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tude du Compte rendu, c'est-à-dire, dix millions d'excédent, et vingt-cinq millions de capitaux éteints, M. de Calonne a-t-il élevé le déficit en trois ans et quatre mois, à cent quarante millions (1)? Cela paroitroit inconcevable, si nous ne savions pas qu'indépendamment descharges de l'état,source primitive du déficit (2), le trésor royal étoit ouvert à toutes les fantaisies, accessible à toutes les intrigues. On auroit dit que le ministre n'avoit été appellé que pour satisfaire l'insatiable besoin d'argent de quelques personnes, pour répandre des graces et s'acheter des amis. Le scandaleux abus des pensions, n'eut plus de bornes. Quel tableau pour nos provinces épuisées, que cette immense énumération de vampires titrés, parmi lesquels on a peine à reconnoitre quelques serviteurs de l'état, mais où l'on trouve en revanche beaucoup d'étres diffamés et avilis! La vertu et le mérite, pour étre récompensés, étoient forcés de s'abaisser jusqu'à prendre les erremens de l'intrigue, et le vice étoit peut-être soldé! H y

24 Juillet 1787. Selon le tableau dressé par l'abbé Terray, les revenus de l'état devoient monter, pour l'année 1775, jusqu'à 367 millions. M. Necker les porta à plus de 428 pour 1782.

(1) Taux auquel les notables l'ont évalué.

(2) M. Mallet, premier commis des finances, sous M. Desmaretz, a démontré que, dans l'espace de deux siècles, on a mis forcément sur les peuples plus de cent millions de levées nouvelles et perpétuelles pour remplir les engagemens de gages et de rentes auxquels a obligé la vénalité des charges. Nous en donnerons ailleurs la progression.

auroit de l'injustice à charger M. de Calonne seul de ce vrai crime d'état. Il fut le ministre complaisant des passions dominantes à la cour; nous laissons à l'histoire le droit de distribuer l'opprobre, pour suivre la marche que nous nous sommes tracée.

La facilité des emprunts tenoit principalement à la confiance qu'inspiroit M. Necker. La nullité de ses successeurs et les dissipations de M. de Calonne devoient produire de contraires effets; aussi les premiers emprunts ne rendant point ce qu'on en avoit attendu, il fallut en ouvrir de nouveaux à des conditions plus avantageuses pour le prêteur, jusqu'à ce que les engagemens devinrent enfin si onéreux, qu'il n'y eut plus moyen de déguiser l'impossibilité de les remplir. M. de Calonne, parvenu à cette extrémité, fit convoquer les notables; il espéra en imposer par l'audace, et séduire par les ressources de l'esprit. Mais il ne tarda pas à s'appercevoir que les hommes rassemblés s'électrisent puis-, samment; que la philosophie et la révolution d'Amérique avoient donné des prétentions nouvelles, et qu'il ne faut souvent qu'ouvrir une issue à l'énergie, pour qu'elle fasse une orageuse explosion. Il voulut reculer, il n'étoit plus temps; il voulut dissoudre l'assemblée. avec l'arme détestée du despotisme (les lettres de cachet). Mais rien ne pouvoit plus surmonter l'opinion; elle planoit déjà sur la force exécutrice, et annonçoit la puissance qui crée les lois, qui brise en un instant les entraves des antiques abus. Forcé de se montrer sous plus d'aspects qu'il n'avoit cru, M. de Ca lonne ne put cacher le défaut de la cui

rasse; et les deux ordres privilégiés le regardant comme le plus dangereux ennemi de leurs prvilèges, unirent leurs efforts pour le pousser dans l'abime qu'il avoit voulu cacher. Nous lui devons du moins l'idée de l'égalité de l'impôt, et l'assemblée des notables. S'il étoit facile de trouver un ministre plus honnête-homme que M. de Calonne, il ne l'étoit pas de lui donner un successeur qui l'égalât en talens; et l'archevêque de Toulouse sur-tout, qui n'avoit d'autre mérite que la présomption de l'ambitieux, et les fausses ardeurs de l'impuissant, lui étoit inférieur jusqu'en probité. On avoit congédié les notables pour se débarrasser de leur importune présence; mais ils semèrent dans les provinces la plainte et le soupçon. Le nouveau ministre avoit à peine produit un instant d'illusion, que ses vues courtes, ses opérations mesquines, sa marche vague et inconséquente avoient détruite aussitôt. Il proposa au parlement les mêmes impôts que M. de Calonne avoit proposés aux notables, l'impôt territorial et celui du timbre; mais M. de Calonne, plus fin, avoit pressenti la résistance, tant en raison de la haine que lui portoit ce corps depuis l'affaire de M. de la Chalotais, que par intérêt particulier : c'est pourquoi il avoit tâché de séduire ou de persuader les notables, pour forcer l'enregistrement par l'autorité de leur opinion et de l'opinion publique. Les magistrats, grevés par le premier impôt, profitèrent de l'odieux du second pour éluder l'équité de celui qui auroit porté également sur toutes les propriétés. De-là, ce combat d'ordres et de refus, d'in-jonctions,

et

jonctions, de remontrances et d'arrêtés, qui finit par l'exil du parlement de Paris à Troyes. La nation étoit trop éclairée pour que le parlement renouvellât l'absurde prétention de tenir le roi en tutelle, et de porter la main au gouvernail. Pour cette fois, réduits à la seule vérité pour sortir d'embarras, ils adoptèrent l'avis d'un conseiller (1), qui leur représenta avec force qu'il étoit inutile de circuiter insidieusement; que la vérité de leur incompétence étoit apperçue et sentie; qu'il falloit se faire un mérite d'un aveu nécessaire. Ils confessèrent donc n'avoir pas le droit de sanctionner l'impôt; que ce droit appartenoit aux seuls étatsgénéraux, qui avoient celui de le consentir, ils en demandèrent la prochaine convocation. Les ministres furent entièrement déconcertés, et de l'étrange aveu et de la demande dangereuse du parlement. En effet, elle fut si vivement accueillie, répétée avec tant d'enthousiasme, que le roi se vit obligé de l'accorder; il s'y engagea par une solemnelle promesse. Les parlemens ont donc rendu un service réel à l'état ? Oui; mais il s'en faut beaucoup que leur gloire soit pure: ils ne surent pas même pallier les motifs déterminans de leur résistance et de l'aveu de leur incompétence; l'intérêt de corps et l'intérêt personnel percèrent de toute part. Cependant l'occasion étoit belle pour se rendre chers à la nation, et s'immortaliser dans ses fastes. La reconnoissance publique auroit peut-être balancé la justice qui les menace ; ils auroient au moins sauvé

(1) M. d'Eprémesnil.

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du naufrage un titre de gloire que l'on n'eût pas contesté. Ainsi le Clergé, au lieu de se porter conciliateur entre la noblesse et le tiers, lorsque le mouvement a cominencé, et de se faire, par cette conduite de paix analogue à ses devoirs, et par l'exemple du désintéressement, un rempart d'estime universelle, a préféré la morgue des prétentions et le diplôme usé des vieux abus. Ceux qui censurent la rapidité de la révolution ne réfléchissent pas que c'est cette même rapidité qui l'a assurée. Si le clergé, les parlemens et la noblesse avoient eu le temps de prévoir et de prévenir le coup, s'ils avoient eu le temps de s'armer de toutes pièces, et d'épuiser le génie des ambages, que les deux premiers possèdent si parfaitement, la liberté nous eût peut-être coûté cher. Mais à voir les écoles que les ministres et les corps privilégiés ont faites, et qui sont devenues pour le peuple un complément de droit, on diroit que quelque Dieu ait anéanti leurs facultés naturelles, comme on voyoit aux champs troyens les divinités protectrices des. Grecs rendre inutile la valeur des héros d'Ilion.

Quelque mince que soit le mérite intérieur des parlemens, ils ont produit de grands effets. D'abord ils ontavertila nation qu'elle avoit des droits puissans à exercer, de longues réclamations à faire. Dans leur querelle avec le ministère, il n'y avoit point de juges ; ils ont mis le peuple à portée de l'étre. Par leurs préten tions d'être partie essentielle de la législation, ils se sont exposés à l'examen; et l'on a vu qu'ils avoient abusé du mot pour usurper les droits et s'attribuer la puissance des grands

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