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rends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger, et l'autre simplement la puissance exécutrice de l'Etat... Des trois puissances dont nous avons parlé, celle de juger est en quelque façon nulle. Il n'en reste que deux (')... » Ainsi non seulement Montesquieu ne fait aucune place aux attributions d'ordre intérieur, c'est-à-dire proprement exécutives, de la puissance exécutrice dont il ne marque que le rôle extérieur et international, mais encore il réduit finalement les pouvoirs à deux, et la suite du chapitre oppose constamment le pouvoir législatif au pouvoir exécutif, sans mention du pouvoir judiciaire.

Ailleurs, il est vrai, Montesquieu insiste sur la nécessité de séparer le pouvoir de juger des pouvoirs législatif et exécutif; mais la question n'est plus la même; Montesquieu n'analyse plus la puissance publique, il propose des règles d'organisation. Or, il peut y avoir, il y a de bonnes raisons (nos 392 et s.) pour ne pas confier aux mêmes hommes les diverses branches du pouvoir exécutif, comme pour attribuer à différents organes les divers modes de la puissance législative. Cette division utilitaire n'implique pas une distinction scientifique identique.

On argumente encore de l'inamovibilité des juges, caractéristique du troisième pouvoir. A ce compte, dans les régimes où le juge n'est pas inamovible, il n'y aurait que deux pouvoirs; la loi positive, en établissant ou supprimant l'inamovibilité, pourrait donc augmenter ou réduire le nombre des fonctions essentielles de l'Etat? L'inamovibilité, qui n'appartient pas à tous les juges (2), appartient à d'autres que les juges (3); y aura-t-il donc autant de pouvoirs que de catégories de fonctionnaires inamovibles?

(1) Esprit des Lois, liv. XI, chap. vi.

(2) En France, les juges de paix et la plupart des juges administratifs ne sont pas inamovibles.

(3) Ainsi en France aux professeurs de l'enseignement supérieur et secondaire.

Au surplus, l'inamovibilité est l'une des garanties d'une bonne justice, pas davantage. Ce qu'il faudrait démontrer, c'est que le juge a une autre fonction que l'application des lois, ou au moins qu'il y a une différence essentielle entre ce mode d'exécution et les autres. Cette démonstration n'a pas été faite; on peut affirmer qu'elle ne sera pas donnée. Les partisans de la théorie classique se bornent à donner d'excellentes raisons pour rendre les juges indépendants de l'Administration. En un mot, ils ne songent qu'aux organes; et pour le moment il ne s'agit que des fonctions.

17. Un grand nombre d'autres théories ont été proposées. Les unes ajoutent aux trois pouvoirs connus un quatrième ici pouvoir administratif, là pouvoir royal, ailleurs pouvoir modérateur, pouvoir conservateur. Telle autre ajoute les finances et la culture publique, et divise le pouvoir exécutif en pouvoir représentatif, gouvernement et administration. Telle mentionne le pouvoir inspecteur exercé à Sparte par les épbores; ou le pouvoir dictatorial de la République romaine; ou le pouvoir censorial organisé à Rome et en Chine; ou le pouvoir électoral; ou ceux qui représentent l'opinion et la durée. Certaines abandonnent la division classique. L'une distingue six pouvoirs : électoral, représentatif, modérateur, ministériel, judiciaire, royal; un autre sept pouvoirs sur les personnes, sur les choses, sur les choses publiques, sur les individus, sur les classes de personnes, pouvoir de spécification, pouvoir attractif; une autre huit : pouvoirs déterminateur, opérateur, modérateur, postulateur, coercitif, certificateur, prédominant.

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Il ne peut être question de discuter ces théories, et il y en a bien d'autres, qu'il faudrait au préalable longuement expliquer. Elles ont été mentionnées pour faire voir les résultats de la confusion qui est la cause de la controverse.

18. En résumé, réserve faite sur la séparation pratique des pouvoirs, qui sera étudiée à sa place (nos 392

et s.), on reconnaîtra dans l'Etat la fonction législative qui formule les règles et la fonction exécutive qui les applique. Il faut donner à cette distinction son sens exact.

19. Les règles, dont l'expression constitue la fonction législative lato sensu, n'ont pas toutes la même importance.

Les unes fixent l'organisation, le fonctionnement et les rapports des autorités supérieures de l'Etat, posent les principes généraux selon lesquels chacun, autorités et particuliers, doit collaborer à la vie sociale. Ce sont les lois constitutionnelles; leur énonciation constitue l'exercice du pouvoir constituant.

D'autres appliquent aux divers intérêts sociaux, d'une manière générale et sans acception de personnes, les principes constitutionnels. Ce sont les lois proprement dites; leur énonciation est l'exercice du pouvoir législatif proprement dit..

D'autres concernent les détails pratiques, préparent, facilitent l'application de la constitution et des lois, les suppléent quelquefois. Ce sont les règlements; leur énonciation constitue l'exercice du pouvoir réglementaire (n' 334 et s.).

Pouvoir constituant, pouvoir législatif, pouvoir réglementaire, voilà les trois aspects de la fonction législative.

20. Les limites de ces trois pouvoirs sont indécises et ne peuvent être fixées a priori. Telle constitution règle jusqu'à la tenue des séances législatives ('), telle autre se borne à quelques décisions de principe (2). Selon les régimes, le domaine du pouvoir réglementaire est plus ou moins vaste, la compétence du pouvoir législatif subit des variations correspondantes. Les variations dépendent sans doute de la volonté du

( ) Ainsi les constitutions françaises de 1791 (tit. III, chap. III, sect. 2) et de l'An ш (art. 60 et s.).

(2) Ainsi nos lois constitutionnelles de 1875.

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constituant et du législateur; mais celte volonté, quelquefois gouvernée par des théories politiques ou sociales, subit plus souvent l'influence des circonstances: tantôt il est utile que la Constitution soit très détaillée, ainsi quand elle met fin à une crise longue et profonde, quand elle résout des questions nombreuses et aiguës; - tantôt cela est plutôt nuisible; si l'accord règne dans la nation sur la plupart des règles constitutionnelles, il est inutile d'accumuler les textes.

21. Les trois pouvoirs ont parfois des organes communs. Il peut arriver, il arrive qu'il y ait trois organes, ou, plus exactement, trois catégories d'organes. Il peut arriver aussi, il arrive qu'il n'y en ait que deux; que le pouvoir constituant et le pouvoir législatif par exemple soient confiés aux mêmes personnes; qu'un seul homme ou un seul corps exerce les trois pouvoirs. A supposer que les trois pouvoirs soient distincts, il n'est pas rare que telle décision de portée minime soit prise par l'autorité législative, et que l'autorité réglementaire prenne des décisions très importantes.

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A l'inverse, la même fonction peut être exercée par plusieurs organes; ainsi, dans un grand nombre de pays, la loi est faite en collaboration par le chef de l'Etat, une Chambre Haute et une Chambre Basse; ainsi encore, le pouvoir réglementaire est reconnu, avec une importance inégale, à beaucoup de fonctionnaires administratifs.

22. Passons à la fonction exécutive (1). Ses aspects sont aussi multiples et divers.

L'exécution de la règle peut être contentieuse ou non contentieuse.

Dans le premier cas, elle soulève des difficultés et des controverses résolues par des jugements; elle est souvent confiée à des organes spéciaux dont l'ensemble

(') L'exécution de la loi est souvent procurée par l'activité spontanée et libre des particuliers.

constitue l'autorité judiciaire, ou, plus exactement, juridictionnelle. Celle-ci se distingue souvent en justice judiciaire, qui statue sur les questions d'intérêt purement privé, et justice administrative, qui statue sur les questions où la puissance publique est en cause. Chacune de ces justices est exercée par un nombre plus ou moins grand d'organes spéciaux, de tribunaux.

L'application non contentieuse suppose que la loi lato sensu ne soulève, quant à sa portée et à son sens, aucune difficulté. Ses organes se divisent à leur tour en deux grandes catégories :

1o Le Gouvernement, qui exerce pour tout le territoire, toutes les personnes et toutes les matières, la fonction exécutive de l'Etat; il comporte des subdivisions correspondant à la division du travail exécutif;

2o L'Administration, qui exerce pour un territoire restreint, pour certaines personnes. pour certaines matières, la même fonction exécutive de l'Etat; elle se subdivise à son tour selon les nécessités de la division du travail.

23. La précision de ces formules et classifications n'existe pas dans les faits. Comme le Gouvernement et l'Administration ne diffèrent que par la sphère de leur action et non par la nature de leurs attributions, la limite entre leurs compétences est très mobile: tantôt l'Administration jouit de larges pouvoirs, tantôt au contraire le Gouvernement se réserve la connaissance et la décision de toutes les affaires.

En outre, si l'analyse sépare aisément l'exécution contentieuse et l'exécution non contentieuse, la distinction est, en certains cas pratiques, difficile à faire. Ainsi l'acte par lequel un ministre liquide une créance d'un particulier sur l'Etat a été longtemps considéré comme un jugement; l'opinion générale y voit aujourd'hui un acte administratif. Les organes

qui président à l'une et à l'autre ne sont pas toujours distincts. Plusieurs agents de l'exécution non contentieuse sont appelés à rendre la justice. Ce cas est

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