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se rangèrent aussi au nombre des confédérés. La ville de Tolède entra aussi dans cette ligue. Le roi avait donné à Hinestrosa, oncle de Maria de Padilla, l'ordre d'aller à Arevalo, d'y prendre Blanche de Bourbon, et de la conduire à Tolède. En arrivant dans cette ville, Blanche demanda la permission de faire sa prière dans l'église de Sainte-Marie. Mais une fois dans cet asile, elle refusa d'en sortir, en disant que, dès qu'elle serait à l'Alcazar, on la ferait mourir. Le seigneur de Hinestrosa n'osa pas employer la violence par respect pour le lieu saint, et aussi parce qu'il voyait les habitants prêts à se soulever en faveur de la reine. Il fut donc obligé de se rendre auprès du roi pour lui demander ses ordres. Pendant ce temps, les habitants ouvrirent leurs portes à don Fadrique, maître de Saint-Jacques, et prirent parti pour les confédérés. Au reste, les réclamations que ceux-ci adressaient au roi n'avaient rien que de raisonnable. Ils demandaient que le roi traitât Blanche en reine; que Maria de Padilla fût confinée dans un couvent de France ou d'Aragon; enfin, que les charges de l'État fussent ôtées aux parents de la concubine.

Don Pedro, ne voulant pas accorder ce qu'on exigeait de lui, et ne se sentant pas assez de forces pour résister à une ligue aussi puissante que celle qui s'était formée contre lui, eut recours à la trahison. Il gagna un médecin italien, nommé Paul de Perouze, qui accompagnait Alonzo de Albuquerque. Ce misérable empoisonna son maître, et, pour prix de son crime, il reçut des terres près de Séville, et un emploi dans la maison de don Pedro. Sur le point de mourir, Alonzo de Albuquerque fit son testament, par lequel il défendit qu'on l'enterrât avant que l'on eût atteint le but pour lequel la ligue s'était formée. Les seigneurs jurérent d'exécuter sa volonté. Ils firent embaumer son corps; et, soit qu'ils marchassent au combat, soit qu'ils se réunissent en conseil, ils faisaient porter devant eux le cercueil qui renfermait son cadavre. Dans leurs assem

blées, ils considéraient toujours Alonzo de Albuquerque comme présent; et lorsque c'était à ce seigneur à donner son avis, don Juan Alonzo Rui Diaz Cabeza de Vaca, qui avait été son majordome, prenait la parole en son nom.

Les forces de la ligue s'augmentaient chaque jour; et le roi voyant bien qu'il tenterait vainement de la dissoudre par la force, engagea des négociations. Il voulait les traîner en longueur, et obtenir ainsi du temps dont il profiterait pour gagner quelques-uns des confédérés. Mais ceux-ci pénétrèrent ses vues, et leur armée s'avança vers la ville de Toro, dans laquelle don Pedro s'était renfermé avec sa mère, et avec la reine Leonor, sa tante. Lorsqu'ils arrivèrent en vue des remparts, tous les cavaliers mirent pied à terre, et marchèrent à la suite du corps d'Alonzo de Albuquerque, qu'on portait sur une civière couverte d'un drap d'or. Ils passèrent ainsi près de la ville, et allèrent prendre leurs logements dans un village peu éloigné. Le lendemain, don Pedro, qui, du haut des murailles, avait vu ce convoi, et dont les troupes étaient peu nombreuses, s'éloigna précipitamment, et se rendit à Urueña, où était Maria de Padilla. Il ne fut pas plutôt parti, que la reine mère fit prévenir les confédérés de son absence. Elle se déclara pour eux, et elle leur livra la ville de Toro. Ces nouvelles causèrent une grande inquiétude au roi. Il craignit de voir son royaume tout entier se soulever contre lui; et, comptant plus sur la ruse que sur la force, il revint lui-même se livrer aux confédérés. Ceux-ci commencèrent par éloigner les personnes qui leur portaient ombrage; et, comme chacun d'eux pensait bien plus à son intérêt personnel qu'au bien général, ils se partagèrent les charges de l'État. Regardant alors que le but de la ligue était atteint, ils firent enterrer le corps de don Alonzo de Albuquerque au monastère de l'Épine. Ils gouvernaient au nom de don Pedro, qui conservait bien le titre de roi, mais qui, en réalité, n'était libre de rien faire. Cette captivité du roi dura

quelques mois (*). Don Pedro attendit que les confédérés fussent divisés d'intérêts, que la plupart d'entre eux fussent retournés dans leurs domaines, et qu'ils eussent licencié leurs troupes. Il s'attacha à gagner quelques-uns des principaux chefs; et, lorsqu'il vit que la ligue était réellement dissoute, il profita de la liberté qu'on lui laissait d'aller à la chasse pour s'échapper. Les seigneurs étaient successivement chargés de veiller à sa garde. Un jour que cette garde était confiée à don Tello, celui-ci, que le roi avait gagné en promettant de lui donner d'immenses domaines, l'accompagna à la chasse et favorisa son évasion. Quand le roi fut libre, il réunit les cortès à Burgos. Il se plaignit, dans cette assemblée, de ce que, sans respect pour la majesté royale, les seigneurs et ses frères l'avaient tenu prisonnier. Il réclama des troupes et de l'argent pour leur faire la guerre. Ce qu'il demandait lui fut accordé. Ce fut alors le temps des vengeances, et le sang recommença à couler. A Tolède, le roi condamna vingt-deux habitants au dernier supplice. Parmi ces malheureuses victimes, se trouvait un orfévre plus qu'octogénaire. Son fils, qui atteignait à peine sa dix-huitième année, demanda la grâce de mourir à sa place. Le roi, sans être touché de sa jeunesse ni de son dévouement, autorisa cet échange, et le malheureux jeune homme fut mis à mort.

Ces cruautés frappèrent de terreur les habitants de Tolède; néanmoins don Pedro ne crut pas devoir se fier à leur fidélité. Il chargea Hinestrosa de prendre la reine Blanche, et de la ren

(*) La chronique de Gracia Dei dit que cette captivité dura 4 ans. C'est une erreur patente. Don Pedro n'est revenu à Toro que vers la fin de 1354. Au commencement de 1355, il avait réuni des cortès à Burgos. Gracia Dei dit encore que pendant ce temps la reine Blanche se trouvait à Toro. C'est encore une erreur. Blanche de Bourbon n'a pas quitté Tolede depuis le moment où elle y a été amenée par Hinestrosa, jusqu'à celui où elle en a été emmenée en 1355, pour être conduite à Siguenza,

fermer dans le château de Siguenza.

Ensuite don Pedro songea à châtier la ville de Toro. C'était là que se tenaient ceux des confédérés qui ne s'étaient pas encore séparés la reine doña Maria, la reine doña Leonor, le comte de Trastamare, don Fadrique, et le maître de Calatrava, don Pero Estevanez Carpintero. Il commença le siége; mais il espérait plus de succès de son adresse que de la force de ses armes. Pendant que le comte de Trastamare était allé dans les Asturies pour y ramasser des troupes, il parvint à détacher don Fadrique de la ligue. Il gagna aussi plusieurs habitants de la ville; et, le 5 février 1356, une des portes lui fut livrée. Dès qu'il fut maître de la ville, il fit mettre à mort Pero Estevanez Carpintero, Ruy Gonzalez de Castañeda, et plusieurs autres seigneurs. On les tua sous les yeux mêmes de la reine mère, qui, frappée d'épouvante à la vue de cet horrible spectacle, tomba à terre sans connaissance. Quand elle eut repris ses sens, elle ne trouva de paroles que pour maudire son fils. Après quelques jours, elle demanda à se retirer en Portugal, et cette permission lui fut accordée.

Le comte de Trastamare, le seul des confédérés que le roi n'eût pas ou gagné ou puni, n'était pas assez puissant pour soutenir la lutte. Il gagna donc un port de la Biscaye, où il s'embarqua pour la France. C'est ainsi que don Pedro parvint à dissiper cette ligue qui devait le renverser, et que, redevenu maître absolu de son royaume, il put donner un libre cours à ses passions et à sa férocité.

suite du règne de don peDRO LÉ CRUEL.

ORIGINE DE LA GUERRE ENTRE L'ARA-
GON ET LA CASTILLE. LE BỞI D’ARAGON
APPELLE A SON AIDE DON ENRIQUE DE
TRASTAMARE ET LES AUTRES CASTILLANS
RÉFUGIÉS EN FRANCE.

-- MORT DE DON
JUAN DE LA CERDA. - AMOURS DE DON
PEDRO ET D'ALDONZA CORONEL. — DON
PEDRO FAIT METTRE A MORT DON FADRI-

QUE, MAÎTRE DE SAINT-JACQUES, SON FRÈRE,
DON JUAN D'ARAGON, SON COUSIN GER-

MAIN, DONA LEONOR, SA TANTE, DUNA

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JUANA DE LARA, SA BELLE-SOEUR. — IL
FAIT EMPOISONNER DONA ISABELLE DE
LARA, VEUVE DE DON JUAN D'ARAGON.
IL FAIT METTRE A MORT SES DEUX JEUNES
FRÈRES DON Pedro et doN JUAN,

Don Pedro, débarrassé de la ligue qui avait si sérieusement compromis son autorité, ne tarda pas à trouver de nouveaux ennemis; cette fois ce ne fut pas avec quelques-uns de ses sujets que la lutte s'engagea. Il vivait depuis quelque temps en assez mauvaise intelligence avec don Pedro le Cérémonieux. Un motif de rupture ne tarda pas à se présenter. Don Pedro de Castille avait descendu le Guadalquivir jusqu'à San Lucar de Barrameda, pour aller voir la pêche des thons. Il trouva dans la baie dix galères aragonaises qui, sous le commandement de Mosen Francès Perellos, se dirigeaient vers la Manche afin d'assister le roi de France dans la guerre que lui faisait l'Angleterre. Mosen Francès Perellos trouva dans les eaux de San Lucar de Barrameda deux bâtiments sous pavillon pisan. Il prétendit que ces navires appartenaient aux Génois; et comme depuis longtemps l'Aragon était en guerre avec la république de Gênes, qui lui disputait la possession de la Corse et de la Sardaigne, il s'en empara, les emmena malgré les réclamations de don Pedro, et les fit mettre en vente. Don Pedro, par représailles, fit saisir les biens des négociants catalans établis à Séville, puis il envoya un ambassadeur au roi d'Aragon, pour demander que Francès Perellos lui fût livré. Le roi d'Aragon répondit que Perellos n'était pas en ce moment dans ses États, et que par conséquent il ne pouvait le livrer; mais qu'aussitôt que cet officier serait de retour, sa conduite serait sévèrement examinée, qu'il serait puni suivant la gravité de sa faute, de manière à ce que le roi de Castille reçût une pleine satisfaction. Cette réponse ne contenta pas l'ambassadeur : il déclara donc de la part de son roi la guerre à l'Aragon. Don Pedro le Cérémonieux répondit qu'il n'était pas juste de faire la guerre à un peuple

pour l'acte d'un particulier; qu'au reste, si on l'attaquait, il se défendrait, et qu'il prenait Dieu à témoin de la justice de sa cause.

Les hostilités commencèrent, et le roi d'Aragon appela à son aidé tous les Castilians que les fureurs de leur roi avaient forcés de s'expatrier. Don Enrique, réfugié en France, répondit à son appel, et reçut des domaines moyennant lesquels il s'engagea à entretenir au service de l'Aragon un corps de 800 cavaliers. Les principaux capitaines du roi d'Aragon étaient don Enrique de Trastamare, don Pedro de Exerica, et le comte Lope Fernandez de Luna. Du côté du roi de Castille, les capitaines étaient Fadrique, maître de Saint-Jacques, les deux infants d'Aragon, don Juan et don Fernand, et enfin don Juan de la Cerda et Alvar Perez de Guzman; mais il faut dire que le roi d'Aragon était bien mieux servi par ses officiers que le roi de Castille ne l'était par les siens. Ces derniers, en effet, détestaient les cruautés de leur souverain et vivaient dans une continuelle appréhension de voir tomber sur leur tête son implacable colère; aussi beaucoup d'entre eux ne tardérent-ils pas à l'abandonner pour passer au service de l'Aragon. Don Fernand, marquis de Tortose, l'aîné des infants d'Aragon, fut celui qui donna l'exemple de cette défection; il fut bientôt suivi par don Juan de la Cerda et par don Alvar Perez de Guzman. Ces deux seigneurs étaient les gendres de don Alonzo Coronel, seigneur d'Aguilar, qui avait été une des premières victimes de la fureur de don Pedro. Don Juan avait épousé doña Maria Coronel; don Alvar Perez de Guzman était mari de doña Aldonza. Cette dernière avait été remarquée par le roi, qui voulait l'enlever à son mari. Ce motif détermina les deux beaux-frères à déserter la cause d'un tyran qui, non content de verser le sang de ses sujets, cherchait à leur ravir leur honneur. Don Alvar Perez de Guzman passa en Aragon; don Juan de la Cerda se retira dans ses domaines d'Andalou

sie, où il rassembla des troupes et il commença à ravager le pays; mais il fut attaqué et fait prisonnier par les milices de Séville. Le roi était à Tarazona qu'il venait d'enlever aux Aragonais lorsqu'il reçut cette nouvelle. Il manifesta une grande joie en apprenant que don Juan de la Cerda était tombé entre ses mains, et il envoya aussitôt à Séville un de ses arbalétriers à masse, nommé Rodrigo Perez de Castro, avec ordre de mettre, sans le moindre délai, don Juan de la Cerda à mort. Dès que Maria Coronel fut avertie de la captivité de son mari, elle alla se jeter aux genoux de don Pedro, et celui-ci, par un raffinement de cruauté dont lui seul était capable, lui donna un ordre écrit pour que son mari lui fût rendu sain et sauf. Il savait bien cependant que sa condamnation devait être déjà exécutée; aussi lorsque doña Maria Coronel arriva à Séville pour faire rendre don Juan à la liberté, il y avait huit jours qu'il avait été mis à mort.

Cependant le pape ne voyait pas sans douleur la guerre qui divisait l'Aragon et la Castille; il avait envoyé dans la Péninsule un légat qui, en 1357, parvint à faire conclure une trêve d'une année. Doña Aldonza Coronel profita de ce temps de paix pour venir à Séville, où se trouvait en ce moment le roi, afin de lui demander la grâce d'Alvar Perez de Guzman. Le roi la fit enlever du couvent de SainteClaire où elle s'était réfugiée; mais s'il fallut dans le principe qu'il employât la violence, bientôt elle cessa d'être nécessaire, et doña Aldonza Coronel devint la maîtresse avouée du bourreau de son père. Don Pedro ne pouvait lui donner pour demeure l'Alcazar, qui était occupé par Maria de Padilla; il la logea dans un antique bâtiment de construction romaine, élevé sur le bord du Guadalquivir et appelé la Tour-de-l'Or qui avait sans doute été dans le principe destiné à protéger la navigation. Pendant longtemps, pour fermer le passage du fleuve, on y attachait le bout d'une chaîne, dont l'autre extrémité allait

s'accrocher sur la rive droite au faubourg de Triana (*).

Don Pedro donna des gardes à sa nouvelle maîtresse, et pour qu'elle n'eût pas à redouter la jalousie de Maria de Padilla, il lui laissa par écrit de pleins pouvoirs. Aldonza ne tarda pas à en abuser; elle fit arrêter Hinestrosa, l'oncle de sa rivale; mais don Pedro désapprouva cet acte : il fit remettre Hinestrosa en liberté; puis, dégoûté déjà de ces passagères amours, il les quitta pour retourner à Maria de Padilla.

Quand on s'occupe de ce règne, on rencontre à chaque pas le rapt et l'adultère, le meurtre et l'assassinat. Ainsi maintenant, s'il faut laisser de côté les concubines de don Pedro, c'est pour raconter un fratricide. Le maître de Saint-Jacques venait de reprendre Jumilla. Cette ville du royaume de Murcie avait été enlevée pendant la trêve par un seigneur aragonais, qui, prétendant qu'elle était sa propriété privée, soutenait qu'elle n'avait pu être comprise dans les traités conclus entre les deux rois; mais don Fadrique l'avait reconquise, et pensant avoir mérité par ce service les bonnes grâces de son frère, il venait en toute hâte à Séville, où celui-ci l'avait fait appeler.

Le matin même du jour où don Fadrique devait arriver, le roi fit venir en ses appartements l'infant don Juan d'Aragon, son cousin, et Diego Perez Sarmiento, qui était grand adelantade de Castille. Il leur fit faire serment sur la croix et sur les saints évangiles de garder le secret sur ce qu'il allait leur dire. Après qu'ils eurent juré, le roi parla ainsi à l'infant : << Mon cousin, je sais fort bien, et vous savez comme moi que le maître de Saint-Jacques, don Fadrique, mon frère, vous veut beaucoup de mal. Je crois que vous le lui rendez. Et moi, comme je sais qu'en certaines choses il va contre mon service, je prétends le faire tuer aujourd'hui. Je vous prie que vous m'aidiez; en le faisant vous me rendrez un grand service. Aussi

(*) Voir la planche 37.

tôt que le maître sera mort, je compte partir pour la Biscaye afin de faire tuer don Tello, et de vous donner les terres de la Biscaye et de Lara qui vous reviennent naturellement, puisque votre femme doña Isabelle est fille de Juan Nuñez de Lara et de doña Maria. » Alors l'infant répondit E au roi « Seigneur, je vous remercie d'avoir bien voulu me confier votre secret. Il est vrai que je veux beaucoup de mal au maître de Saint-Jacques et au comte don Enrique son frère. Ils ne me veulent pas moins de mal parce que je suis à votre service. Je suis donc très-satisfait que vous ayez pris la détermination de faire tuer aujourd'hui le maître, et si tel est votre plaisir, je le tuerai moi-même. » Le roi fut très-satisfait de la réponse de l'infant, et lui repartit: «Infant, mon cousin, j'agrée ce que vous me dites, et je vous prie de faire ainsi que vous le proposez. » Mais Diego Perez Sarmiento, qui était présent, dit à don Juan: «< Seigneur, laissez faire le roi, il ne manquera pas d'arbalétriers pour tuer le maître de Saint-Jacques.» Ces paroles déplurent grandement au roi, car il eût vu avec plaisir que l'infant tuât don Fadrique.

Le mardi 29 mai 1358, le maître de Saint-Jacques, don Fadrique, arriva à l'Alcazar de Séville, à l'heure de tierce; aussitôt il alla faire sa révérence au roi, et le trouva occupé à jouer. En entrant il lui baisa la main, et celuici le reçut en apparence de fort bon visage. Il lui demanda de quel lieu il était parti ce même jour, et s'il avait un bon logement. Le maître répondit qu'il venait de Santillane, qui est à cinq lieues de Séville; et que, quant au logement, il ne le connaissait pas encore, mais qu'il espérait bien qu'il serait bon. Alors le roi lui dit d'aller arrêter son quartier, et de revenir ensuite; le roi disait cela, parce que le maître était venu accompagné de beaucoup de chevaliers. Le maître se sépara alors de don Pedro. Il alla voir doña Maria de Padilla, ainsi que les filles du roi, qui se tenaient dans un autre appartement. Doña Maria savait tout ce qui

avait été résolu contre le maître, et quand elle vit don Fadrique, elle lui fit si triste visage que tout le monde aurait pu la comprendre, car elle voulait du bien au maître, et c'était contre son gré que la mort de celui-ci avait été ordonnée. Dès que le maître eut vu doña Maria, ainsi que les filles du roi, ses nièces, il s'en fut et descendit dans la cour de l'Alcazar, où l'on avait laissé les mules. Il voulait aller à son logement pour disposer son monde ; mais quand il fut dans la cour, les mules ne se trouvèrent plus, car les portiers du roi avaient fait sortir tout le monde de la cour; ils avaient mis les mules dehors, puis ils avaient fermé toutes les portes. Le maître en voyant que ses mules n'étaient pas là, ne savait pas s'il devait retourner vers le roi, ni ce qu'il devait faire; et un chevalier natif des Asturies, qui se trouvait avec lui, et que l'on nommait Suer Gutierrez de Navalez, comprit qu'il y avait quelque mal là-dessous; il voyait en l'Alcazar un grand mouvement, et dit au maître : « Seigneur, la porte de derrière de la cour est encore ouverte; sortez; les mules ne manqueront pas. » Il lui répéta plusieurs fois ce conseil, car il pensait que si le maître sortait de l'Alcazar, il serait sauvé, ou du moins qu'on ne pourrait le prendre sans qu'un grand nombre des siens mourussent avant lui. Sur ces entrefaites, deux chevaliers de Saint-Jacques, appelés l'un Ferrand Sanchez de Tovar, l'autre Juan Ferrandez, qui ne savaient rien de ce qui se préparait, vinrent dire au maître que le roi le demandait. Le maître se disposa donc à retourner vers le roi : il était fort inquiet, et se doutait déjà du mal qui allait advenir. Comme il passait par les portes du palais, à mesure qu'il pénétrait dans les salles il trouvait moins de monde, car il avait été ordonné aux portiers de ne laisser entrer personne. Le maître arriva jusqu'à l'endroit où était le roi, et on laissa entrer avec don Fadrique le maître de Calatrava, qui l'accompagnait sans se douter en aucune manière de ce qui allait se passer. Lorsqu'ils

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