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fermer au Temple par des hommes chargés d'être les médiateurs, entre le peuple et le trône.

Le gothique palais du Temple reçut d'abord Louis XVI, son épouse et sa famille; mais la commune trouvant ce logement trop commode, décida que la tour seule servirait à son logement. Cette tour, construite du temps même des templiers, n'avait jamais été habitée. Son intérieur sombre, ses voûtes lugubres servaient d'archives. Pour isoler cette tour, on abattit aussitôt une partie des bâtimens et on l'environna d'un large fossé, on éleva au-delà une enceinte de murs très-élevés, et on diminua le jour de toutes les fenêtres. Sept guichets et huit portes de fer défendirent l'escalier qui conduisait à l'appartement de Louis. «Eh! Messieurs, disait-il souvent, » que de précautions et de peines pour un » prisonnier qui n'a, je vous l'assure, aucune » envie de s'évader. »

Louis, avant sa détention, avait quelquefois paru irrésolu dans ses desseins, et faible lorsqu'il s'agissait d'agir; il devint dans sa prison un modèle de sérénité et de courage, au milieu des outrages de toute espèce. On ne lui laissa ni encre, ni płumes, ni

papier, ni crayons. On lui donna seulement des livres.

Occupé de l'éducation de son fils, tout entier à consoler son épouse, à se fortifier lui-même par les secours de la religion, il se plut à oublier ses peines et à les pardonner.

Si Louis montra sur le trône le caractère du meilleur des Rois, offrons-le à nos lecteurs dépouillé du prestige de la puissance, au sein d'une captivité non méritée; encore plus grand dans les fers qu'entouré de tout ce que la Cour pouvait offrir de plus brillant; c'est alors que l'on jugera combien peu il méritait le sort affreux qui lui était réservé et les différens traits que je vais rapporter mettront à découvert son ame toute entière, et prouveront à la postérité que, digne fils de saint. Louis, comme lui il mérite toute notre vénération.

Après avoir massacré la princesse de Lamballe, des cannibales mirent sa tête au bout d'une pique; et vinrent au Temple présenter ce trophée sanglant au Roi, qui n'était pas encore alors dans la prison de la Tour. « Venez vite, venez, s'écria un commissaire farouche, venez voir un spectacle curieux. » L'autre commissaire aperçoit cette tête; il se

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place au-devant de Louis, lui met la main sur les yeux, et lui dit : « Ah! non, non, de » grâce, n'approchez point, ne regardez pas. Quelle horreur! Peut-on vous appeler pour >> vous faire voir un semblable objet? Louis, en racontant cette anecdote à M. de Malesherbes, les larmes aux yeux, lui témoigna combien il avait été sensible au procédé de ce second commissaire. «< Ne pouvant mieux » faire, ajouta-t-il, je l'ai prié de me dire son » nom et son adresse. Et l'autre, dit M. de » Malesherbes? Ah! l'autre, répondit Louis,

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je n'avais pas besoin de le connaître, mais » je me rappellerai toujours le nom de celui » qui s'est généreusement opposé à ce qu'on » me présentât de trop près cet affreux spec»tacle.» Ce qui faisait que cet infortuné Monarque envisageait la mort avec tant de calme, et la regardait comme un asile où il trouverait le souverain bonheur, c'est la pureté de sa conscience, qui lui rendait le consolant témoignage d'avoir toujours observé la loi de celui qui règne sur les Rois ainsi que sur les sujets. Elevé dans les principes de la religion, et accoutumé dès son enfance à en remplir les devoirs, il ne se départit jamais de cette louable habitude, et il se comporta

toujours en Roi très-chrétien. On sait que jamais il ne s'est dispensé du devoir pascal; mais ce que l'on ne sait peut-être pas, et ce qui a été attesté par M. le curé de NotreDame de Versailles, c'est que la veille du jour où il devait le remplir, il lui envoyait tous les ans un rouleau de cent louis, pour être distribués aux familles indigentes de la paroisse, voulant sans doute, par ce don qu'il faisait aux pauvres, imiter la bonté dụ Dieu qui devait se donner lui-même à lui.

Les lois de l'abstinence et du jeûne, dont on fait si peu de cas, et qu'on rougit même quelquefois d'observer dans le monde, étaient sacrées pour lui, et il n'aurait osé les violer, sans les raisons les plus légitimes. Le mercredi 19 décembre, on apporta, comme à l'ordinaire, le déjeuner du Roi, ne pensant point aux Quatre-temps, son valet-de-chambre le lui présenta. « C'est aujourd'hui jour de » jeûne, lui dit ce Prince », et le déjeûné fut reporté dans la salle. Les commissaires avaient quelquefois la grossièreté de le gêner jusque dans sa conscience. Si pour se conformer aux privations que l'Eglise prescrit, il ne déjeûnait point, on le plaisantait sur ses scrupules. On ne lui servit, dans un de ces jours, que de

la viande. Louis se contenta de répondre à l'indécence de leur raillerie : Je ne géne point votre conscience, pourquoi génez-vous la mienne? Cela dit, il trempa son pain dans un peu de vin; ce fut là tout son repas.

Chaque jour, à dix heures, il s'occupait de l'éducation de son fils, lui faisait réciter quelques passages de Corneille et de Racine, lui donnait des leçons de géographie, l'exerçait à lever des cartes; mais pour ne pas fatiguer son attention, à l'étude il faisait succéder les amusemens, et malgré sa situation, Louis voulait bien consentir à jouer avec le jeune Prince. Rien ne lui coûtait quand il s'agissait d'adoucir le sort de ses enfans et de leur procurer quelque satisfaction. Il ne pouvait aller à la promenade avec sa famille, sans voir les objets les plus affligeans, et sans essuyer les insultes les plus humiliantes de la part des factionnaires devant lesquels il fallait passer pour se rendre au jardin du Temple. L'un d'eux, nommé Rocher, se plaçait à côté de la dernière porte, une grande pipe à la bouche, et à chaque personne de la famille royale qui sortait, il soufflait de la fumée de tabac. D'autres, s'amusant de ces insolences, se rassemblaient près de lui, riaient

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