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Il faut convenir que ce n'est pas là le style de l'évangile qui parle au coeur, comme l'a dit Rousseau, lors même qu'il nous propose ses mystères. La pureté, la sublimité de sa morale, persuadent à la conscience la foi aveugle qu'il exige sur quelques articles, et la conscience peut obtenir le silence de la raison. Mais il n'en est pas moins vrai que les commentateurs ont nui au texte que les organes de la loi l'ont obscurcie; que les ministres des autels se sont mis plus d'une fois à la place de Dieu; qu'ils ont oublié qu'ils n'étoient que des hommes, et que celui dont ils tiennent leur mission n'établit son évangile que par la persuasion et des bienfaits; qu'il n'a persécuté personne pour le forcer de se soumettre au plus révoltant des despotismes, celui qui tyrannise les opinions, et les traite comme des crimes. L'esprit de sa loi les réprouve tous.

C'est parce qu'on a fait descendre du ciel le despotisme, et qu'on lui a donné une sanction divine, qu'il s'est si puissamment établi. Il y a long-temps que les droits de l'homme seroient réhabilités, sans l'épais tissu dont les prêtres de tous les Dieux ont voilé la raison, ou la stupeur dont ils l'ont frappée. S'il s'est trouvé des téméraires qui les aient blessés en raisonnant, ils ont crié à l'impiété, au sacrilège; et l'on sait combien terrible a été ce cri de guerre. Dans l'Inde encore, et ailleurs, leur palladium est intact. Mais l'Europe est enfin persuadée que l'homme n'est point naturellement impie; qu'il ne l'est point, sur-tout, parce qu'il condamne le despotisme sacré ; et que, si l'immoralité et la déraison vont trop

loin, un peu de haine nous est peut-être permis pour l'antique auteur de nos, maux. Ce ressentiment garantit la conquête de la

raison.

Si tous les prêtres du monde sont devenus plus ou moins odieux, c'est qu'ils ont été plus ou moins despotes, et que tous ont été ou sont encore les fauteurs du despotisme. Mais en bornant les nôtres à leurs augustes fonctions, en les dispensant des soins profanes. etdangereux d'administration, et des grandes propriétés, en leur étant l'occasion des pro cès, en les salariant avec décence et raison en permettant au mérite l'émulation de l'avancement, ils acquerront une considération réelle et méritée: car les prêtres de la loi de J. C. ont, entr'autres, cet avantage précieux; c'est qu'en les rappellant à leurs fonctions et à leur institution, ce sont des êtres respectables et utiles. Ils sont les dépositaires et les consolateurs des peines du peuple. Il ne seroit donc question que de les réduire, et de neutraliser les principes innés d'aristocratie qui leur ont valu la haine.

Mais, sans nous appesantir sur l'origine du despotisme, dont les excès ont amené la révolution présente, et pour nous dispenser de le suivre dans les canaux qui l'ont répandu, il suffira d'observer que le despotisme devenu puissance, et s'étant légitimé lui-même, les peuples ont été le jouet d'un petit nombre d'hommes, qui les ont alternativement fait servir à leurs caprices, ou immolés à leurs passions. Quelquefois ils ont déchaîné les guerriers contre les guerriers, les puissans contre les puissans, comme ils faisoient lancer dans

leurs arènes les lions contre les tigres. Quelquefois aussi, par fureur ou par calcul, ils ont déchaîné les loups contre les agneaux.

Cependant il y eut à Athènes, à Sparte et à Rome, de sages lois qui sembloient assurer pour toujours le triomphe de la liberté. On vit la loi s'établir au-dessus de toute puissance. Son empire prit dans Lacédémone un caractère de majesté si grand, si étonnant, que l'on seroit tenté de craindre que l'admiration n'associàt le merveilleux de la fable à la vérité de l'histoire, si les faits étoient moins garantis. Vains efforts du génie et de la raison! le despotisme, déguisé sous mille formes, sous les livrées même de la liberté reparut fortifié d'usurpations, et il réédifia son tr ne dans Sparte, dans Athènes et dans Rome, sur les débris des monumens élevés à sa ruine. Le despotisme est-il donc l'ame du monde social? Non, mais il est celle de la puissance: mais il est l'ame et le tyran de toute association, quand la loi, qui devroit t t dominer, est esclave de l'autorité.

empire Français n'ayant jamais eu de constitution, et la puissance souveraine n'étant pas celle de la loi, il y a long-temps que ses rois seroient despotes absolus, si, jusqu'à Louis XIII, ils n'eussent été contenus par les suzerains et les grands. Depuis Louis XIII, les lumières s'étant accrues et propagées les rois n'ont pas pu aller aussi loin qu'ils auroient été, quoiqu'il soit vrai de dire que Louis XIV ressemble beaucoup à un Sultan, On sentit moins la pesanteur de son jong, parce qu'on se souvenoit encore de celle des fers de la féodalité, et on le luipardonna, parce qu'il fut

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grand. La nation s'étoit enivrée avec lui, et comme lui.

Ainsi, depuis l'origine de la monarchie, nous avons alternativement gémi sous le despotisme féodal et sous le despotisme ministériel. Richelieu étouffa le premier pour établir l'autre. Le ministère conquit le pouvoir que perdirent les grands, et l'on ne sentit pas assez que le despotisme, pour être simplifié, n'en seroit pas moins actif; qu'il n'auroit que plus d'agens, quoiqu'il y eût moins de despotés, parce que les ministres lui appliqueroient, au besoin, toutes les forces motrices d'un grand état.

Le despotisme féodal étoit sûrement plus contre nature; mais il y avoit au moins une espèce de lien de relation qui lioit le serf à son maître, et intéressoit le seigneur à son esclave; au lieu que le despotisme des ministres ne portoit sur aucune base qui ne fût odieuse. L'un appartenoit plus à la barbarie, l'autre fut atroce. Si les serfs étoient comme les animaux domestiques de leurs seigneurs, ceux-ci les nourrissoient, les vétoient, les faisoient soigner dans leurs maladies: ils invitoient à la population, et les ministres aidoient à dessécher le sein de la nature. Les despotes féodaux ont abusé en barbares du droit de propriété et de force; mais un ministre étoit bien plus coupable, lui à qui le roi sembloit dire, en l'appellant: «Ma famille est trop nom» breuse pour que mes facultés et mes senti» mens puissent veiller sur tous, et pourvoir » à tout; je vous associe aux devoirs de la » paternité : je répands sur vous honneurs >> et richesses. Soyez le ministre de mes bon

« tés et de ma justice ». Voilà ce qu'un bon roi, ce que Louis XVI a dit, ou voulu dire, toutes les fois qu'il a nommé au ministère. D'après cela, conçoit-on rien de plus criminel qu'un ministre qui dissipe, tyrannise et dépréde? Est-il rien de plus punissable et de moins puni? On se contente de le renvoyer avec les dépouilles de l'état; et sa famille, qui se console du deuil de l'ambition avec ce qu'elle a obtenu de la faveur, après les premiers temps de la disgrace, compte parmi ses titres d'illustration d'avoir eu un ministre, tandis qu'elle devroit n'en avoir conservé que la tache. Qu'a risqué jusqu'ici un ministre scélérat? Sa place. Ainsi un ministre pouvoit faire impunément le malheur de 25 millions d'hommes, sans courir d'autre risque que de perdre le droit dont il abusoit si indignement. Il a fallu que nous avons pris bien peu d'intérêt à la chose publique, pour le souffrir aussi long-temps.

Sans doute l'autorité a besoin d'agens, puisque son domaine est aussi étendu, comme il faut une main qui tienne le frein du coursier, un bras qui dirige le soc de la charrue, et qui meuve le sceptre de la loi. Mais s'il n'y a pas de tribunal imposant auquel soit comptable celui qui substitueroit le poignard des passions à la balance ou air glaive sacré de la justice, on ne verra que l'affreuse combinaison de la force et de l'intrigue. C'est l'histoire ministérielle: George d'Amboise et Sull; sont presque les seules exceptions. On verra, comme sous Louis XV, deux cent trente mille lettres de cachet; et, par-tout où l'on connoitra un antre fortifié, on pourra dire en frémissant:

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