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§ 2. QUAND LE JUGE PEUT ET QUAND IL NE PEUT PAS

APPLIQUER LES LOIS AU PASSÉ.

50. La loi rétroagit et régit le passé, si telle est la Tome ler volonté expresse ou tacite du législateur.

Cette volonté tacite doit être présumée, si la loi, ayant pour objet un intérêt général, ne trouve en face d'elle que des intérêts individuels. Tel est le cas, si elle concerne des droits réglés par des raisons d'intérêt général. Régissent donc le passé, d'abord les lois politiques qui comprennent, entre autres, les lois électorales, les lois d'impôt, les lois sur les fondations; ensuite les lois d'ordre public, dans lesquelles doivent être rangées les lois déterminant l'état des personnes et la capacité ou l'incapacité qui en résulte.

Au contraire, cette volonté tacite ne doit pas être présumée, si la loi, même d'intérêt général, se heurte au droit acquis d'un citoyen, c'est-à-dire à un droit privé concernant directement ou indirectement la propriété; toutefois, la rétroactivité pourra être admise si l'usage ou l'exercice de la propriété sont seuls en jeu, et si l'intérêt général l'exige.

Quel que soit l'objet de la loi, le juge, sauf disposition expresse, ne pourra la faire rétroagir que dans les cas où la rétroactivité sera applicable sans qu'il y ait de mesures transitoires à prendre, de telle sorte que la législation nouvelle remplacera immédiatement et de plein droit la législation ancienne.

Les difficultés, auxquelles cette matière a donné lieu, paraissent provenir de ce que les commentateurs de l'article 2 ont donné à la notion de la rétroactivité une portée qu'elle n'a pas, et ont, en conséquence, considéré à tort toute une catégorie de lois, comme échappant par leur nature à l'application de cette disposition.

Ainsi, la doctrine enseigne que dérogerait à l'article 2 et régirait le passé, la loi nouvelle qui, fixant à 25 ans l'âge de la majorité, rendrait par cela même mineurs les

nos 151 à

166.

individus majeurs selon le code civil, mais n'ayant pas encore 25 ans.

Il n'y aurait là, croyons-nous, ni rétroactivité ni dérogation à l'article 2.

Une loi rétroagit ou régit le passé si, par suite d'une fiction, elle est regardée comme ayant existé à une époque antérieure à celle de son existence réelle tel est le cas de la loi du 17 nivôse an II, qui fait remonter jusqu'au 14 juillet 1789 l'égalité absolue des partages entre cohéritiers.

Une loi, retardant l'âge de la majorité, rétroagira donc, non pas si elle fixe l'état des personnes pour l'avenir c'est-à-dire postérieurement à sa publication, mais si elle règle leur état dans le passé, de telle sorte que ceux qui étaient majeurs en vertu de la loi ancienne, et qui ne le sont plus sous la loi nouvelle, seront considérés comme n'ayant jamais été majeurs, comme ayant toujours été incapableset, par conséquent, comme pouvant demander la nullité de tous les actes faits par eux.

Or, même les auteurs, qui disent que pareille loi rétroagirait, reconnaissent que les actes, faits avant sa publication par les majeurs qu'elle rend mineurs, resteront valables ils ne considèrent donc pas que fictivement cette loi a existé avant sa publication. C'est, par conséquent, à tort qu'ils enseignent qu'elle rétroagit, oubliant cette interprétation si claire de l'article 2 donnée par Portalis Détruire une institution qui existe, ce n'est certainement pas faire une loi rétroactive, car, si « cela était, il faudrait dire que les lois ne peuvent rien changer. Le présent et l'avenir sont sous leur empire. « Elles ne peuvent certainement pas faire qu'une chose qui existe n'ait pas existé; mais elles peuvent décider qu'elle n'existera plus. » (Discours au Corps législatif, « séance du 23 frimaire an x.; LOCRÉ, t. Ier, p. 260, ❝ n° 24.

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Nous pensons que, sauf dérogation expresse, l'article 2 doit être rigoureusement observé.

La loi ne dispose que pour l'avenir, dit-il; elle n'a point d'effet rétroactif. Cela signifie que jamais la loi ne régit l'existence des droits antérieure à sa mise en vigueur, mais qu'elle régit leur existence postérieure à cette date, ou que, comme disait Faure : « La loi ne doit avoir pour but que de régler les cas non encore arrivés ». (Discours au Corps législatif 14 ventôse an XI, LOCRÉ, t. Ier, p. 317.)

Il faut toutefois avoir soin, tout en appliquant strictement l'article 2, de tenir compte de l'objet de la loi nouvelle et de l'origine de tous les droits.

Les droits, c'est-à-dire les facultés que les lois garantissent aux citoyens soit vis-à-vis les uns des autres, soit vis-à-vis de l'Etat, sont tous institués d'une façon expresse ou tacite par la loi. Celle-ci les crée et les fait vivre; elle les engendre, peut-on dire, perpétuellement; si elle disparaît, ils disparaissent avec elle, de même que la chose soutenue tombe si son support est anéanti.

Si donc une loi nouvelle porte sur l'institution même d'un droit, cette institution sera nécessairement régie pour l'avenir par la loi nouvelle; car, la loi ancienne ayant disparu, l'institution qu'elle faisait vivre, se sera anéantie avec elle. Il existe une loi établissant les droits de la puissance paternelle; intervient une loi nouvelle qui abroge la précédente : par cela même la puissance paternelle, telle que celle-ci l'avait créée, disparaît. La loi nouvelle s'est-elle bornée à abolir l'ancienne? Dans ce cas, la puissance paternelle, n'ayant plus d'existence légale, sera supprimée. La loi nouvelle ne s'est-elle pas bornée à abroger l'anciennne, mais a-t-elle établi la puissance paternelle sur de nouvelles bases? Dans cette hypothèse, les droits dérivant de la puissance paternelle continueront à exister, non pas à raison de la loi ancienne devenue impuissante, mais parce qu'ils ont été créés à nouveau par la loi nouvelle.

Or, si nous examinons les lois au point de vue de leur objet, nous constatons qu'il y a une catégorie de lois, qui portent presque toujours sur l'institution même d'un droit. Ce sont d'abord les lois politiques, par exemple celles qui modifient ou suppriment les droits électoraux : Une loi

nouvelle abroge la loi accordant le droit électoral; personne n'est plus électeur, et chacun ne le redeviendra que si la loi nouvelle crée à nouveau le droit électoral aboli par elle. Ce sont ensuite les lois sur la capacité des personnes, les lois qui modifient l'institution de tel état des personnes, par exemple celles qui aboliraient l'état de mariage; ce serait également l'effet des lois supprimant tels droits privés, comme le droit d'hypothèque, le droit du maître sur son esclave.

Au contraire, il est d'autres lois qui, tout en maintenant l'institution d'un droit, se bornent à déterminer les conditions dans lesquelles ce droit peut naître par exemple, la loi qui fixe les conditions de création d'une hypothèque; cette loi régit également l'avenir; mais, comme elle n'a pas touché à l'institution même du droit, comme aux termes de l'article 2 elle ne peut rétroagir, le droit hypothécaire acquis antérieurement sera main

tenu.

Nous aboutissons donc à cette conclusion, que l'article 2 doit être rigoureusement appliqué; mais que cette application produit des effets différents, suivant que la loi nouvelle détruit, comme disait Portalis, en tout ou en partie une institution qui existe, ou suivant qu'elle règle les conditions dans lesquelles cette institution pourra

naître.

Dans le premier cas, la loi a ce que les auteurs appellent erronément un effet rétroactif. Dans le second cas, pensant à tort que la loi nouvelle règle l'existence même du droit, ils disent qu'elle ne rétroagit pas parce qu'elle heurte des droits acquis. (Voy. infra, no 53.)

Comp. Liège, 13 avril 1892, Pasic., 1892, II, 287; Belg. jud., 1892, 665; les conclusions de l'avocat général Petiton précédant l'arrêt Cass. Fr., 18 février 1884, SIR., 1885, 1, 205; J. Pal., 1885, 1, 501; AUBRY ET RAU, t. Ier, § 30, p. 79 et note 67; PARDESSUS, Servitudes, t. II, p. 352 à 357. Sur l'effet des lois électorales, sic Cass. B., 28 juin 1880, Pasic., 1880, I, 235 et 236; - Cass. Fr., 28 octobre 1885, J. Pal., 1886, 916; SIR., 1886, 1, 377. La doctrine est constante en ce sens.

Sur l'effet des lois sur les fondations: sic Gand, 26 juillet 1884, Pasic., 1885, II, 27; - Cass. B., 5 juin 1873, Pasic., 1873, I, 211.

no 167.

51. La loi interprétative, n'étant que la loi ancienne Tome Ier législativement expliquée, n'est pas une loi nouvelle et régit nécessairement le passé.

Sic Huc, t. Ier, no 94;

et RAU, t. Ier, § 30, p. 60.

DALL., Rép., Supp., vo Lois, no 119; - AUBRY

no 168.

52. La loi nouvelle, qui reproduit le droit ancien, régit Tome Ier le passé, non parce qu'elle rétroagit, mais parce qu'elle reproduit le droit ancien.

Sic Gand, 10 mars 1894, Pasic., 1894, II, 283; Pasic., 1876, I, 166; Belg. jud., 1876, 385.

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Cass. B., 2 mars 1876,

Des droits d'état personnel.

§ 1er. PRINCIPE.

nos 169 à

33. Les lois d'état personnel régissent le passé par leur Tome Jer essence; mais les actes, légalement faits sous l'empire de la loi ancienne, ne peuvent être invalidés.

Aubry et Rau (t. Ier, § 30, note 20 et p. 67), distinguant l'état et la capacité, enseignent que l'état, régulièrement fixé, forme un droit acquis soustrait à la loi nouvelle, tandis que la capacité est exclusivement régie par celle-ci, les actes régulièrement faits sous l'empire de la loi ancienne restant toutefois valables. (Sic DALL., Rép., Supp., vo Lois, nos 128 et suiv.)

Comme nous l'avons exposé plus haut, no 50), nous pensons que pour résoudre les difficultés qui peuvent se présenter, il suffit d'appliquer rigoureusement l'article 2 et qu'il ne doit pas être question d'effet rétroactif.

La capacité de certaines personnes, l'incapacité de certaines autres sont des institutions créées par la loi, et qui ne subsistent que si la loi, qui les a établies, est maintenue; si celle-ci est abrogée, l'institution disparaît et sera nécessairement remplacée par l'institution dérivant de la loi nouvelle. Une loi déclarant incapables les mineurs de 21 ans est abrogée : l'incapacité et la capacité,

170.

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