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CHAPITRE XXX

DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE

470. C'est à proprement parler la liberté du corps. Il est à peine utile de dire que la liberté individuelle est inconciliable avec l'esclavage, quelque nom ou forme qu'il prenne. Et en effet dans la nuit du 4 août, l'Assemblée Constituante vota l'abolition de tous les droits féodaux qui se rattachaient « à la mainmorte réelle ou personnelle et à la servitude personnelle >> (art. 1).

Le Code civil contient une des conséquences du principe : « On ne peut engager ses services qu'à temps ou pour une entreprise déterminée» (art. 1780).

Si la servitude personnelle a été aisément supprimée sur le territoire européen de la France, il en a été autrement aux colonies. Il est vrai, la L. 28 sept.16 oct. 1791 déclare libre tout homme qui entre en France et décide que la couleur n'est pas un obstacle à la jouissance des droits de citoyen; mais l'Assemblée Constituante n'abolit pas l'esclavage aux colonies. - Il est vrai, la Convention condamne solennellement l'esclavage (Déclar. 1793, art. 18; An III, art. 15) et même le déclare aboli dans toutes les colonies (L. 16 pluv. An u). Mais il ne paraît pas que la suppression ait été effective, et l'esclavage fut replacé sous le régime antérieur à 1789 par la L. 30 floréal An x (art. 1).

Pourtant des mesures furent prises pour entraver et réprimer la traite des nègres (L. 15 avril 1818, 25 avril 1827, 4 mars 1831; 0. 18 janv. 1823, 25 juil. 1833), pour adoucir le sort des esclaves et favoriser les affranchissements (O. 11 juin 1839, 5 janv. 1840, 16 sept.

Le D. 27 avril 1848 décida la suppression totale de l'esclavage colonial (art. 1), les propriétaires devant recevoir une indemnité fixée par une loi (art. 5). La perte de la qualité de Français punissait le fait de posséder, acheter ou vendre des esclaves (art. 8). Tout esclave touchant le territoire même colonial de la France se trouvait libre de plein droit (art. 7). · Et la C. 1848 déclare à son tour: « L'esclavage ne peut exister sur aucune terre française » (art. 6).

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Ces dispositions radicales ne furent pas conservées. La L. 11 fév. 1851 allongea à dix ans le délai de trois ans accordé aux Français pour affranchir ou aliéner leurs esclaves. La L. 28 mai 1858 excepta de l'application du D. 27 avril 1848 les Français déjà propriétaires d'esclaves à cette date ou l'étant devenus postérieurement par succession, donation, testament ou contrat de mariage.

Dans ces dernières années, les L. 17 déc. 1885 et 28 déc. 1891 ont adopté la plupart des mesures prescrites par l'Acte de Berlin du 26 fév. 1885 et la Conférence de Bruxelles du 2 juill. 1890, pour concourir à la suppression de l'esclavage et de la traite des noirs. En 1896, l'annexion de Madagascar et des îles adjacentes (L. 6 août 1896) eut pour conséquence la suppression de l'esclavage dans ces territoires. Enfin, le D. 15 juill. 1906 frappe de peines tous actes tendant à créer ou favoriser l'esclavage en Algérie et dans les territoires du Sud.

471. Chaque individu doit avoir la libre disposition de sa personne physique, de ses organes. D'où il résulte, comme conséquence principale ('), que l'arrestation d'un homme, même par l'autorité publique, même pour des motifs déterminés, doit être entourée

(1) On peut rattacher encore la nullité, aux yeux de la loi civile, des vœux religieux perpétuels (L. 13 fév. 1790, art. 1; C. 5 fruct. An III, art. 352), la nullité d'un louage de service perpétuel (C. C. 1780).

de garanties qui excluent l'arbitraire. C'est ce que signifient la C. 1791, til. I: « La constitution garantit... la liberté à tout homme, d'aller, de rester, de partir sans pouvoir être arrêté ni détenu, que selon les formes déterminées par la constitution »; et la Déclaration des Droits, art. 7 : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu, que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant il se rend coupable par la résistance ». : Elle fait encore figurer la sûreté parmi les droits naturels et imprescriptibles de l'homme (art. 2).

Des formules analogues existent dans toutes les constitutions françaises, jusqu'à celle de 1875. Elles témoignent du respect que le droit français affiche à l'égard de la personne humaine. Il faut convenir que ce respect est plus théorique que réel. Pour s'en rendre compte, on examinera l'organisation donnée au principe tant comme règle que comme exception, puis les pratiques effectives des Gouvernements successifs.

472. Une organisation correcte et libérale du principe comporterait, d'une part, des règles précises et des garanties sérieuses, et, d'autre part, les seules exceptions strictement indispensables.

Les règles et les garanties devraient être de deux sortes les unes relatives aux formes et conditions de toute atteinte à la liberté individuelle, les autres relatives à la désignation et à la responsabilité des agents chargés d'y procéder. Or, sur l'un et l'autre points, toutes les ressources doivent être cherchées dans le Code d'Instruction criminelle, auquel la législation du XIX siècle n'a apporté que d'insignifiantes améliorations.

Trois points principaux révèlent l'insuffisance des garanties:

1o Les pouvoirs très étendus donnés au juge d'ins

truction, véritablement maître discrétionnaire de la liberté individuelle. Or ce magistrat, inamovible comme juge, est amovible comme juge d'instruction, et le Gouvernement pourrait, pour des projets tyranniques, chercher à confier ces pouvoirs à un homme trop docile; une mauvaise habitude s'est établie, celle qui confie l'instruction et ses redoutables pouvoirs à des juges suppléants, jeunes et révocables.

2o L'article 10 du Code d'instruction criminelle, qui donne aux préfets, c'est-à-dire aux agents les plus nettement administratifs et les plus étroitement subordonnés au pouvoir exécutif, les pouvoirs du juge d'instruction. C'est livrer la liberté individuelle à l'arbitraire. L'art. 10 a survécu à nos révolutions nombreuses, résisté à plusieurs demandes d'abrogation. Le plus grand effort tenté contre lui se trouve dans la circulaire du 4 août 1906, par laquelle le ministre de l'intérieur se contente de recommander aux préfets de ne «< jamais user de ces pouvoirs sans en référer au préalable au ministre de l'intérieur ». C'est vraiment peu.

3o L'absence de responsabilité effective. Celle du juge d'instruction ne peut être mise en jeu que par la procédure de la prise à partie dont les formes (C. P. C. 505 et s.) sont tellement difficiles qu'elle n'est jamais employée. Celle des fonctionnaires administratifs est réglée par le Code pénal, art. 114 à 122. Mais comme il s'agit d'un crime, l'action publique ne peut être intentée que par le ministère public, c'est-à-dire avec le consentement du Pouvoir exécutif. L'action civile portée à un tribunal judiciaire peut être arrêtée par un conflit élevé par l'Administration.

Il faut convenir que les garanties de la liberté individuelle sont bien incomplètes.

473. La liberté individuelle comporte diverses exceptions qui ont toutes, sauf une, leur principe dans une loi. Voici les principales.

Les unes concernent les étrangers (1) seuls :

ils sont assujettis en principe (D. 23 mess. An III, art. 9; L. 28 vend. An vi) à l'obligation du passeport. En fait, un grand nombre de dispositions diplomatiques ont supprimé cette obligation à charge de réciprocité; elle a été rétablie implicitement par le D. 3 août 1914;

ils sont assujettis à faire une déclaration dans toute commune où ils s'installent pour exercer une profession, un commerce ou une industrie, excepté ceux qui sont autorisés à domicile, (D. 2 oct. 1888; L. 8 août 1893; L. 16 juillet 1912, art. 9);

ils peuvent être expulsés du territoire français par mesure administrative, arrêté du ministre de l'intérieur en général, arrêté du préfet dans les départements frontières (L. 3 déc. 1849, art. 7; L. 16 juill. 1912, art. 9). Cette règle est adoucie par certaines conventions diplomatiques (2).

474. Les autres concernent à la fois les nationaux et les étrangers.

Les aliénés peuvent être internés dans un asile, où ils sont retenus de force jusqu'à leur guérison. L'internement a lieu ou bien sur la demande d'un parent, du tuteur ou d'un ami de l'aliéné, appuyée d'un certificat médical; il dépend du directeur de l'établissement d'agréer ou de repousser la demande sous sa responsabilité (L. 30 juin 1838, art. 8); si l'internement a lieu dans un établissement privé, le préfet est averti et il avise le procureur de la République (art. 9 et 10);

(1) Pour le temps de guerre, voir p. 471, note 1.

(2) Ce pouvoir d'expulsion a donné lieu à une jurisprudence importante et des tribunaux administratifs et des tribunaux judiciaires. En effet, l'arrêté d'expulsion, bien qu'il ne soit pas assujetti à des conditions de fond et échappe ainsi à un contentieux administratif de pleine juridiction, reste, selon le droit commun, susceptible du pourvoi en annulation devant le Conseil d'Etat. D'un autre côté, l'étranger expulsé qui revient en France encourt des peines correctionnelles; le tribunal requis de les appliquer vérifie si l'arrêté d'expulsion est légal (L. 3 déc. 1849, art. 8; C. P. 272).

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