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II

Sources du droit constitutionnel.

2. Elles se ramènent à deux catégories: les textes écrits, la coutume. Entre ces deux catégories, la différence la plus saillante consiste en ce que les textes écrits ne peuvent perdre leur force obligatoire que par une abrogation (1) analogue à leur création, c'està-dire par un acte positif émanant d'une autorité publique compétente à cet effet; il en est autrement. des coutumes, que remplacent ou modifient valablement des coutumes nouvelles.

Les textes écrits portent habituellement le nom de constitution (quelquefois statut, charte, loi fondamentale), qui désigne alors « l'acte par lequel sont déterminés les droits politiques d'une nation, la forme de son gouvernement et l'organisation des pouvoirs publics dont son gouvernement se compose ». Pour que ce mot ait son sens plein, il faut encore que le texte constitutionnel diffère en quelque manière des autres actes, même législatifs, du gouvernement qu'il organise; par exemple, qu'il émane d'une autorité spécialement compétente; ou bien, s'il émane des autorités ordinaires, qu'il soit soumis, pour sa modification, à des règles spéciales, plus rigoureuses et plus solennelles. Ces textes écrits ne sont nombreux que depuis la Constitution des Etats-Unis (1787) et la Révolution française de 1789.

Parmi les constitutions explicites, les unes donnent à un Elat nouveau sa première organisation, ainsi la Constitution fédérale allemande, celle des Etats-Unis. Les autres, plus nombreuses, donnent à un Etat ancien des règles nouvelles.

(1) On admet cependant que chaque constitution issue d'une révolution abroge implicitement la constitution antérieure, sauf les rares articles compatibles avec le régime nouveau.

La constitution est unilaire ou fédérale. Dans le premier cas, elle organise une nation formant un set:! corps, une seule souveraineté; dans le second, elle fixe les rapports des divers Etats confédérés, de la souveraineté collective de la Confédération et des souverainetés particulières des Etats.

La coutume est contemporaine des premières sociétés. En ce sens, on peut dire que toute société humaine a une constitution, parce que toute société a nécessairement un gouvernement et des usages à ce sujet. L'ancienne France n'avait que des usages, ou des ordonnances que rien ne distinguait de la législation ordinaire. L'Angleterre contemporaine n'a encore qu'une constitution coutumière; les actes solennels ne sont pas rares dans l'histoire constitutionnelle de l'Angleterre, mais ce sont en général des contrats intervenus entre le roi et le peuple pour fixer leurs droits respectifs (no 109).

3. Vaut-il mieux pour un peuple avoir une constitution écrite (1) ou une constitution coutumière? C'est une question discutée.

Certains pensent que la coutume doit avoir, même en droit constitutionnel, une place prépondérante. La constitution coutumière permet seule les modifications insensibles et continues que réclament des changements analogues dans l'état social; elle entretient l'harmonie entre la nation et les institutions; elle prévient les révolutions. L'exemple de l'Angleterre est instructif. Son gouvernement actuel est très différent du régime pratiqué au xvIII", au xv*, au XIIe siècle, et cependant aucune loi solennelle n'a modifié l'organisation politique. C'est la coutume qui a tempéré le

(') On dit souvent une constitution rigide, pour indiquer que la modification exige des formes spéciales et solennelles. Expression un peu étrange; elle est toujours accompagnée de la remarque que la coutume exerce une influence déformatrice sur ces constitutions prétendues rigides.

pouvoir royal, restreint l'influence de la Chambre des Lords, concentré le pouvoir réel dans la Chambre des Communes et le Cabinet qui en est l'expression, groupé les deux partis dont la succession au pouvoir assure le jeu des forces conservatrices et des forces progressives. Et ce régime coutumier a donné aux Anglais la liberté et la prospérité.

Les constitutions explicites ont aussi leurs partisans. Elles apportent, dans les matières les plus importantes, une précision souvent utile; elles fixent officiellement la part d'influence reconnue à chaque pouvoir, et suppriment les conflits qui naissent souvent d'une coutume incertaine. Après les révolutions politiques, une constitution explicite a l'utilité de conslater leurs résultats, d'organiser la victoire du parti triomphant, d'assurer l'obéissance des vaincus et la modération des vainqueurs. Elle est surtout nécessaire, lorsqu'elle constate les concessions d'un pouvoir absolu et les droits conquis par le peuple.

4. Il semble qu'il y ait du vrai dans les deux doctrines. La question ne peut être résolue abstraitement, et dépend plutôt du tempérament de chaque peuple et des circonstances. Le peuple anglais s'est accommodé d'une coutume un peu vague, qui, par cela même, est à la fois plus facile à conserver et à modifier, qui se prête mieux à une évolution prudente et continue; il ne s'embarrasse pas des incertitudes, des variations qu'elle comporte. Les Français, élevés à l'école des jurisconsultes romains, aiment la précision, la logique et, par conséquent, les textes. Dès longtemps, ils considèrent comme un progrès la mise en lois des coutumes, la codification, et ce n'est pas toutà fait à tort.

Or devra convenir aussi que les partis politiques sont en France plus divisés qu'en Angleterre. Ils discutent et veulent résoudre avec netteté des questions, comme la forme du gouvernement, qui ne troublent pas les Anglais; cependant ces divisions et ces ques

tions naissent chez nos voisins, et quelques esprits ont senti l'utilité d'une constitution écrite (1).

Il serait encore injuste d'imputer aux constitutions écrites les nombreuses révolutions que la France a subies depuis 1789; chaque révolution, au contraire, rendait nécessaire la rédaction d'un acte solennel qui en déterminait les caractères. Les Anglais d'Amérique n'ont-ils pas donné aux Etats-Unis une constitution écrite (n° 116)?

En revanche, c'est à tort que certaines constitutions françaises ont prétendu tout prévoir et tout régler; la vie d'un peuple ne se laisse pas enchaîner dans des formules immuables, et la coutume y a un rôle nécessaire. S'il ne lui est pas ménagé par les textes, il arrive de deux choses l'une ou la coutume se fait sa place malgré les textes, c'est ce qui est arrivé aux EtatsUnis, où elle a non seulement complété, mais aussi modifié la constitution; ou bien elle n'y réussit pas, et la constitution succombe faute de pouvoir fonctionner, telle notre Constitution de 1791.

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Lorsque les temps sont calmes, que l'accord s'est fait dans la nation sur un certain nombre de questions, que des mœurs politiques commencent à se former, les constitutions explicites peuvent se faire brèves, ne régler que les points principaux ou encore controversés, et abandonner le surplus à la coutume. C'est ce qui s'est passé en France il y a quarante ans les lois de 1875, qui nous régissent actuellement, se bornent à organiser les pouvoirs publics et à fixer sommairement leurs attributions; elles supposent, sans les proclamer, un grand nombre de principes ou d'usages que la nation paraît avoir définitivement acceptés, et laissent à la coutume un domaine assez considérable.

5. La coutume constitutionnelle et les constitutions écrites subissent également l'influence des théoriciens

(1) C'est sous la forme d'une loi qu'a été opérée la réduction des pouvoirs de la Chambre des Lords (nos 115, 119).

du droit constitutionnel, l'influence aussi des orateurs et des hommes d'Etat qui ont pris part au fonctionnement des institutions représentatives. Assez souvent les théoriciens sont devenus des hommes d'Etat et des orateurs, et réciproquement, les hommes politiques ont été amenés à exposer des théories de droit constitutionnel.

Avant la Révolution de 1789, sans remonter au delà du xvin siècle, sans parler des canonistes, des romanistes et des jurisconsultes qui ont cependant, soit en tirant de leur propre fonds, soit en faisant appel aux anciens, élaboré mainte théorie intéressante et devancé la pensée moderne, sans sortir de France et sans invoquer les Anglais Hobbes (Elementa philosophica de cive, 1642; Leviathan, 1651) et Locke (Two treatises on government, 1690), ni l'école du droit naturel, Grotius (De jure belli ac pacis, 1613), Pufendorf (De jure naturæ el gentium, 1672); Wolf (Jus naturæ methoda scientifica pertractatum, 1740), etc., la littérature du droit public est très riche et très importante. Les auteurs principaux sont: Montesquieu, dont l'Esprit des lois parut en 1748; J.-J. Rousseau, dont le Contrat social est de 1762; Mably, De la législation ou Principes des lois, 1776; de Lolme, Constitution de l'Angleterre, 1771.

Les débats de la Constituante mirent aux prises des orateurs éminents, dont les discours ont souvent une haute valeur doctrinale: Mirabeau avant tous, mais aussi en des sens divers : Barnave, Cazalès, Dupont de Nemours, Duport, Lally-Tollendal, Lanjuinais, Malouet, l'abbé Maury, Mounier, Thourel, et déjà Robespierre. A la Législative et à la Convention, ce sont les Girondins, Vergniaud, Barbaroux, Buzot, Isnard, etc., et les Montagnards, Robespierre, Saint-Just, Hérault de Séchelles, etc.

Puis c'est le silence du Consulat et de l'Empire.

La Restauration, en rétablissant le régime représentatif et en relevant la tribune, donna au droit

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