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mens monarchiques, quelque chose de bien plus attendrissant et de bien plus sacré que les infortunes des autres hommes, sans doute que la destinée de celui qui a occupé le trône le plus brillant de l'univers, doit exciter un intérèt bien plus vif encore; cet intérêt doit s'accroitre à mesure que la décision que vous allez prononcer sur son sort, s'avance. Jusqu'ici vous n'avez entendu que les réponses qu'il vous a faites. Vous l'avez appelé au milieu de vous, il y est venu avec calme, avec courage, avec dignité; il y est venu plein du sentiment de son innocence, fort de ses intentions, dont aucune puissance humaine ne peut lui ravir le consolant témoignage, et appuyé en quelque sorte sur sa vie entière. Il vous a manifesté son ame; il a voulu que vous connussiez, et la Nation par vous, tout ce qu'il a fait ; il vous a révélé jusqu'à ses pensées; mais en vous répondant ainsi au moment même où vous l'appeliez, en discutant sans préparation et sans examen des inculpations qu'il ne prévoyait pas; en improvisant, pour ainsi dire, une justification qu'il était bien loin même d'imaginer devoir vous donner, Louis n'a pu que vous dire son innocence; il n'a pas pu vous la démontrer, il n'a

pas pu vous en produire les preuves. Moi, Citoyens, je vous les apporte, je les apporte à ce peuple au nom duquel on l'accuse. Je voudrais pouvoir être entendu, dans ce moment, de la France entière; je voudrais que cette enceinte pût s'agrandir tout-à-coup pour la recevoir. Je sais qu'en parlant aux Représentans de la Nation, je parle à la Nation elle-même; mais il est permis sans doute à Louis de regretter qu'une multitude immense de Citoyens aient reçu l'impression des inculpations dont il est l'objet, et qu'ils ne soient pas aujourd'hui à portée d'apprécier les réponses qui les détruisent. Ce qui lui importe le plus, c'est de prouver qu'il n'est point coupable; c'est là son seul vœu, sa seule pensée. Louis sait bien que l'Europe attend avec inquiétude le jugement que vous allez rendre, mais il ne s'occupe que de la France. Il sait bien que la postérité recueillera un jour toutes les pièces de cette grande discussion qui s'est élevée entre une Nation et un homme; mais Louis ne songe qu'à ses contemposains, il n'aspire qu'à les détromper. Nous n'aspirons plus nous-mêmes à le défendre, nous ne voulons que le justifier. Nous oublions, comme lui, l'Europe qui nous écoute; nous oublions

la postérité, dont l'opinion déjà se prépare; nous ne voulons voir que le moment actuel; nous ne sommes occupés que du sort de Louis, et nous croirons avoir rempli notre tâche, quand nous aurons démontré qu'il est in

nocent.

» Je ne dois pas d'ailleurs, Citoyens, vous dissimuler, et ça été pour nous une profonde douleur, que le temps nous ait manqué à tous, mais sur-tout à moi, pour la combinaison de cette défense. Les matériaux les plus vastes étaient dans nos mains, et nous avons pu à peine y jeter les yeux; il nous a fallu employer à classer les pièces que la commission nous a opposées, les momens qui nous étaient accordés pour les discuter. La nécessité des communications avec l'accusé, m'a ravi encore une grande partie de ceux qui étaient destinés à la rédaction; et dans une cause qui, pour son importance, pour sa solemnité, son éclat, son retentissement dans les siècles, si je puis m'exprimer ainsi, aurait mérité plusieurs mois de méditations et d'efforts, je n'ai pas eu seulement huit jours. Je vous supplie donc, Citoyens, de m'entendre avec l'indulgence que notre respect même pour votre décret, et le désir de vous obéir doivent vous inspirer.

Que la cause de Louis ne souffre pas des omissions forcées de ses défenseurs ; que votre justice aide notre zèle, et qu'on puisse dire, suivant la magnifique expression de l'orateur de Rome, que vous avez travaillé, en quelque sorte, vous-mêmes avec moi à la justification que je vous présente.

» J'ai une grande carrière à parcourir, mais je vais en abréger l'étendue en la divisant.

» Si je n'avais à répondre ici qu'à des juges, je ne leur présenterais que des principes, et je me contenterais de leur dire que depuis que la Nation a aboli la Royauté, il n'y a plus rien à prononcer sur Louis; mais je parle aussi au Peuple lui-même, et Louis a trop à cœur de détruire les préventions qu'on lui a inspirées, pour ne pas s'imposer une tâche surabondante, et ne pas se faire un devoir de discuter tous les faits qu'on lui a imputés.

» Je poserai donc d'abord les principes, et je discuterai ensuite les faits que l'acte d'ac

cusation énonce. »

Après cet exorde, il parcourut tous ses moyens de défense, et il termina ainsi :

Français, la Révolution qui vous régénère

a développé en vous de grandes vertus, mais craignez qu'elle n'ait affaibli dans vos ames le sentiment de l'humanité, sans lequel il ne peut y en avoir que de fausses.

» Entendez d'avance l'Histoire qui dira à la Renommée: Louis était monté sur le trône à vingt ans; et à vingt ans, il donna sur le trône l'exemple des mœurs. Il n'y porta aucune faiblesse coupable, ni aucune passion corruptrice; il y fut économe, juste, sévère; il s'y montra toujours l'ami constant du Peuple. Le Peuple désirait la destruction d'un impôt désastreux qui pesait sur lui, il le détruisit; le peuple demandait l'abolition de la servitude, il commença par l'abolir lui-même dans ses domaines; le Peuple sollicitait des réformes dans la législation criminelle, pour l'adoucissement du sort des accusés, il fit ces réformes; le Peuple voulait que des milliers de Français, que les rigueurs de nos usages avaient privés jusqu'alors des droits qui appartiennent aux citoyens, acquissent ces droits ou les recouvrassent; il les en fit jouir par ses lois. Il vint même au devant de lui par ses sacrifices; et cependant c'est au nom de ce même Peuple qu'on demande aujourd'hui... Citoyens, je n'achève pas... Je m'arrête devant l'Histoire: songez qu'elle jugera

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