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est impossible de décrire. Les fêtes, les réjouissances, les revues se succédèrent. La garde nationale de Bordeaux, quoiqu'elle ne fût point encore tout à fait organisée, parut sous les armes dans une tenue admirable. MADAME fut frappée de l'aspect imposant qu'offroit cette double ligne de soldats, dont un grand nombre n'étoient pas étrangers aux fatigues et aux dangers de la guerre. M. le duc d'Angoulême en témoigna plusieurs fois sa satisfaction aux chefs dont il étoit entouré, et plusieurs fois MADAME mêla ses félicitations à celles de son auguste époux.

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Dans une revue générale au jardin public, LL. AA. RR. admirèrent surtout les escadrons de la garde à cheval et le beau régiment des chasseurs d'Angoulême, ainsi que les troupes de ligne, formant, au milieu du jardin, un immense carré d'où l'on avoit écarté la foule. Les spectateurs mêloient leurs transports à ceux des soldats citoyens, et l'on entendoit répéter de toutes parts les cris de Vive le Roi! vivent monseigneur et madame la Duchesse d'Angoulême! On

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essayeroit en vain de peindre l'enthousiasme qui éclatoit à la vue des deux illustres époux. Cet enthousiasme se soutenoit avec la même énergie parmi les habitans, sans être partagé toutefois par la troupe de ligne : la plupart des militaires restoient froids et silencieux. Le général comte Decaen, gouverneur de Bordeaux, alléguoit qu'il n'étoit pas d'usage que les soldats sous les armes se permissent des cris (1).

Hélas! elle ne fut que trop passagère, l'allégresse publique! Au milieu des transports de joie que la présence de MADAME excitoit à Bordeaux, au milieu des fêtes qui se succédoient à l'approche du 12 mars, anniversaire si cher aux bordelais, un cri d'alarme se fit entendre, et la gaîté disparut tout-à-coup. Dans la matinée du 9 mars, LL. AA. RR. reçurent inopinément la nouvelle de la fatale entreprise de Napoléon, et de son débarquement sur la côte de Provence. C'étoit le jour même de la fête qu'a

(1) Voyez le rapport du Maire de Bordeaux, Pièces justificatives, n.o 2.

voient offerte le commerce et la ville de Bordeaux, et que LL. AA. RR. venoient d'accepter. Dans un conseil secret tenu immédiatement au château royal, M." le duc d'Angoulême prit la résolution d'aller pourvoir à la défense du midi; mais on arrêta en même temps que, pour ne pas troubler la joie publique, S. A. R. ne quitteroit Bordeaux qu'après la fête. En effet, le duc d'Angoulême y parut avec MADAME, et nul ne remarqua en eux le plus léger trouble qui annonçât quelque sujet d'inquiétude. Le prince partit à minuit.

Le lendemain dans la matinée, MADAME annonça aux magistrats le débarquement de Buonaparte; dans la journée même cette nou→ velle parvint de plusieurs côtés différens et se répandit avec rapidité; elle causa généralement plus de surprise que d'inquiétude.

Ainsi la tranquillité publique étoit toutà-coup menacée par l'apparition subite de l'éternel ennemi de la paix et du repos de l'Europe, de celui qui, pour la bouleverser,

prodigua tant de sang et de trésors, et dont la soif insatiable du pouvoir sacrifia tant de milliers d'hommes à l'édifice monstrueux de sa puissance éphémère.

L'horreur qu'inspira aux habitans de Bordeaux cette entreprise perturbatrice, rendit plus vif et plus passionné encore l'amour qu'ils ressentoient pour l'auguste fille de Louis XVI. Ils supplièrent MADAME de rester au milieu d'eux, et ils jurèrent de marcher contre l'ennemi du genre humain. Animés d'une double ardeur par la présence de MADAME, tous veulent s'enrôler pour la défense de la patrie. Chacun offre sa fortune, ses enfans, son sang, sa vie, et c'est entre les mains de MADAME que les autorités civiles et militaires viennent avec transport renouveler le serment de mourir pour le Roi. La troupe de ligne même (alors elle n'étoit pas égarée) prête de nouveau le serment de fidélité, et semble partager le sentiment qui anime les bordelais en faveur de la cause sacrée des Bourbons.

Cependant quelques magistrats dévoués

nourrissoient déjà des soupçons sur les intentions secrètes du gouverneur comte Decaen (1). Cet officier général avoit manifesté, dans l'origine, la prétention d'être à la fois gouverneur civil et militaire, et il paroît même qu'il entroit dans les vues de son parti qu'il réunît ces doubles attributions. Une décision ministérielle ayant condamné sa prétention, il en étoit résulté une sorte de froideur et même de schisme entre le gouverneur et le maire. Ce magistrat n'étoit aux yeux du gouverneur qu'un fonctionnaire embarrassant dont il falloit se défier. Le préfet (2) s'étoit dévoué au gouverneur; ainsi, à l'approche de la crise, l'autorité municipale se trouva en quelque sorte paralysée. A la vue du danger public, le zèle du comte Lynch l'emporta sur toute autre considération, et ce magistrat fit part à MADAME de ses doutes, que réveilloient encore plus les circonstances critiques du moment.

Mais l'ame pure de MADAME pouvoit-elle

(1) Voyez le rapport du Maire.

(2) M. de Valsusenay.

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