métellus et à Pompée la possession de l'Espagne.

Les guerres civiles de Marius et de Sylla déchiraient le sein de la république. Sertorius, simple plébéien, avait suivi le parti de Marius. Il s'y fit remarquer; et quand Sylla fut vainqueur, son nom fut un des premiers portés sur les listes de proscription. Il se souvint alors des amis qu'il avait laissés en Espagne, et vint chercher un asile dans ce pays. Il fut bien accueilli par les habitants, et en peu de temps il se vit à la tête d'une armée de neuf mille hommes. Sylla voulut éteindre dès son principe l'incendie qui menaçait d'embraser la Péninsule. Il envoya

Cependant il n'avait pas renoncé à ses projets. Aidé par quelques corsaires de la Cilicie, il s'était emparé de l'île d'Ebusus (Ivica), située en face du cap de Dianium, et d'où il semblait prêt à s'élancer à chaque instant sur la Péninsule. Chassé bientôt de cette position par la flotte d'Annius, il se retira en Mauritanie. C'est là que vin

tains. Ces peuples, las de la tyrannie du dictateur, n'attendaient qu'un chef pour se soulever. Sertorius s'embarqua avec ceux qui suivaient sa fortune.

fut assez heureux pour échapper à la flotte des Romains qui le guettait au passage, et vint débarquer dans le pays arrosé par le Bétis. Il amenait avec lui deux mille Romains et sept cents Africains. Quatre mille fantassins et sept cents cavaliers, composés soit d'Espagnols soit de Romains proscrits, ne tardèrent pas à se joindre à lui. A la tête de cette petite armée, il livra bataille au préteur Titus Didius, et le vainquit sur les bords du Bétis.

Cette victoire fut suivie de la conquête de toute l'Espagne ultérieure. Sylla, effrayé des progrès de Sertorius, envoya pour le combattre Lucius

Domitius avec le titre de preteur de l'Espagne citérieure. Mais à peine ce général avait-il franchi les Pyrénées, qu'il fut battu par Hirtuleyus, un des lieutenants de Sertorius. Manilius, préteur de la Gaule narbonnaise, reçut l'ordre de passer en Espagne. Il n'y eut pas plutôt mis le pied, qu'il fut attaqué par Hirtuleyus et mis en déroute. Dès que Sertorius eut ainsi affermi sa puissance par des victoires, il s'occupa d'organiser un gouvernement semblable à celui de Rome. Il réunit à Ébora un sénat composé de trois cents Romains nobles, qui avaient été obligés comme lui de se soustraire par la fuite aux proscriptions de Sylla. Il divisa ses troupes, de même que les armées romaines, en légions, en cohortes et en centuries. Enfin, il fonda à Osca une université où l'on enseignait aux jeunes Espagnols les lettres grecques et latines, les sciences et les beaux-arts. Au sortir de cette école, les élèves étaient proclamés citoyens romains et déclarés aptes à exercer les charges et les emplois publics. Il éleva des manufactures pour la fabrication des armes (*); enfin il fit tout ce qui était en son pouvoir pour rendre l'Espagne heureuse et florissante. Son génie vif, entreprenant, les brillantes qualités dont il était doué, lui assuraient une grande influence sur l'esprit des Espagnols. Il sut encore faire tourner au profit de son pouvoir le caractère de ces peuples superstitieux et amis de tout ce qui tient du prodige. Un paysan lui avait donné une biche à peine âgée de quelques jours. Il l'avait élevée lui-même, en sorte qu'elle s'était attachée à lui au point de le suivre partout. Souvent elle venait poser la tête sur son épaule, et l'on eût dit qu'elle lui parlait à l'oreille. La familiarité de cette biche, la blancheur parfaite de son pelage, couleur assez rare

(*) Gratius, qui écrivait à peu près à cette époque, nous apprend que les lames espagnoles jouissaient déjà d'une grande célébrité. On lit dans son poëme sur la chasse, vers 34, que le veneur doit porter à son côté un couteau de Tolède:

Ima Toletano præcingant ilia cultro.

chez les animaux de cette espèce, accréditèrent le bruit qu'elle lui avait été donnée par Diane, et qu'elle lui apportait les ordres et les conseils de cette déesse. Une semblable croyance augmenta merveilleusement l'obéissance avec laquelle les Espagnols exécutèrent les commandements de leur général. On commente, on discute les décisions d'un homme; et, quelque supériorité, quelque génie qu'on lui reconnaisse, on cherche à deviner le but de ses mouvements; mais si les ordres viennent d'une divinité, on les exécute sans contrôle et sans hésitation. Au reste, le succès des entreprises de Sertorius justifiait presque toujours la source divine qu'on leur attribuait.

Sylla avait compris que, pour combattre un homme semblable, il fallait choisir un des meilleurs généraux de la république. Métellus Pius fut envoyé par lui en Espagne; mais la lente prudence de ce capitaine vint échouer contre le génie de Sertorius. Les légions romaines, qui traînaient toujours après elles des vivres, des effets de campement, qui étaient accoutumées à coucher sous des tentes, ne pouvaient lutter de légèreté avec les soldats de Sertorius, qui faisaient la guerre sans provisions et sans bagages; qui, lorsqu'ils étaient en danger, s'évanouissaient en quelque sorte, et disparaissaient avec rapidité pour se retrouver partout où ils pouvaient combattre avec avantage; qui enlevaient les fourrageurs, les trainards; qui faisaient cette guerre d'embuscades et de surprises pour laquelle le sol de l'Espagne est si admirablement disposé.

Métellus Pius, qui voyait ainsi son armée s'épuiser sans combattre, voulut chercher des ennemis qui ne fussent pas insaisissables. Il courut mettre le siége devant Lacobriga. Cette ville était peu forte; on pouvait facilement la priver d'eau, en détournant les sources qui l'alimentaient ; car elle ne renfermait qu'un seul puits. Aussi, persuadé qu'il l'enlèverait promptement, il fit prendre à ses soldats pour

cinq jours seulement de vivres. Mais il fut bien trompé dans ses calculs; Sertorius introduisit dans la ville deux mille outres pleines d'eau. Il fit sortir les femmes, les vieillards, et tous ceux qui ne pouvaient combattre ; en sorte que Lacobriga se défendit courageusement. Cependant les vivres de l'assiégeant furent bientôt épuisés; il fallut qu'il courût le pays pour s'en procurer. Mais partout les partis qu'envoyait Métellus trouvaient les troupes de Sertorius qui, dans toutes ces rencontres, avaient l'avantage du nombre et de la position. Il fut enfin forcé de se retirer, et son armée, dont les rangs s'étaient éclaircis sans qu'il eût pu livrer de bataille, fut pour quelque temps réduite à l'inaction.

La renommée de Sertorius ne tarda pas à se répandre; elle pénétra jusqu'en Asie, et Mithridate lui envoya une ambassade pour demander son alliance. Sertorius était resté Romain, tout en combattant contre les armées romaines; il ne voyait dans ses adversaires que les tyrans de la république. Il reçut les envoyés du roi de Pont à Dianium, au milieu du sénat qu'il avait institué, et dans cette conférence il stipula les intérêts de Rome: Mithridate demandait que Sertorius l'aidât à reconquérir l'Asie Mineure, abandonnée par lui après les défaites que lui avait fait éprouver Sylla. « Je consens, répondit-il, que Mithridate reprenne la Cappadoce, héritage de så sœur Laodicée, la Bithynie, jusqu'à présent gouvernée par des rois; mais je ne souffrirai pas qu'il touche au reste de l'Asie Mineure cédé à la république aux termes des traités qu'il a consentis. Il pourra seulement, pour les nécessités de la guerre, en occuper quelques parties, à la charge de les remettre immédiatement à un proconsul que je choisirai. » Ces conditions, quoique dures et humiliantes, furent acceptées par le roi de Pont, qui donna à Sertorius quarante vais seaux et trois cents talents. En échange, celui-ci lui envoya un corps d'armée sous le commandement de Marcus Marius.

Cependant Sylla venait de mourir (*). Perpenna, qui, pendant les proscriptions, était resté caché en Sardaigne, passa en Espagne dans l'espoir de s'y créer un parti. Il eut bientôt rassemblé une armée de dix-sept mille hommes; mais ses soldats, admirateurs du génie de Sertorius, exigèrent qu'il se réunît à l'armée de ce général, et Perpenna, ne voyant pas de meilleure décision à prendre, céda aux vœux qui lui étaient exprimés. Après bien des hésitations, il alla rejoindre Sertorius, qui faisait en ce moment le siége de la ville de Laurona.

Cependant le sénat, effrayé des progrès de son ennemi, avait envoyé au secours de Métellus, Cnéius Pompée, pour écraser ce qu'on appelait à Rome les restes du parti de Marius. Pompée, encore jeune et plein de vanité, avait promis de terminer la guerre en quelques jours. Il s'avançait avec Métellus pour contraindre Sertorius à lever le siége de Laurona. Pompée crut nécessaire d'occuper une hauteur près de la ville; mais Sertorius le gagna de vitesse et s'en empara avant lui. Pompée, dépité de ce contre-temps, crut qu'il lui serait facile d'enfermer les ennemis entre la ville et son armée. Il fit dire aux habitants qu'il voulait leur donner le spectacle des assiégeants assiégés à leur tour. Cette forfanterie ayant été rapportée à Sertorius, celuici répondit qu'il apprendrait bientôt à l'écolier de Sylla qu'un général doit autant regarder derrière que devant lui. En effet, Pompée fut bien étonné de voir six mille hommes de vieilles troupes sortir du camp que les Espagnols occupaient la veille, et qu'il croyait entièrement abandonné. Pompée, pris entre deux armées, et placé précisément dans la position où il avait cru mettre son adversaire, fut contraint de combattre avec désavantage et de fuir avec une armée en désordre, après avoir laissé sur le champ de bataille dix mille morts et tous ses bagages.

Sertorius, débarrassé de ces enne

(*) An 674 de la fondation de Rome,

mis, pressa le siége de la ville. Les habitants demandèrent bientôt à capituler. Le vainqueur leur accorda la vie sauve et le droit d'emporter leurs richesses; mais il les chassa de la ville, qu'il fit incendier pour apprendre aux peuples de l'Espagne ce qu'il y avait de vain dans la protection de Pompée, ce qu'il y avait de ridicule dans ses forfanteries.

La campagne suivante fut moins heureuse pour les Espagnols: Hirtuleyus, un de leurs chefs, qui combattait dans l'Espagne ultérieure, fut battu par Metellus et périt dans le combat. Il est vrai que Sertorius en leva au parti de Pompée la ville de Contrébia; mais cet avantage ne compensait que bien faiblement les pertes qu'il avait éprouvées. L'année d'après commença également d'une manière fâcheuse. Sertorius était près de la source de l'Ebre, lorsqu'il apprit que Pompée venait de battre Perpenna dans le pays des Edétains, et de lui enlever la ville de Valentia. Il accourut en toute hâte pour s'opposer à ses progrès, et se disposait à lui livrer bataille, lorsqu'il reçut avis de la dé faite du corps d'arinée qu'il avait opposé dans l'Espagne citérieure aux efforts de Métellus. On l'avertissait que celui-ci s'avançait à marches forcées pour joindre ses forces à celles de Pompée. Dans la crainte que cette nouvelle ne se répandît, et ne jetât le découragement dans les rangs de ses soldats, et pour être plus sûr de la discrétion du messager, il tira son épée et le tua; ensuite il donna le signal du combat. La lutte fut acharnée; mais l'impétuosité de Sertorius décida la victoire. Pompée luimême faillit être pris: attaqué par plusieurs soldats africains, il coupa la main de l'un de ceux qui le pressaient davantage; mais il fut lui-même blessé. Il était entouré d'ennemis, et ne pouvait éviter d'être tué ou de tomber en leur pouvoir, s'ils ne se fussent mis à se disputer les riches caparaçons qui couvraient son cheval. Il profita de leur avidité pour leur échapper par la fuite.

Le lendemain, les débris de l'armée vaincue furent vigoureusement pour

suivis; encore un jour, elle eût été complétement anéantie; mais Métellus arriva au secours de son collègue. Ce contre-temps causa un chagrin extrême à Sertorius, et on lui entendit répéter: « Si cette vieille (c'est ainsi << qu'il appelait Métellus) fût venue « plus tard, j'aurais renvoyé à Rome « ce petit garçon bien fustigé. » Cependant ce n'était pas aussi sans avoir fait des pertes cruelles que Sertorius avait remporté une victoire longtemps disputée. Il jugea que la prudence ne lui permettait pas d'exposer le sort de l'Espagne aux chances d'une seconde bataille, et il se retira. Métellus devint si glorieux de l'avoir fait reculer, les avantages qu'il avait remportés firent naître dans son esprit un orgueil si ridicule, qu'il marchait constamment accompagné de poëtes pour célébrer ses louanges, et qu'il se faisait rendre des honneurs presque divins. Cependant il s'en fallait de beaucoup que Sertorius fût vaincu. Il combattit au contraire pendant plusieurs années avec avantage contre les deux proconsuls, qui se trouvèrent, au bout de peu de temps, épuisés d'hommes et d'argent. Pompée, pour obtenir des secours, écrivit au sénat une lettre menaçante. Métellus, dans le but de mettre fin à la guerre, eut recours à un autre moyen: il mit la tête de Sertorius à prix. Il fit répandre une proclamation par laquelle il promettait cent talents d'argent et vingt mille mesures de terre à celui qui tuerait Sertorius. Cette infâme provocation sema la défiance dans le camp du proserit.

Depuis longtemps, celui-ci avait auprès de lui une garde formée d'hommes choisis, qu'il appelait ses dévoués (devoti), et qui, dans l'idiome du pays, recevaient le nom de soldures. Ce mot mérite d'être remarqué, car il prouve combien la langue et les coutumes des Celtes étaient encore répandues en Espagne. Les soldures étaient considérés par les Gaulois et par les Celtes comme l'élite de leurs guerriers ; ils suivaient un chef, non pour le salaire qu'ils en recevaient, mais par dévouement, et ils faisaient serment de

ne pas lui survivre. César (*) affirme que, de mémoire d'homme, on n'avait vu parmi les Gaulois un soldure refuser de mourir lorsque le chef dont il avait suivi la fortune avait été tué. Plusieurs de ces hommes dévoués à Sertorius étant tombés entre les mains des soldats de Pompée, les frappèrent d'étonnement et d'admiration par l'exaltation de leur courage: ils mordaient leurs chaînes, et tendaient la gorge à leurs camarades en leur demandant la mort; car ils regardaient comme le plus affreux des maux, comme le plus ignominieux des supplices, d'être séparés du chef auquel ils s'étaient attachés. On comprend que la proclamation de Métellus eut pour effet nécessaire de donner une importance plus grande aux soldures de Sertorius; et, soit que le danger nouveau dont ce général était menacé les eût davantage placés en évidence, soit qu'il leur eût réellement témoigné plus de bienveillance, ils devinrent un objet de jalousie pour les autres troupes. Les Espagnols et les Romains qui étaient dans son camp ne se regardaient plus qu'avec méfiance. D'un autre côté, l'esprit de Sertorius, naturellement franc et généreux, s'aigrit à la suite de quelques revers. La preuve des trahisons qui se tramaient autour de lui le rendit soupçonneux. Il commit quelques actes d'une cruelle sévérité, bien éloignés de son caractère habituel. Pour punir quelques fautes ou quelques crimes dont l'histoire ne nous a pas transmis le souvenir, il fit mettre à mort plusieurs des jeunes gens qui étudiaient à Osca. Il en fit vendre d'autres comme esclaves. Il fit traiter quelques villes avec sévérité, et perdit par ces rigueurs une partie de l'affection que les Espagnols lui avaient vouée. Une conjuration ne tarda pas à se tramer dans le camp même de Sertorius. L'orgueilleux Perpenna, dont la famille était noble, ne se voyait qu'à regret l'inférieur d'un plébéien. De concert avec plusieurs officiers romains, il préparait la mort de ce grand capitaine. C'est

(*) César, De Bello Gallico, 1. 1.

au milieu d'un repas qu'ils avaient résolu de le frapper; mais comme Sertorius n'acceptait pas ordinairement les invitations qui lui étaient faites, voici à quelle ruse ils eurent recours : ils lui firent remettre une lettre fausse, par laquelle un de ses lieutenants lui adressait les détails d'une victoire remportée sur les ennemis. Cette heureuse nouvelle produisit sur lui l'effet qu'on en attendait. Il ne put refuser d'assister à un festin que donnait Perpenna pour célébrer le succès de ses armes. Au commencement du repas, les convives se comportèrent comme des gens graves et sérieux; mais peu à peu ils s'animèrent, leurs propos devinrent grossiers et pleins de licence. Sertorius, attribuant leurs paroles à l'ivresse, s'abstint de leur faire des représentations; mais, pour indiquer qu'il ne voulait plus prendre part à la conversation, il s'étendit sur son siége. En ce moment, Perpenna laissa tomber sa coupe à terre. C'était le signal convenu. Un des conjurés s'élança sur Sertorius et le blessa d'un coup de poignard. Ce général voulut se lever; mais l'assassin le retint couché sur son siége, tandis que les autres conjurés le frappaient pour achever de lui donner la mort.

C'est ainsi que périt, victime de la trahison, celui que Métellus et Pompée n'avaient pu vaincre. Lorsqu'il fut si lâchement immolé, il y avait huit ans déjà qu'il avait établi son pouvoir dans la Péninsule. Il est le troisième chef espagnol que, dans un espace de soixante-sept ans, nous avons vu mourir assassiné par suite de la provocation des Romains: Viriathes en 613, Salinator en 672, et Sertorius en 680. Qu'étaient donc devenues les antiques vertus de la république ?

La nouvelle de ce crime remplit tous les Espagnols de consternation. Ils comprirent toute l'étendue de leur perte, et les auteurs de cet attentat furent voués à l'exécration publique. Le désespoir fut général. Les soldures n'oublièrent pas le serment qu'ils avaient fait de ne pas survivre à leur chef; et l'épitaphe gravée sur le tombeau qui leur fut élevé nous apprend

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