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SUR BUONAPARTE.

LES historiens romains rapportent qu'Auguste, au lit de la mort, demanda gaiement à ceux qui se trouvoient auprès de lui, s'il n'avoit pas bien joué son rôle, et s'ils ne devoient pas l'applaudir. Il paroît qu'Auguste se traitoit alors en comédien, et peut-être se rendoit-il justice; car il n'arrive que trop souvent que ces hommes qui font tant de bruit sur la scène du monde, et qui occupent toutes les trompettes de la Renommée, ne sont véritablement que des comédiens couverts d'un masque plus ou moins adroit, qui jouent un rôle appris d'avance, et dont la dissimulation est le principal mérite. Mais au moins Auguste avoit terminé avec modération une carrière commencée d'une manière atroce. Plusieurs années de paix et de douceur avoient fait oublier les fureurs d'Octave, et une domination injuste dans son origine, mais sage et tfanquille, avoit succédé aux guerres et aux proscriptions.

Le grand comédien qui vient de disparoître de la scène, n'a même pas cette excuse, et n'offre point cette compensation. L'ambition de faire oublier tous les maux qu'il nous a attirés est la seule qui lui ait manqué, et la fin de son rôle a été marquée par un redoublement de désastres qui doit ôter aux spectateurs l'envie de l'applaudir. Chez lui, Auguste n'a point remplacé Octave; acteur plus constant dans sa manière d'occuper la scène, il n'a point changé de caractère, et s'est toujours montré tout aussi ambitieux tout aussi violent, tout aussi égoïste, tout aussi insensé. Un autre parvenu au faîte de la puissance, auTome V. L'Ami de la R. et du R. No. 107.

C

roit cru devoir se reposer et laisser reposer les autres. Il auroit mis sa gloire à pallier le vice de son intrusion par une apparence de justice et de modération. Après avoir étonné par le fracas de ses exploits, et effrayé par ses rigueurs, il auroit tenté d'inspirer des sentimens plus doux. Il auroit senti que la bonté peut seule consolider l'ouvrage de la force. Le comédien d'Ajaccio n'eut point cette sage politique, et il en a été la victime. Ce sont des réflexions qu'il peut faire maintenant qu'il vogue vers Saint-Hélène. Il doit voir qu'il s'est conduit non-seulement en furieux, mais en fou, et je suis persuadé qu'il regrette plus ses sottises que ses crimes, et qu'il a plus de honte d'avoir mal calculé que d'avoir dévasté l'univers.

Cet homme indéfinissable est-il bien connu, j'en doute. Nous savons tous de reste ce qu'il y a de plus frappant dans sa vie, ses guerres effroyables, son despotisme, ses ravages, sa cupidité, ses hauteurs, ses traits de colère et de cruauté. Mais il est une partie de son caractère qui ne paroît pas avoir été assez remarquée, c'est une habitude de jactance et de charlatanisme tout-à-fait digne d'un comédien de profession, c'est un mélange d'orgueil et de bassesse, c'est le passage rapide d'une conversation hautaine et superbe à un trait trivial et plat, c'est l'oubli ou plutôt l'ignorance de tout ce qui sied à un souverain, c'est enfin une sorte de décousu, d'égarement de l'esprit, d'inconsistance dans la conduite qui se trahit d'une manière choquante et honteuse. Déclamateur arrogant, mais inégal, son langage brusque et haché, étoit semé tantôt de boutades outrageantantôt de naïvetés risibles, et sous le manteau de pourpre du roi de théâtre, vous découvriez

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le haillon du parvenu. Ce mélange se faisoit sentir surtout dans ces occasions plus importantes où la colère, la honte ou la peur dominant son esprit, l'empêchoient d'observer toutes les nuances de son rôle et lui donnoient de fâcheuses distractions. Alors, au milieu d'un flux de paroles hautaines, de menaces, d'emportement, il lui échappoit de ces expressions grotesques, restes et indices d'une origine ignoble, dont le vieil homme ne pouvoit se dépouiller. Ceux qui l'approchoient ont pu saisir fréquemment ces espèces de caricatures qui trabissoient le charlatan, au moment même où il vouloit jouer le rôle de grand homme. C'étoit une suite d'un mauvais naturel que l'art ne pouvoit cacher entièrement, quelque violence qu'il se fit. C'est ainsi que dans un discours qu'il prononça ab irato, aux députés du corps législatif, le 1. janvier 1814, il mêla à des reproches orgueilleux les expressions les plus triviales. Vous avez voulu me BARBOUILLER aux yeux de la nation, dit-il aux députés Hélas! il s'étoit bien barbouillé tout seul, pour parler ici son langage, et malheureusement il nous avoit aussi fort barbouillés avec lui. Il ajouta dans le même discours : Si nous avions NOTRE Linge sale a LAVER, ce devoit être en famille; phrase digne de la crasse de son origine. C'est dans cette même circonstance qu'il définit si noblement le trône, quatre planches recouvertes d'un tapis. Le trône n'est plus que cela en effet, quand il est occupé par un malotru qui ne sait y attacher aucune illusion, et qui le dépouille de tout ce qu'il y a de vénérable et de sacré.

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Nous avons plusieurs autres exemples de discours prononcés par Buonaparte, et qui n'offrent pas plus de suite et de dignité. Toujours un style haché, des idées

incohérentes, un ton fâché, des boutades, des grossièretés, des répétitions sans fin. Ainsi, dans un discours qu'il adressa, le 30 avril 1810, au clergé de Malines, et que j'ai sous les yeux, il ressasse les niêmes nuages et les mêmes formules. C'est-là qu'il disoit avec autant de décence que de justesse : Les Papes ont fait trop de sottises pour les croire infaillibles.....

Quoi qu'on en dise, je crois qu'ils brúlent aux enfers... Le Pape est un bon homme, mais ignorant. Ses démêlés avec ce vénérable Pontife étoient alors le sujet le plus ordinaire de ses discours. Il revenoit sans cesse sur cet objet, plaisantant sur l'excommunication apostrophant les cardinaux, et se faisant un plaisir de leur dire des choses désagréables. Il avoit lu deux ou trois brochures contre les Papes, et en avoit retenu quelques phrases impertinentes ou satiriques qu'il cousoit dans tous ses entretiens, et qu'il varioit suivant le caprice ou le besoin. C'étoit là toute sa théologie, dans laquelle il s'étoit peut-être fortifié par ses colloques avec des hommes fort souples et fort complaisans. Quoi qu'il en soit, il y eut un temps où il aimoit à faire étalage de ses connoissances à cet égard. Il faisoit revenir à tout propos les Grégoire, les Boniface, les Jules ; il endoctrinoit le clergé dans ses voyages. A Anvers, il parloit de jeter dans l'Escaut ceux qui ne voudroient pas prier pour lui. Il se plaisoit à épouvanter les prêtres par des menaces, et à leur adresser de ces mercuriales qu'il croyoit énergiques parce qu'elles étoient insolentes.

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On vient de publier en ce moment une Histoire de l'ambassade de Pologne, par un homme revêtu d'un caractère diplomatique. On y rapporte une conversation curieuse entre cet ambassadeur et Buona

parte, au moment où celui-ci s'échappa. si glorieusement de Russie, laissant son armée dans l'état le plus déplorable. Sur ce qu'on le félicitoit d'avoir échappé à tant de dangers; dangers! reprit-il, pas le moindre. Je vis dans l'agitation; plus je tracasse, mieux je vaux... Je pèse plus sur mon trône qu'à la téte de mon armée... Tout ce qui arrive n'est rien; c'est un malheur, c'est T'effet du climat...... J'en ai vu bien d'autres...... On vient me dire tous les matins que j'ai perdu dix mille chevaux dans la nuit. Eh bien! bon voyage..... Ah! ah! c'est une grande scène politique. Qui n'hasarde rien, n'a rien..... Je ne me suis jamais mieux porté; quand j'aurois le diable, je ne m'en porterois que mieux. Dans cette même conversation, il répéta plusieurs fois cet adage: Du sublime au ridicule, il n'y a qu'un pas. Du reste, pas la moindre la moindre marque d'intérêt pour tant de braves qu'il avoit entraînés à leur perte. Une insensibilité stoïque, une fluctuation d'idées, des projels incohérens, des espérances gigantesques, mais surtout un égoïsme parfait, et qui ne voyoit jamais que lui sans songer ni au bonheur de la France, ni au sort de tant de malheureux, voilà le caractère de eet entretien, voilà celui de l'homme. Il y a même dans cette conversation, dont nous retranchons les trois quarts, et qui est pleine de divagations, de redites et de folies, il y a de ces traits de la nature de ceux que nous remarquions plus haut, et qui ne peuvent partir que d'un homme au-dessous de sa position. Plus je tracasse, mieux je vaux, me paroît un de ces dictons qui peignent au naturel un brouillon affamé de désordre et de bruit. Mais ce qu'il y eut peut-être de plus révoltant dans ce discours, ce fut la gaieté affectée du fugitif, ses plaisanteries, son air libre, sa facilité à parcourir toute sorte de sujets; et

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