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CHAPITRE XIX

ATTRIBUTIONS DU PARLEMENT

263. Les attributions du Parlement sont nombreuses et variées. Elles sont fixées, outre les lois constitutionnelles, par un grand nombre de lois relatives aux matières les plus diverses et par une coutume très complexe. Il ne peut être question d'en donner l'énumération complète; on se contentera d'une classification et de l'étude des termes les plus importants, en particulier de ceux qui ont un rapport immédiat avec les textes constitutionnels.

Certaines constitutions (1791, tit. III, ch. III, sect. 1, et 1793, art. 54-55) ont tenté de donner une liste complète et limitative des attributions du Parlement. Le procédé est dangereux et ne peut convenir qu'aux temps de révolutions, où il est nécessaire d'imposer des limites à chaque pouvoir; en toute autre circonstance, la fixation constitutionnelle des pouvoirs du Parlement risque d'être incomplète et de créer d'insolubles difficultés. Fût-elle même exactement faite, elle aurait pour résultat de gêner le fonctionnement des pouvoirs publics, d'en supprimer la souplesse nécessaire, d'empêcher les changements que commandent les circonstances. Elle ne permet pas que le Gouvernement, en un cas où l'exercice de ses droits lui paraît trop grave ou trop important, consulte les Chambres sur une matière que la Constitution ne leur attribue pas; que d'autre part les Chambres se déchargent sur un gouvernement sûr et habile d'une partie de leurs attributions. Elle s'oppose à la collaboration des pouvoirs.

Il ne faut donc pas regretter que les lois de 1875 n'aient pas limitativement fixé les droits du Parlement.

On craindra peut-être que le Parlement n'abuse de ce silence pour s'attribuer une action excessive sur les affaires sociales, ou en sens inverse pour abandonner au Gouvernement des pouvoirs trop étendus. Ces craintes seraient exagérées : l'intérêt même du Parlement le pousse à ne pas augmenter ses occupations jusqu'à en être surchargé, à ne pas déléguer ses droits jusqu'à les abdiquer. On a pu cependant relever, surtout dans la Chambre des Députés, une tendance à exagérer les pouvoirs du Parlement. Cette tendance devrait trouver des barrières dans les règles qui limitent la durée des sessions et dans les pouvoirs du Chef de l'Etat.

En toute matière, du reste, il faut moins compter sur les lois que sur les hommes. De bonnes mœurs politiques, une exacte connaissance du rôle des Chambres valent mieux pour le fonctionnement des institutions qu'un texte limitatif (1).

264. L'ensemble des attributions des Chambres peut être divisé en huit ordres: législatif, constituant, parlementaire, électoral, administratif, intérieur, international, judiciaire. De ces huit catégories, deux seulement seront étudiées en détail ici les attributions législatives et les attributions judiciaires.

I

Attributions législatives.

265. Elles sont relatives à l'exercice du pouvoir législatif, à la confection des lois.

(1) Une énumération s'explique parfois par le caractère fédéral de la C. (Allemagne, Etats-Unis, Mexique, Rép. Argentine, Suisse), pour fixer les domaines respectifs des législations fédérales et particulières, parfois parce que le régime représentatif est considéré comme une concession d'une autorité absolue (Bade, Bavière, Saxe. Wurtemberg). Elle est alors nécessairement limitative. Il y a encore une énumération dans les C. Autriche, Espagne, Norvège, Portugal, Suède.

« Le pouvoir législatif s'exerce par deux assemblées : la Chambre des Députés et le Sénat » (L. C. 25 fév. 1875, art. 1, al. 1). Ce texte, comme on le verra (no 307 et s.), n'a pas pour objet d'exclure le Président de la République de toute participation à l'œuvre législative, mais seulement de déclarer que la confection des lois appartient aux Chambres seules (1).

266. I. Définition de la loi. L'exercice du pouvoir législatif consiste dans la confection de la loi : tous les actes du Parlement ne sont pas des lois.

Certaines Constitutions ont tenté, sans grand succès, de définir la loi. Celle de 1791, après l'avoir définie (Décl. des Dr., art. 6), « l'expression de la volonté générale », ce qui est vague, appelle lois les actes votés par le Corps législatif et approuvés par le Roi, ceux qui, repoussés par le Roi, ont été votés trois fois, enfin ceux, limitativement énumérés, qui n'ont pas besoin de la sanction royale. Elle réserve le nom de décrets à des actes également énumérés et dispensés de sanction. Ces notions étaient expliquées par l'énumération des matières qui devaient faire l'objet d'une loi ou d'un décret (tit. III, chap. II, sect. 3).

La C. 1793 définit (Décl. des Dr., art. 4) la loi « l'expression libre et solennelle de la volonté générale » et déclare (art. 53) que « le Corps législatif propose des lois et rend les décrets ». Ceux-ci sont valables et définitifs dès le vote, celles-là sont soumises à l'approbation du peuple. Les textes énumèrent les matières qui sont réglées par décret et celles qui sont l'objet d'une loi.

La C. An III est moins explicite. Elle appelle résolu

(1) Les Chartes (art. 15 et 14), l'Acte Additionnel (art. 2), le Scs. 1870 (arl. 11) attribuent le pouvoir législatif collectivement au Chef de l'Etat et aux Chambres de même les C. Belgique, Danemark, Espagne, Grèce, Italie, Pays-Bas, Serbie. Les C. Allemagne, Etats-Unis, Mexique donnent le pouvoir législatif aux deux Chambres.

tions les propositions votées par le Conseil des Cinq Cents (art. 79), et lois les résolutions adoptées par le Conseil des Anciens (art. 92).

Depuis l'An vi, le mot loi n'est plus l'objet d'aucune définition ni détermination.

Les lois de 1875 n'ont pas plus de précision. Elles autorisent cependant la définition suivante : la loi est un précepte juridique d'une portée générale, volé successivement par les deux Chambres. Examinons en détail cette définition pour établir une distinction entre la loi proprement dite et les autres actes du Parlement. Distinction d'un grand intérêt juridique, mais qui est, au point de vue pratique, sans grandes conséquences. Tous les actes du Parlement sont vulgairement appelés des lois, et, cela se conçoit : ils sont soumis au même régime. Le Parlement, précisément parce qu'il fait la loi et que la loi est la souveraine maîtresse des sociétés modernes, est considéré comme le pouvoir suprême et illimité; et tous ses actes sans distinction sout affranchis (n° 273) du contrôle juridictionnel qui maintient les autorités exécutives ou administratives dans les limites de la légalité.

La loi est caractérisée par des éléments intrinsèques ou de fond, et par des éléments extrinsèques ou de forme.

267. Les éléments de fond sont les suivants : 1° La loi est un précepte. Les actes des Chambres qui ne contiennent ni injonction ni prohibition ne sont pas des lois. Ainsi le vote par lequel les deux Chambres donnent leur assentiment à la guerre (no 345) proposée par le Président de la République n'est pas une loi; il ne contient aucun précepte, ni pour les citoyens, ni pour les fonctionnaires; il est un assentiment (L. C. 16 juil. 1875, art. 9). Il n'y a aucun précepte dans le vote qui approuve une cession, une adjonction, un échange de territoire; c'est à tort que la L. C. 16 juillet 1875, art. 8, al. 4, l'appelle une loi. Les votes relatifs (no 346) à un certain nombre de

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traités nécessairement soumis aux Chambres (L. C. 16 juil. 1875, art. 8, al. 3) sont des lois. Ces votes ne se bornent pas à consentir, à permettre; ils rendent le traité exécutoire, obligatoire pour tous; ils constituent donc un précepte.

2o La loi est un précepte juridique. Elle crée le droit, elle fixe les rapports des particuliers entre eux ou avec l'Etat, elle établit des droits et des obligations, elle organise. Tout acte des Chambres qui ne crée pas le droit n'est pas une loi. Ainsi les actes qui décident qu'il y a lieu à révision prescrivent implicitement la réunion de l'Assemblée nationale; ils ne contiennent aucune décision juridique. Le texte constitutionnel les appelle des délibérations (L. C. 25 fév. 1875, art. 8).

3o Ce précepte juridique a une portée générale. — La loi est une règle commune à tous, elle est faite sans acception de personne. L'application particulière à chacun n'est plus un acte qui formule la règle, c'est un acte qui l'exécute. De tels actes, les Chambres en font souvent (no 288); en les faisant, elles n'exercent pas leurs fonctions législatives.

268. Les éléments de forme sont les suivants :

1o Ce précepte juridique a été volé par les deux Chambres. Cela résulte à l'évidence du texte constitutionnel qui confie à deux Chambres l'exercice du pouvoir législatif (L. C. 25 fév. 1875, art. 1, al. 1). La plupart des textes constitutionnels qui parlent d'une loi font allusion au vote des deux Chambres (même loi, art. 3, al. 1; L. C. 16 juillet 1875, art. 7, al. 2).

Les actes qui émanent d'une seule Chambre ne sont pas des lois ainsi les actes par lesquels chaque Chambre exerce ses attributions parlementaires (n° 285), judiciaires (nos 290 et s.) et d'ordre intérieur (no 289). A leur sujet, la L. C. 23 fév. 1875, art. 4, al. 4, emploie le mot résolution.

Depuis quelques années, les Chambres, surtout la Chambre des Députés, se servent très souvent de la

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