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Il en était des discordes de la Castille comme de ces incendies qu'on croit avoir éteints, mais qui se raniment au moindre vent. La soumission de don Juan Nuñez de Lara et de don Juan Manuel n'etait ni vraie, ni sincère; on comprenait qu'ils ne resteraient tranquilles que tant qu'ils y seraient contraints, car tout le monde savait bien que c'était la force et l'occasion de se révolter qui leur manquait, plutôt que le désir et la volonté de le faire. Ces deux seigneurs cherchèrent à augmenter leur puissance en se procurant l'appui d'un prince étranger. Ils firent négocier un mariage entre l'infant don Pedro de Portugal et Constance, fille de don Juan Manuel. Le roi don Alphonse, qui n'ignorait aucune de ces menées, prit des mesures pour empêcher que doña Constance pût quitter la Castille. Ce fut pour don Juan Manuel un nouveau motif de colère, et il ne cessa de presser le roi de Portugal de commencer la guerre. Alphonse le Vengeur, fatigué enfin de toutes ces trahisons, réunit les cortès. Il y exposa la conduite de don Juan Manuel et de don Juan Nuñez de Lara. Il demanda justice. Aussi tous les seigneurs décidèrent-ils qu'il fallait réduire ces sujets rebelles, et qu'on ne devait déposer l'épée qu'après les avoir exterminés. Le roi en personne, à la tête de son armée, entra dans les domaines de Juan Nuñez, et il alla mettre le siége devant la ville de Lerma, où ce seigneur s'était renfermé, tandis que les maîtres d'Alcantara et de Calatrava allaient, avec les chevaliers de leur ordre, se poster près de la ville de GarciMuños, où se tenait don Juan Manuel, pour empêcher que celui-ci vint porter des secours à don Juan de Lara, et pour mettre un obstacle à ce que sa fille Constance pût passer en Portugal. Bientôt la ville de Lerma fut vivement pressée; alors le roi de Portugal envoya un ambassadeur à don Alphonse, pour lui demander que le siége fût

levé, parce que, disait-il, don Juan de Lara s'étant reconnu son vassal, il serait forcé de prendre sa défense. Le roi de Castille répondit à ce message que don Juan était son sujet, et son sujet rebelle; que son droit était de le punir, et qu'il le ferait, comme la dignité de sa couronne et l'intérêt de l'État l'exigeaient. Dès que le roi de Portugal eut reçu cette réponse, il leva des troupes, et vint attaquer Badajoz. Mais il fut bientôt forcé de lever honteusement le siege; et la diversion qu'il avait prétendu faire en faveur de don Juan de Lara ne produisit aucun effet, car Lerma fut réduite à capituler; et, le 4 décembre 1336, elle fut remise au roi. Don Juan Nuñez de Lara avait seulement stipulé, en se rendant, que lui et les siens auraient la vie sauve. Mais le roi en agit généreusement à son égard. Il se borna à faire démanteler la plupart des villes qui avaient soutenu la rebellion; et, loin de punir Lara, il le nomma son premier porte-étendard, lui donna Cigalez et plusieurs autres places. Au reste, la conduite du roi de Portugal dans cette affaire, la manière dont il s'était empressé de prêter son appui aux rebelles, avait justement irrité le roi de Castille, qui, faisant partager sa colère par les cortès, en obtint facilement les subsides nécessaires pour tirer vengeance de cette agression. La guerre commença. On ne remporta sur terre nul avantage bien remarquable. Il n'en fut pas de même sur mer; et Jofre Tenorio, amiral de Castille, ayant attaqué, près de Lisbonne, la flotte portugaise, commandée par le Génois Manuel Penazo, remporta une victoire signalée, prit huit galères, en coula six à fond. Le pape ne fut pas plutôt instruit de cette guerre, qu'il envoya l'archevêque de Rhodes pour tâcher de rétablir la paix entre les deux États. L'archevêque de Reims s'entremit aussi dans cette négociation. D'abord les efforts de ces deux prélats restèrent vains; mais, enfin, on finit par conclure une trêve, et don Juan Manuel, qui se trouvait désormais exposé seul aux coups du roi, lui fit de

mander un arrangement. Alphonse XI consentit à oublier tout le passé. Il accueillit favorablement don Juan Manuel, qui, depuis ce temps, resta toujours fidèlement attaché à son service.

Il était impossible que cette paix et ces arrangements tombassent dans un moment plus favorable. Les trêves avec les Maures étaient expirées; Abu'l-Hasan, après avoir renversé en Afrique les ennemis qui s'y étaient levés contre lui, ne songeait plus qu'à se rendre maître de toute la Péninsule. Abu-Melech, son fils, était passé à Algéciraz avec 5,000 cavaliers et un grand nombre de fantassins. Il avait commencé à ravager la frontière. Le roi de Castille ne fut pas pris au dépourvu; il entra, à la tête de son armée, dans le royaume de Grenade; il dévasta les environs de Ronda, remporta quelques avantages contre les habitants de cette ville; puis, comme 'P'hiver était arrivé, il se retira pour aller tenir les cortès qu'il avait convoquées à Madrid, laissant en son absence la garde de la frontière à Gonzalo Martinez, maître d'Alcantara. Tant que le roi avait été en campagne, Abu - Melech était resté à Algéciraz; mais il ne sut pas plutôt que le roi avait quitté l'Andalousie, qu'il recommença à tenir la campagne. Pour se procurer les provisions de pain dont il manquait, il forma le dessein de surprendre la ville de Lebrija, qui est si tuée dans une plaine fertile, non loin de l'embouchure du Guadalquivir, et où les chrétiens avaient amassé de grands magasins de blé. Il alla poser son camp auprès de Xérès, et envoya un corps de 1,500 chevaux pour enlever Lebrija. Mais la garnison était prévenue, et repoussa vigoureusement leurs attaques. Ayant échoué dans cette entreprise, les 1,500 cavaliers maures remontèrent le Guadalquivir jusqu'aux environs de Séville, ravageant le pays et enlevant les troupeaux. A la nouvelle de cette incursion, Fernand Perez Porto Carrero, qui commandait à Tarifa, Alvar Perez de Guzman, et don Pedro Ponce de Léon,

ainsi que le maître d'Alcantara, réunirent leurs compagnies, et se mirent à la poursuite des Maures, qui, chargés du butin et embarrassés par la quantité de bestiaux qu'ils emmenaient, ne pouvaient marcher bien précipitamment. Cependant, auprès d'Arcos, les chrétiens avaient perdu leur trace, et les éclaireurs, qui suivaient leur piste, ne savaient plus de quel côté diriger l'armée. De même qu'en chasse, quand la meute est tombée à bout de voie, le veneur avec des chiens de créance prend les devants pour relever le défaut; de même, on allait lancer des batteurs d'estrade pour retrouver la piste qu'on avait perdue, lorsqu'un homme du pays vint donner avis que les ennemis étaient arrêtés dans une vallée, à une demilieue de distance. Bien que les chrétiens ne fussent guère qu'au nombre de huit cents, ils n'hésitérent pas à se précipiter sur les Maures deux fois plus nombreux. Ils les culbutèrent, en tuèrent un grand nombre, firent les autres prisonniers; c'est à peine s'il put s'en échapper un pour porter la nouvelle de ce désastre. Le lendemain, les vainqueurs, qui s'étaient joints à la garnison d'Arcos, furent encore renforcés par la bannière de la ville d'Ecija leur armée s'élevait alors à environ 2,000 chevaux et 2,500 fantassins. Ils délibérèrent pour savoir s'ils s'en tiendraient à l'avantage qu'ils avaient remporté, ou s'ils iraient au-devant d'AbuMelech, qui avait quitté son camp de Xérès pour s'avancer vers Alcala de los Gazulès. Ce dernier avis, tout audacieux qu'il était, prévalut. Les chrétiens se dirigèrent vers Xérès, sans tenir compte du nombre d'ennemis qu'ils pourraient avoir à combattre. C'étaient, il faut l'avouer, de braves guerriers que ces vieux Castillans. Quand ils demeuraient dans leurs terres, dit la chronique d'Alphonse, ails étaient de vrais bandits; mais quand ils entraient en campagne, « quand ils venaient faire cette sainte a guerre, en eux tout se convertissait << en bien. Ils se confessaient souvent, « faisaient pénitence de leurs fautes,

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«< communiaient tous les dimanches et frappaient fort sur les ennemis ; << aussi n'était-il pas étonnant qu'un petit nombre d'entre eux suffit pour « l'emporter sur beaucoup de Maures. >> Les vainqueurs d'Arcos marchèrent donc toute la nuit, et arrivèrent avant le jour en vue du camp des Africains. Ceux-ci, persuadés qu'il n'y avait pas en Andalousie d'armée capable de les attaquer, dormaient dans une sécurité parfaite ils n'avaient ni éclaireurs, ni sentinelles. En entendant le cri de Sant Jago, poussé par l'avant-garde espagnole, ils se figurèrent que c'était une plaisanterie du détachement qu'ils avaient envoyé à Lebrija, et ne songèrent pas à se mettre en défense; seulement cent cavaliers environ commandés par Ali-Atar (*), cousin d'Abu - Melech, vinrent pour défendre le passage d'un petit ruisseau qui couvrait le camp. Mais les chrétiens l'attaquèrent avec furie; Ali-Atar fut tué et sa troupe fut mise en fuite. Alors les Espagnols se précipitèrent sur le camp des musulmans, massacrèrent tous ces malheureux, qui ne tentèrent même pas de faire résistance. Abu- Melech, au milieu du tumulte, n'avait pas eu le temps de trouver un cheval : il fuyait à pied; mais bientôt fatigué de courir, il chercha à se cacher près du ruisseau au milieu d'un buisson de ronces; puis, voyant des chrétiens arriver, il se jeta à terre comme s'il eût été mort. En passant, un soldat espagnol, qui ne le connaissait pas, remarqua qu'il respirait encore, lui donna deux coups de lance, et continua son chemin sans plus s'inquiéter de lui. Dès que les chrétiens furent éloignés, la souffrance arracha des gémissements au malheureux Abu-Melech. Un Maure qui s'était caché dans le buisson, attiré par ses plaintes, s'approcha de lui et voulut l'emporter sur ses épaules; mais Abu-Melech qui perdait tout son sang et qui se sentait défaillir, lui dit de le laisser là, de gagner la terre des Maures, s'il le pouvait, et de revenir avec du monde pour le chercher. Bien

(*) Suivant la chronique Ali-Cazar.

tôt dans les angoisses de l'agonie, AbuMelech sentit une soif dévorante: il se traîna au bord du ruisseau : c'est là qu'on le trouva mort. Le nombre des musulmans qui périrent dans cette occasion est porté par la chronique d'Alphonse à 10,000. Les vainqueurs s'emparèrent du camp des Maures et s'enrichirent de tout leur bagage. A la nouvelle de cette défaite, Abu'l-Hasan fut saisi d'une profonde douleur. Il résolut de tirer vengeance de la mort de son fils. I commença à faire précher la guerre sainte, à rassembler des soldats et à armer une flotte de deux cent cinquante voiles.

Ces immenses préparatifs, dont la renommée exagérait encore l'importance, avaient jeté le roi Alphonse dans une grande inquiétude, quand il lui survint une autre cause de tourment. Jusqu'à présent nous n'avons parlé que des actes publics du roi; il faut cependant dire quelques mots de ses faiblesses. En 1330, en revenant de la campagne où il avait enlevé aux Maures la place de Teba, don Alphonse s'était arrêté à Séville; il y avait rencontré une jeune veuve nommée doña Leonor de Guzman, fille de Pedro Nuñez de Guzman. Elle était remplie de bonnes qualités; mais surtout aucune femme ne lui était comparable pour la grâce et pour la beauté. Il en devint amoureux, et elle prit un tel ascendant sur son esprit, que rien ne se faisait plus dans le royaume sans qu'elle fût consultée. Lors de la mort d'Abd-el-Melech, en 1339, alors que cette liaison durait depuis neuf années, Gonçalo Martinez, maître d'Alcantara, fut accusé de plusieurs délits, et fut cité à comparaître à Madrid devant le roi. On ne sait si les accusations portées contre lui étaient fondées, ou si elles étaient forgées par la haine de Leonor de Guzman, qui, dit-on, voulait le perdre parce qu'il s'était opposé à l'élection d'Alphonse Mendez de Guzman, son frère, à la dignité de maître de Saint-Jacques. Quoi qu'il en soit, don Gonçalo Martinez refusa de comparaître, et offrit au roi de Portugal, et ensuite à Yusuf-Abu'l

Hegiag, de leur livrer les places confiées à sa garde. Si jusqu'à ce jour le maître d'Alcantara avait été innocent, il devint coupable; mais la promptitude qu'on mit à le poursuivre empêcha l'exécution de ses trahisons. Alphonse se présenta devant la ville de Valencia de Alcantara, où Gonçalo Martinez s'était renfermé, et lui-même s'approcha des remparts de la place pour le sommer de lui ouvrir les portes. Gonçalo Martinez, au lieu d'obéir, fit lancer contre le roi des flèches et des pierres dont deux vinrent frapper son écu, une l'arçon de sa selle, et plusieurs la croupe de son cheval. Une flèche atteignit aussi mortellement un frère d'Alcantara, qui se tenait à pied auprès d'Alphonse. Aussitôt ce prince déclara Gonçalo Martinez coupable de lèse-majesté. La ville fut assiégée. Les chevaliers qui s'y trouvaient ne partageaient pas l'aveuglement du maître d'Alcantara: ils livrèrent Valence au roi. Gonçalo Martinez fut pris, décapité comme traître, et son corps fut livré aux flammes.

Les soins donnés par Alphonse XI à cette expédition ne détournèrent pas son attention de la guerre bien autrement importante dont il était menacé. Pour mettre un obstacle au passage des Africains en Espagne, il recommanda à son amiral Jofre Tenorio de surveiller soigneusement le détroit. Néanmoins cette croisière ne put empêcher que la flotte d'Abu'l-Hasan ne gagnât le port d'Algeciraz. Le vulgaire, dont le jugement n'est pas toujours équitable, attribua ce résultat à la négligence ou au manque de courage de Jofre Tenorio. Ce brave marin, indigné d'une semblable imputation et ne voulant pas y survivre, se jeta en désespéré au milieu de la flotte africaine qui lui était bien supérieure. Sa galère fut bientôt entourée par les galères et par les vaisseaux des musulmans, qui faisaient pleuvoir sur son bord des pierres, des flèches, et des barres de fer qui blessaient beaucoup de monde. Cependant son équipage résistait vaillamment. Les marins qui le composaient étaient tellement dévoués

à Jofre Tenorio, que lorsque l'un d'eur se sentait mortellement blessé, il ve nait lui baiser la main et faisait un effort pour retourner mourir au milieu de la mêlée. Trois fois les Maures entrèrent dans la galère de l'amiral, trois fois il les chargea et les chassa de son bord; mais enfin il fut accable par les forces qui l'entouraient. Tous les siens moururent en combattant à ses côtés, et lui-même tenant du bras gauche son étendard serré contre sa poitrine, combattit de l'autre main jusqu'à ce que les Maures, lui ayant coupé une jambe, il tomba : alors ils lui brisèrent la tête d'un coup de barre de fer. De toute la flotte chrétienne, quelques vaisseaux et cinq galères seulement parvinrent à s'échapper. Ce désastre eut lieu le jeudi 8 săfar 741 (3 août 1340).

La destruction de cette flotte plaçait Alphonse dans une position très-périlleuse. Il s'empressa de réclamer le secours du Portugal et de l'Aragon. La trêve qui avait été consentie avec le Portugal fut convertie en une paix définitive. Alphonse XI s'engagea à laisser sortir de ses Etats la fille de don Juan Manuel, pour qu'elle pût aller épouser l'infant don Pedro. De son côté, le roi de Portugal s'engagea à prêter à Alphonse XI un secours en hommes et en vaisseaux, pour combattre contre les Maures.

On s'empressa aussi de resserrer l'alliance avec l'Aragon et de faire disparaître les motifs de division qui pouvaient exister entre les deux pays. Alphonse IV d'Aragon avait, on se le rappelle, épousé en secondes noces doña Leonor de Castille. Ce prince, affligé d'une santé débile, ne tarda pas à donner à l'infant don Pedro, l'aîné des enfants qu'il avait eus de sa première femme, la plus grande part dans les affaires du gouvernement. Ce fut une cause de haine mortelle entre l'infant don Pedro et doña Leonor, qui usait de son influence sur le roi pour faire assurer de nombreux domaines à ses enfants don Ferdinand et don Juan. Lorsque après de longues souffrances Alphonse IV mourut le 23 janvier

1336 (*), don Pedro IV fut proclamé roi. Les querelles se ranimèrent entre lui et sa belle-mère. Il voulut dépouiller ses frères des apanages que son père leur avait donnés. Doña Leonor réclama l'assistance du roi Alphonse XI, son frère. Ce fut entre la Castille et l'Aragon une cause de collision. Mais les difficultés qui existaient entre don Pedro et ses frères ayant été soumises au jugement des cortès de Castellon de Buriana, de Gandessa et de Daroca, un arrangement fut conclu en 1338, et le roi d'Aragon, qui regardait son royaume de Valence comme celui que menaçaient principalement les invasions des Maures, fit pour les repousser une étroite alliance avec la Castille. Quand la flotte de l'amiral Jofre Tenorio eut été détruite par les Africains, le roi Alphonse obtint du roi don Pedro d'Aragon un secours de 12 galères, commandées par don Pedro de Moncada. La flotte de Portugal, sous les ordres de l'amiral génois Penazo, vint se poster à Cadix. Le roi de Castille acheta encore de la république de Gênes le secours de quinze galères; enfin il parvint à armer dans les ports de ses États quinze galères et douze vaisseaux. Mais avant que ces forces fussent réunies, Abu'l-Hasan put faire passer en Andalousie un nombre immense de musulmans, qui, aux prédications fanatiques dont retentissaient leurs mosquées, étaient accourus de tout le nord de l'Afrique, persuades qu'ils allaient, comme au temps du roi Roderic, faire encore la conquête de la Péninsule. Cependant Alphonse XI avait mis toutes ses places en état de défense; il avait confié le commande ment de Tarifa à don Juan Alphonse de Benavidez. Depuis dix jours seule ment ce capitaine était entré dans la place, quand, le 23 septembre 1340, 30 rabia prior (**) 741, Abu'l-Hasan vint asseoir son camp devant cette ville.

(*) Blancas, dit le x des calendes de février, c'est-à-dire le 23 janvier; suivant Ferreras, le 24.

(**) Il y a dans Condé le 3: évidemment il a oublié un zéro.

Aussitôt la flotte de Castille, sous les ordres de don Alphonse Ortez, prieur de Saint-Jean, commença à croiser dans le détroit, en vue de Tarifa ; mais une horrible tempête dispersa les bâtiments qui la composaient. Plu sieurs galères furent jetées à la côte et prises par les musulmans, qui massacrèrent les équipages; et, dans sa joie, Abu'l-Hasan disait que la main de Dieu était avec lui, puisqu'elle envoyait des ouragans pour exterminer la flotte des chrétiens.

Le roi de Castille ne fut pas découragé par ce nouveau désastre. Le roi de Portugal était venu le rejoindre avec mille cavaliers seulement. Le pape avait envoyé un étendard et fait prêcher la croisade; mais on n'avait pas le temps d'attendre l'effet de cette prédication. Les deux rois avaient dû se contenter de leurs seules forces, qui, réunies, formaient environ 40,000 fantassins et 18,000 chevaux. C'était peu en comparaison de l'armée d'Abu'l-Hasan, qui ne s'élevait pas à moins de 400,000 fantassins et de 60,000 cavaliers. Cette énorme disproportion de forces n'arrêta pas les rois de Castille et de Portugal. Ils partirent ensemble de Séville le lundi 16 octobre; ils marchèrent à petites journées, et mirent treize jours a franchir la distance qui les séparait de la ville assiégée. Ce fut le dimanche 29 octobre ( 7 sjumada prior 741) qu'ils arrivèrent en vue du camp des Maures, dans un endroit appelé la Peña del Ciervo, la Roche du Cerf, ou, comme disent les Arabes, Hijarayel. A leur approche, Abu'l-Hasan plaça son camp sur une éminence au nord-ouest de la ville : il se trouvait séparé de la Peña del Ciervo par une petite rivière appelée le Rio Salado (*). Le roi de Castille arrêta aussitôt l'ordre dans lequel on combattrait le lendemain. Comme la hauteur sur laquelle Abu'lHasan s'était posté se trouvait entre Tarifa et le camp des chrétiens, Alphonse XI pensa qu'il serait bon de faire entrer en secret dans la ville des troupes qui pussent le lendemain, pen

(*) Les Arabes l'appellent Guadacelito.

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