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conféré au Chef de l'Etat n'est pas exclusif: les attentats prévus peuvent être poursuivis par le ministère public devant les tribunaux ordinaires. « Si l'instruction est commencée par la justice ordinaire, le décret de convocation du Sénat peut être rendu jusqu'à l'arrêt de renvoi» devant la Cour d'assises (al. 4) (1).·

Le troisième chef de compétence est, jusqu'à présent, le seul qui ait donné lieu à la convocation de la Haute-Cour. Elle a siégé deux fois en 1889, pour juger le général Boulanger et ses coaccusés; en 1899, pour juger MM. Déroulède, Buffet et autres.

293. Sur ce troisième chef de compétence, il s'est élevé en 1889 d'assez graves difficultés. Un groupe important dans le Sénat a soutenu que les faits relevés à la charge du général Boulanger, eussent-ils été tous prouvés, ne constituaient pas le crime d'attentat à la sûreté de l'Etat, et que par suite la Haute-Cour était incompétente. Cette opinion s'appuyait sur la définition de l'attentat donnée par le Code pénal: « L'exécution ou la tentative constitueront seules l'attental »> (art. 88) (2), et l'art. 2 exige pour la tentative « un commencement d'exécution » qui ne manque son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. Dans cette opinion, les faits incriminés rentraient dans la notion du complot (art. 89 C. P.) et ne pouvaient être jugés par la Haute-Cour. Celle-ci a décidé qu'elle était compétente même pour les complots et les faits connexes et a condamné les accusés (3)

(1) Si la Cour d'assises a statué déjà, son arrêt n'empêche-t-il pas toule poursuite devant la Haute-Cour? Cette question a soulevé des difficultés en 1899. Elle a été résolue négativement parce que de nouveaux faits, qualifiés complot, s'ajoutaient aux fails précédemment jugés par la Cour d'assises comme attentat à la sûreté de l'Etat.

(2) Ce texte date de la loi du 28 avril 1832, qui a révisé le Code pénal. Le texte de 1810 portait : «< Il y a attentat dès qu'un acte est commis ou commencé pour parvenir à l'exécution de ces crimes, quoiqu'ils n'aient pas été consommés ».

(3) Haute-Cour de justice, 14 août 1889, S., 90. 2. 245.

en vertu de l'art. 87 C. P. Il semble bien en effet que, en déterminant la compétence de la Haute-Cour, la Constitution ne s'est pas attachée aux définitions du C. P., et qu'elle a visé tous les crimes qui menacent la sûreté de l'Etat.

La même question a été soulevée en 1899 par les accusés et résolue contre eux (1).

294. Le système qui consiste à ériger la Chambre Haute en cour de justice (2) a l'inconvénient de remettre à des hommes politiques le jugement d'autres hommes politiques et de faits politiques; il est difficile que celle justice soit, et soit crue impartiale. L'inconvénient est, moindre lorsque la Chambre Haute se compose de membres de droit ou même de membres nommés par le Gouvernement et inamovibles, car elle ressemble beaucoup à une juridiction; il est très grave, lorsque la Chambre Haute est élective et renouvelable, comme notre Sénat. On peut craindre que l'assemblée ne se comporte comme un corps politique plutôt que comme un corps judiciaire, et que ses décisions ne soient pas toujours respectées et respectables, comme doivent l'être des jugements (3).

(') Haule-Cour de justice, 13 nov. 1899, S., 01. 2. 1.

(2) Il remonte à la Charte de 1814, art. 33, 34, 55, 56, complétée par l'O. 12 nov. 1815 : la Chambre des Pairs juge les crimes de haule trahison et les altentals contre la sûreté de l'Etat, les infractions commises par ses membres, les faits de trahison ou concussion impulés aux ministres. Il est adopté par la Charte 1830, art. 28 et 47, les L. 10 avril 1834, art. 4, et 9 sept. 1835, art. 1er. L'Acte Additionnel (art. 40-41) remet à la Chambre des Pairs le jugement des ministres et des chefs militaires.

La Chambre Haute forme la Haute-Cour en Angleterre (pour les membres du conseil privé, ministres et divers hauts fonctionnaires), Espagne (ministres), Italie (ministres, sénaleurs, tout accusé de haute trahison), Mexique (présidents de la Confédération et des Etats, ministres, conseillers d'Etat, membres des Chambres et de la Cour suprême), Rép. Argentine (Président de la République, ministres, juges), Etats-Unis et la plupart des Rép. américaines (fonctionnaires en général).

(3) Les sessions tenues par la Haute-Cour en 1889 et 1899 ne sont pas faites pour démentir ces craintes.

On aurait pu songer, et en quelques pays (1) on a songé à donner aux suprêmes juridictions judiciaires la compétence d'une Haute-Cour. Cette pratique est assurément meilleure que la précédente. Mais elle mêle à tort la plus haute autorité judiciaire à la politique; elle donne au Gouvernement le souci de composer cette juridiction d'après ses intérêts plutôt que d'après les intérêts généraux de la justice.

Un troisième système consiste à instituer une HauteCour spéciale, dans la composition de laquelle se reflète l'organisation judiciaire de droit commun, et notamment la distinction de la cour et du jury (2).

(') Belgique, Pays-Bas, Prusse, Roumanie, Vénézuela.

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(2) La L. 10-15 mai 1791 compose la Haute-Cour avec des membres du Tribunal de cassation tirés au sort et des hauts jurés tirés au sort sur une liste élue; la compétence embrasse toutes les accusations portées par le Corps législatif. Même système dans la C. An III, art. 265 et s., et la L. 20 thermidor An iv, les justiciables sont les membres des Chambres et du Directoire; dans la C. An vi, art. 73, pour le jugement des ministres. Le Scs. An XI (art. 101 et s.) compose la Haute-Cour avec des princes, des dignitaires de l'Empire, des sénateurs, des membres du Conseil d'Etat et du Tribunal de cassalion; il étend notablement sa compétence quant aux personnes (famille impériale, dignitaires, hauts fonctionnaires) et quant aux faits (crimes contre la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat). La C. 1848, art. 91 et s., crée, avec la compétence actuelle du Sénat, une Haule-Cour composée de juges élus par la Cour de cassalion dans son sein et de hauts jurés tirés au sort sur une liste de conseillers généraux formée par le tirage au sort. La C. 1852, art. 54, institue, pour juger les crimes commis contre le Chef de l'Etat et les attentats à la sûreté de l'Etat, une Haute-Cour organisée par le Scs. 10 juillet 1852; elle ne diffère de la précédente que par une Chambre de mise en accusation tirée de la Cour de cassation. Sa compétence fut élargie par le Scs. 4 juin 1858. — Je laisse de côté, comme étrangers au droit, le procès de Louis XVI instruit et jugé par la Convention, le Tribunal révolutionnaire (D. 10 mars 1793), les mises hors la loi.

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Une juridiction spéciale existe en: Autriche (24 membres élus moitié par chaque Chambre); Bade (Chambre Haute augmentée de magistrats); Danemark (Cour suprême doublée par l'adjonction de membres de la Chambre Haute, élus par celle-ci); · Grèce (président de l'Aréopage et 12 magistrats tirés au sort); - Norvège (Chambre Haute et Cour suprême réunies); — Saxe et Wurtemberg

L'idée qui inspire ce système est acceptable. S'il est vrai, et cela est douteux, qu'on ne puisse s'en tenir aux tribunaux ordinaires, du moins la juridiction exceptionnelle doit-elle offrir en matière politique les garanties jugées nécessaires en matière ordinaire surtout celle du jury.

Le meilleur système consisterait à laisser une Assemblée politique juger des hommes politiques, et à réserver aux tribunaux ordinaires l'application des peines proprement dites (1).

295. Revenons aux lois de 1875 : « Une loi déterminera le mode de procéder pour l'accusation, l'instruction et le jugement» (L. C. 16 juillet 1875, art. 12, al. 5) (2). La loi promise date du 10 avril 1889; elle n'est applicable qu'au jugement des attentats contre la sûreté de l'Etat, et ne concerne pas les accusations portées contre le Président de la République ou les ministres. En voici le résumé.

Le Sénat est constitué en Haute-Cour de justice par un décret du Président de la République, qui fixe le jour et le lieu de la première réunion. La Haute-Cour peut changer le lieu de ses séances (art. 1).

Elle se compose des sénateurs en fonctions au jour du décret (art. 2). Les parents ou alliés d'un inculpé jusqu'au degré de cousin germain, les sénateurs entendus comme témoins dans l'instruction ne peuvent siéger (art. 8). Tout sénateur est tenu de siéger, à moins que le Sénat n'approuve les motifs de son abstention (art. 2 et 9). Aucune délibération n'est

(délégués des Chambres et magistrats désignés par le roi); Turquie (10 sénateurs, 10 conseillers d'Etat, 10 membres de la Cour de cassation et de la Cour d'appel, tous tirés au sort; 9 d'entre eux forment la chambre d'accusation; les autres, la chambre de jugement). En Hongrie, la Chambre Haute élit entre ses membres 36 juges, sur lesquels 12 peuvent être récusés par l'accusation et 12 par la défense.

(1) Tel est le système suivi aux Etats-Unis.

(*) Ces points sont parfois réglés par la Constitution (C. An III, art. 112 et s.).

valable, si la moitié plus un des sénateurs en fonctions n'y assiste.

Le ministère public est choisi par le Président de la République, dans les parquets de cassation ou d'appel (art. 3).

Les fonctions de greffier sont remplies par le secrétaire général de la présidence du Sénat. Les actes sont signifiés par les huissiers ordinaires. Le personnel du Sénat fait le service des huissiers audienciers

(art. 4).

Le Sénat entend en séance publique lecture du décret qui le convoque et du réquisitoire du ministère public. Puis il ordonne l'instruction (art. 6).

Chaque année, au début de la session ordinaire, le Sénat nomme au scrutin de liste une commission de neuf membres et cinq suppléants, qui élit un président. Cette commission est chargée de procéder à l'instruction, le cas échéant (art. 7), et de statuer sur la mise en accusation (art. 11). Le président de la commission (1), assisté et suppléé au besoin par un membre que la commission lui adjoint, procède à l'instruction de l'affaire avec les pouvoirs d'un juge d'instruction en général; mais il ne rend pas d'ordonnance. Les demandes de mise en liberté provisoire sont jugées par la commission. Le président peut rendre un mandat d'arrêt sans les conclusions du ministère public (art. 8); il désigne un défenseur d'office pour les accusés qui n'en auraient pas choisi (art. 9).

Le dossier est transmis au ministère public qui fournit des réquisitions écrites, puis déposé au greffe pendant trois jours au moins; les accusés et leurs défenseurs peuvent en prendre communication.

La commission, après avoir entendu le rapport de son président, les réquisitions du ministère public et les observations des inculpés (art. 10), statue à la

(') Le projet de la commission sénatoriale confiait l'instruction au président du Sénat.

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