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riaient aux éclats à chaque bouffée de tabac, et se permettaient les propos les plus grossiers. Lorsque la famille royale remontait dans la tour, elle essuyait les mèmes injures, et voyait souvent les murs couverts des apostrophes les plus indécentes. Le Roi et la Reine auraient pu se dérober à toutes ces humiliations en restant dans la tour; mais leurs enfans, objets de leur sensibilité, avaient besoin de prendre l'air; c'était pour eux que leurs Majestés supportaient chaque jour, sans se plaindre, des milliers d'outrages.

L'un des sacrifices qui coûta le plus à Louis ce fut d'ètre séparé de son fils. Quand deux municipaux lui eurent annoncé qu'il était condamné à cette dure séparation, il se promena quelques momens à grands pas dans la chambre, et s'assit sur un fauteuil près le chevet de son lit. Une demi-heure s'étant ainsi passée dans le plus profond silence, le Commissaire fut inquiet de ne plus entendre le Roi; il entra doucement, le trouva la tête appuyée sur l'une de ses mains et paraissant profondément occupé. « Que me voulez» vous, lui dit le Roi, d'un ton élevé ? Je » craignais, répondit le Municipal, que vous > ne fussiez incommodé. Je vous suis obligé,

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» répartit le Roi, avec l'accent de la plus vive » douleur; mais la manière dont on m'enlève

mon fils, m'est infiniment sensible. » C'est la seule circonstance où il se soit permis de se plaindre, mais le motif de ses plaintes est bien propre à les faire excuser.

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Les malheurs qui menaçaient ce peuple qu'il chérissait, malgré les outrages qu'il recevait, étaient le seul objet de ses craintes, et l'unique sujet de ses peines. « On assure, >> lui disait-on un jour, dans sa prison, que » les Conventionnels craignent une émeute populaire. Je serais bien fàché qu'elle eût lieu, répondit-il aussitôt, il y aurait de >> nouvelles victimes. Je ne crains pas la » mort, ajoutait ce Prince, mais je ne puis >> envisager sans frémir les malheurs qui me» nacent le peuple. Je le vois livré à l'anar» chie, devenir la victime de toutes les fac» tions; les crimes se succéder, de longues » dissentions déchirer la France. Puis après >> un moment de silence, ô mon Dieu ! » ajouta-t-il, était-ce là le prix que je devais » recevoir de tous mes sacrifices? N'avais-je >> pas tout tenté pour assurer le bonheur » des Français ? »

Dans sa captivité, pendant laquelle il eut tant à souffrir, il n'est qu'une seule circonstance où il se soit montré sensible aux insultes et aux témoignages de mépris qu'on lui prodiguait. Tandis qu'on faisait l'inventaire de ses effets dans la tourelle, il rentra dans sa chambre pour se chauffer. Le concierge Mathei était dans ce moment devant la cheminée, tenant son habit retrousé et tournant le dos au feu. Louis ne pouvant se chauffer qu'avec peine, par un des côtés, et l'insolent concierge restant toujours à la même place, le Prince lui dit, avec vivacité, de s'éloigner un peu. C'était là, comme on voit, une faute bien légère; cependant Louis ne se la pardonna pas, et crut devoir la réparer. En allant à la mort, il rencontra Mathei, et lui dit : « J'ai eu un peu de vivacité avant-hier » avec vous ne m'en veuillez pas, je vous prie. » Cela prouve que ce Prince, véritablement chrétien, qui ne se pardonnait rien à lui-même, se faisait un devoir de pardonner tout aux autres; et, à l'exemple de J. C., dont il retraçait l'image par ses souffrances, il portait la générosité jusqu'à excuser ses ennemis, et à prier pour eux.

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Cependant sa condamnation se poursuivait avec chaleur. Dans la séance du lundi 10 décembre 1792, on fit à la Convention le rapport de la conduite de Louis depuis la révolution. On le peignit comme un tyran s'opposant au progrès de la liberté, et feignant d'accepter la constitution pour l'anéantir. On l'accusa d'une infinité d'autres faits dénués de toute vraisemblance. Enfin on le représenta comme ayant provoqué le 10 août en faisant lui-même soulever les patriotes des faubourgs pour les faire environner ensuite et immoler par les Suisses. Ce dernier chef d'accusation était tellement dénué de probabilité, qu'il ne put être allégué sans exciter le sourire des ennemis même du Monarque. Personne n'ignorait que les assaillans s'étaient trouvés en nombre vingt fois supérieur aux Suisses, et à ceux qui s'étaient rendus dans le château pour le défendre au premier bruit de l'insurrection. Aussi Louis répondit-il avec raison à cette accusation : « toutes les autorités consti» tuées l'ont vu. Le château et ma vie étaient » menacés, et comme j'étais moi-même une >> autorité constituée, je devais me défendre. » Traduit à la barre de la Convention inopinément, sans conseils, sans secours, il ré

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sang

froid que

de

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pondit avec autant de
simplicité et de modération à tous les chefs
d'accusation, au nombre de trente-quatre, qui
n'avaient entr'eux aucuns rapports. On poussa
la barbarie jusqu'à lui reprocher ses aumônes,
ses bienfaits, comme des moyens employés
par lui pour séduire le peuple et lui faire
prendre parti en sa faveur. Sur cette singulière
inculpation l'accusé répondit : « Mon plus
grand plaisir fut de faire le bien, mais en
général je ne me rappelle pas les dons que
j'ai faits. >>

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Une partie des Députés voulait qu'on lui refusât des défenseurs, mais la majorité décida qu'il pouvait en choisir. MM. de Malesherbes, Tronchet et Desèze furent chargés par Louis de sa défense: honorable mission qui rendra leurs noms immortels comme le sien. IIs l'accompagnèrent le 26 décembre dans sa dernière comparution à l'Assemblée. L'un d'eux, promenant lentement ses regards sur elle, prononça ces mémorables paroles : « c'est » vainement que je cherche parmi vous des

juges, je n'y vois que des accusateurs. » Son éloquence, la sérénité de l'accusé, les larmes des deux vieillards qui l'accompagnaient, rien ne put adoucir son sort. Le jugement fut

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