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plusieurs autres devions être arrêtés. Je l'avouerai, accoutumé à des dangers d'une autre espèce, celui-là fit une profonde impression sur mon esprit. Etre jeté dans une prison pour avoir fait ce qui me semblait être le devoir; tomber entre les mains d'un homme qui, après s'être servi de notre dévouement pendant quinze ans, nous méprisait au point de se jouer des sermens qu'il nous avait lui-même permis de prêter! Je ne puis dire tout ce qui se passa alors dans mon âme; mais beaucoup de mes camarades, qui furent comme moi soumis à cette terrible épreuve, me comprendront certainement.

Bientôt les puissances étrangères se coalisèrent contre la France. Des proclamations prussiennes, vraies ou supposées, circulaient dans l'Est et jusqu'à Paris; il Ꭹ était question du rétablissement de la république ; quelques expressions pouvaient faire craindre le démembrement, et on n'y faisait nulle mention du roi. C'est alors que je fus en proie à toutes les incertitudes si bien décrites par M. de Bonald. <«< Dans ces temps malheureux, dit-il, la difficulté << n'était pas de faire son devoir, mais de le connaî« tre. » J'avais la ferme volonté de le remplir: mais combattu, d'un côté, par mes anciennes habitudes, la reconnaissance que je devais à M. le maréchal Ney, l'horreur de me trouver dans des rangs opposés à ceux de mes anciens compagnons d'armes, et, de l'autre, par le cri de ma conscience, qui me disait que je devais remplir les nouveaux engagemens que

j'avais contractés librement, tout me jetait dans une perplexité qu'on pourra peut-être concevoir. Je demandais à tous ceux que je rencontrais, où était l'honneur, où était le devoir, ce qu'il fallait faire pour bien faire les uns souriaient de pitié, ou cachaient leur propre embarras sous le silence; les autres me répondaient selon leurs sentimens ou leurs intérêts.

M. le comte de Bourmont fut le seul qui me traça un plan de conduite propre à me satisfaire. « Nous <«< ignorons, me dit-il, les véritables intentions des << puissances étrangères; le roi ne nous a point laissé «d'ordres, et nous n'avons aucunes nouvelles de lui. « La France est en péril; de graves évènemens peu« vent la troubler dans l'intérieur; elle peut être « morcelée, anéantie par les étrangers; il faut, avant « tout, la défendre, et rester à l'armée aussi long«<temps que notre présence y sera d'accord avec nos «<devoirs envers le roi. On me propose le comman« dement d'une division; on n'exige point de ser«ment; je pars, voulez-vous me suivre? » Cette proposition fixa toutes mes irrésolutions; je reconnus le véritable chemin du devoir, et je suivis M. de Bourmont, en qualité de chef d'état-major de la division.

Nous nous rendîmes à l'armée de la Moselle, commandée par M. le général Gérard. Lié à M. de Bourmont par d'anciennes relations et une estime réciproque, nous ne lui avons jamais dissimulé nos sentimens; il peut l'affirmer lui-même. Je citerai un exemple qui paraîtra peut-être de peu d'importance,

mais qui prouve que nos sentimens ne lui étaient point cachés. Il me faisait quelquefois la guerre avec bonté au sujet d'une fleur de lis que je portais sur une croix de la Légion d'Honneur; mais, voyant mon obstination à la conserver, il ne m'en parla plus.

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Cependant les évènemens s'amoncelaient autour de nous; les étrangers serraient de plus en plus nos frontières; la France leur répondait par une des plus belles armées qu'elle eût jamais mises sur pied, animée d'un enthousiasme qu'il serait difficile de décrire. M. le comte de Bourmont, malgré la douleur qu'il éprouvait en combattant sous un drapeau ennemi de son roi, faisait taire ses affections, et ne voyait que le danger de la France, lorsque parut l'Acte additionnel aux Constitutions de l'empire. Cet acte fut adressé à tous les corps de l'armée, et il était prescrit à chaque officier d'y apposer son adhésion ou son refus. Dès lors tout était changé pour nous. M. de Bourmont vit qu'il ne pouvait plus rester à l'armée sans se rendre coupable envers le roi; il signa et motiva son refus. Je suivis son exemple.

Dès ce moment, il dut se considérer comme ayant perdu son commandement. Il voulait aller trouver le général Gérard pour lui faire part de la résolution où il était de se retirer; je fis tous mes efforts pour l'en dissuader. « J'ai comme vous, lui dis-je, la plus << haute estime pour le caractère de M. le général « Gérard; je suis convaincu qu'il est digne de votre <«< franchise, et qu'agissant avec pleine liberté, il ne

«< fera contre vous rien qui soit indigne de lui; mais <«< il est entouré de gens qui ne lui ressemblent pas; «<le chagrin que vous lui causerez sera facilement « pénétré, on le compromettra et on le forcera à « vous faire arrêter. » Je suppliai long-temps M. de Bourmont de changer de résolution; il finit par se rendre à mes instances, mais il voulut voir une dernière fois le général. Je n'ai point connaissance de ce qui se passa dans cette entrevue; mais, à son retour, M. de Bourmont me parut fermement disposé à quitter l'armée, et à rejoindre le roi le plus tôt possible. Il savait que je partagerais son sort, quel qu'il fût, malgré la répugnance que j'éprouvais à traverser une armée étrangère.

Il fit venir M. le général Hulot, commandant aujourd'hui à Lyon, et qui commandait alors la première brigade de sa division; il ne lui cacha rien de ses projets, et lui remit le commandement de l'étatmajor. Cet officier, qui était alors fort attaché à M. de Bourmont, et qui m'honorait aussi de son amitié, passa la nuit avec nous dans les épanchemens d'une confiance que nous avons toujours crue sincère. « Je << vous connais trop, nous disait-il, pour penser que << vous fassiez rien contre le devoir, mais il me serait «< impossible de le trouver là; je reste avec les hommes

qu'on m'a confiés, et je souhaite que nous nous re<< trouvions dans des temps meilleurs; nous pou«<vons nous tromper l'un ou l'autre, mais nous avons <«< la conviction mutuelle que nous suivons, cha

«< cun de bonne foi, ce que nous croyons être le << devoir. >>

Plus de seize années se sont écoulées depuis cette époque, et je puis ne pas 'rendre exactement les cxpressions de M. le général Hulot; mais il existe, il est homme d'honneur, et il peut dire si les sentimens que je viens d'exprimer n'étaient pas alors les siens. Je le prie aussi de dire hautement si jamais M. de Bourmont l'engagea à le suivre.

Avant de partir, M. de Bourmont écrivit à M. le général Gérard une lettre que M. le maréchal a pu conserver, et dont il a certainement gardé le souvenir. S'il la possède encore, il ne serait pas indigne de lui de la faire connaître, on peut même s'étonner qu'il ne l'ait pas fait plus tôt, elle exprime avec simplicité et franchise les sentimens de M. de Bourmont, les motifs de sa conduite, l'impossibilité où il est de rester plus long-temps à l'armée, et les regrets qu'il éprouve en la quittant.

Le 14 juin, à trois heures du matin, nous nous séparâmes de M. le général Hulot; nous étions escortés par une quinzaine de chasseurs : nous arrivâmes bientôt à la hauteur des avant-postes prussiens. Là, M. de Bourmont ne voulut permettre à aucun des chasseurs de le suivre; il renvoya l'escorte, et ne fut accompagné que par quatre ou cinq officiers qui, comme lui, avaient refusé de signer l'Acte additionnel. Nous gagnâmes le premier poste prussien, en promettant au général un silence absolu sur tout ce qui concer

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