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prononcé le 20 janvier 1793; il fut condamné à mort à la majorité de cinq voix.

Louis avait depuis long-temps prévu sa destinée et s'y était résigné avec courage. Lorsque M. de Malesherbes entra pour la première fois dans la prison du Roi, le Prince le serra dans ses bras; ses yeux devinrent humides, et il lui dit : Votre sacrifice est d'autant plus généreux, que vous exposez votre vie, et que vous ne sauverez pas la mienne.... M. de Malesherbes lui représenta qu'il était trop facile à défendre victorieusement pour qu'il y eût du danger pour lui; mais Louis persistant dans son sentiment, reprit, «j'en suis sûr, ils me feront périr ; ils » en ont le pouvoir et la volonté. N'importe, » occupons-nous de mon procès, comme si » je devais le gagner; et je le gagnerai, en >> effet, puisque la mémoire que je laisserai » sera sans tache. »

Il travaillait chaque jour, avec ses défenseurs, à la réfutation des griefs, avec une présence d'esprit et une sérénité qu'ils admiraient, et ils en profitaient pour prendre des notes et éclairer leur ouvrage..... Quand M. Desèze eut fini son plaidoyer, il le lut au Roi et à ses deux autres défenseurs. Ils n'avaient jamais

rien entendu d'aussi pathétique que sa péroraison. MM. de Malesherbes et Tronchet en furent touchés jusqu'aux larmes, mais le Roi dit: il faut la supprimer, je ne veux pas les attendrir.

Je voudrais bien, dit-il un jour à M. de Malesherbes, reconnaître les grandes obligations que j'ai à MM. Tronchet et Desèze; ils me donnent leur temps, leur travail, peutêtre leur vie. Je n'ai plus rien, et quand je leur ferais un legs, on ne l'acquitterait pas. Sire, lui répondit M. de Malesherbes, leur conscience et la postérité se chargent de leur récompense. Vous pouvez déjà leuren accorder une qui les comblera. -Laquelle? embrassezles! Le lendemain, lorsque MM. Tronchet et Desèze entrèrent, leur présence jeta Louis dans cet embarras que donne la timidité, quand l'on craint de ne pas rendre tout ce que l'on sent. Sire, lui dit M. de Malesherbes, voilà MM. Tronchet et Desèze. Louis se précipite dans leurs bras, il les presse tour-àtour contre son cœur, et sans proférer une seule parole, il les inonde d'un déluge de larmes. Ils comprennent ce langage muet. Leur sensibilité se manifeste comme celle de Louis, par des pleurs; M. de Malesherbes les

partage, et ces deux vieillards, cet orateur, ce Monarque, confondent leurs larmes.

Il dit un matin à M. de Malesherbes : « Ma » sœur m'a indiqué un bon prêtre qui n'a pas » prété le serment, et que son obscurité pourra » soustraire dans la suite à la persécution. » Voici son adresse : je vous prie d'aller chez » lui, de lui parler, et de le préparer à venir lorsqu'on m'aura accordé la permission de » le voir. Il ajouta, voilà une commission bien » étrange pour un philosophe, car je sais que

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vous l'êtes; mais si vous deviez souffrir autant » que moi, et que vous dussiez mourir comme » je vais le faire, je vous souhaiterais les » mêmes sentimens de religion, qui vous >> consoleraient bien plus que la philosophie. >>

M. de Malesherbes, revenant de l'Assemblée où les trois défenseurs avaient demandé l'appel au peuple, rapporta à Louis qu'en sortant il avait été entouré d'un grand nombre de personnes qui toutes lui avaient assuré que le Roi ne périrait pas, ou au moins que ce ne serait qu'après eux, et leurs amis. Le monarque changea de couleur et lui dit : « Retournez à » l'Assemblée, tâchez de les rejoindre, d'en » découvrir quelques-uns; déclarez-leur que je ne leur pardonnerais pas s'il y avait une

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>> seule goutte de sang versée pour moi; je » n'ai pas voulu qu'il en fût répandu, quand,

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peut-être, il aurait pu me conserver le trône » et la vie ; je ne m'en repens pas. »

Lorsque M. de Malesherbes entra dans son appartement, pour lui annoncer le décret de mort, il le trouva le dos tourné à une lampe placée sur la cheminée, les coudes appuyés sur la table, le visage couvert de ses mains: le bruit qu'il entendit le tira de sa méditation; il fixa son défenseur, se leva, et lui dit : Depuis deux heures, je suis occupé à re» chercher si, dans le cours de mon règne,

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j'ai pu mériter de mes sujets le plus léger reproche. Eh bien! M. de Malesherbes, je » vous le jure dans toute la vérité de mon > cœur, comme un homme qui va paraître » devant Dieu, j'ai toujours voulu le bonheur » de mon peuple, et je n'ai jamais formé un » vœu qui lui fût contraire. » M. de Malesherbes lui représenta qu'il y avait encore quelque espoir, et qu'on allait délibérer s'il y aurait

un sursis.

«

Non, non, s'écria Louis, il n'y a plus › d'espoir, et je suis prêt à m'immoler pour » le peuple. Puisse mon sang, dont on est » altéré, le sauver des horreurs que je redoute » pour lui!

Quelques jours avant sa mort, il se promenait dans sa chambre, à grands pas, et avec un air fort agité, tenant à la main un morceau de pain. M. Cleri, son valet-de-chambre, le regardait attentivement, et voyait bien qu'il se passait quelque chose d'extraordinaire dans l'ame de son malheureux maître. Que s'y passait-il? Louis était tourmenté de l'impuissance de donner aucune marque de gratitude au serviteur qui avait volontairement partagé sa prison : c'était là la cause de cette grande agitation. Tout-à-coup il s'arrête, il se tourne brusquement vers son valet-de-chambre, lui présente l'aliment qu'il tient à la main, et lui dit : « Mon ami, prenez la moitié de ce pain, >> afin qu'avant ma mort j'aie au moins goûté » le plaisir de partager quelque chose avec

» vous. »

Le dimanche 20 janvier, sur les deux heures, le Conseil executif se présenta pour donner connaissance au Roi des décrets des 15, 16, 17 et 20 du même mois. Ce Conseil était composé de douze ou quinze personnes. Le Roi, qui avait entendu beaucoup de mouvement, s'était levé et avait fait quelques pas, mais à la vue de ce cortège, il resta entre la porte de sa chambre et celle de l'antichambre,

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