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admettre la déloyauté et la trahison? pouvoit-elle pénétrer dans les replis du cœur humain et en sonder la profondeur? S. A. R. se montra parfaitement rassurée sur les intentions du gouverneur de Bordeaux, qui d'ailleurs ne cessoit de prodiguer des protestations de fidélité et de dévouement, et proposoit, avec une sorte d'empressement toutes les mesures qu'il jugeoit convenables aux circonstances. Il falloit agir, et MADAME forma sur-le-champ une espèce de conseil présidé par le gouverneur lui-même. Le maire, le président du conseil général (1) et le commandant de la garde nationale (2) y furent appelés. Tous parlèrent avec confiance, et montrèrent d'abord un grand zèle pour les intérêts de la couronne. Toutes les autorités, tous les commandans militaires, tous les of ficiers généraux s'assemblèrent également au château royal, et firent éclater en présence de MADAME un grand dévouement pour le service du Roi et pour la défense de la

(1) M. de Filhot de Marans.

(2) M. de Puységur.

ville, si elle étoit attaquée. Le gouverneur et le général Harispe ayant été interpellés sur les dispositions des soldats, répondirent sur leurs têtes de toute la garnison, et même de celle du fort de Blaye, si important pour la sûreté de Bordeaux.

Cependant MADAME pressoit la formation et l'armement des volontaires. Le conseil arrêta aussitôt qu'il seroit ouvert une souscription pour se procurer les fonds nécessaires à l'équipement et à l'habillement de la garde nationale destinée à entrer en service actif. On chargea quelques membres du conseil municipal de recueillir les souscriptions; et telle étoit l'heureuse disposition de l'esprit public, que le premier jour elles s'élevèrent à près de sept cent mille francs. Mais ce noble élan ne tarda point à se ralentir. Une foule de jeunes gens s'étant présentés pour prendre les armes, ils furent renvoyés par le gouverneur au général Harispe, et par ce général au commandant de la garde nationale; on allégua bientôt, comme partout ailleurs, que les armes et les munitions manquoient. Ainsi

découragé, le zèle des jeunes bordelais devint infructueux, et les mesures de défense manquèrent d'ensemble.

Cependant les nouvelles devenoient de jour en jour plus inquiétantes. L'entrée de Buonaparte à Grenoble, la défection des premiers régimens qui s'étoient trouvés à son passage, et l'occupation de Lyon, annonçoient un danger réel et une crise violente. MADAME employoit une partie des nuits à recevoir et à dépêcher des courriers; dans le jour elle passoit en revue les volontaires, qui, répondant à l'appel du Roi pour la défense du trône et de la charte, venoient offrir leurs services. En applaudissant à leur zèle, MaDAME leur parloit toujours avec autant de sentiment que de bienveillance. Elle entretenoit souvent les généraux, et leur recommandoit l'exécution la plus prompte des mesures de sûreté et de défense dont tous les élémens étoient à leur disposition. Mais les jours s'écouloient, et rien n'avançoit. On se perdoit en plans, en délibérations', en travaux préparatoires, au milieu des vaines protestations

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renouvelées par les principaux chefs militaires.

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Etonnée de n'avoir pas vu le commandant du fort de Blaye parmi les officiers qui venoient chaque jour réitérer leur serment de fidélité à la couronne, la duchesse d'Angoulême notifia au gouverneur, qui toujours répondoit de tous les commandans et de toutes les troupes, de donner l'ordre positif à cet officier de se présenter devant elle le lendemain; mais la journée s'écoula sans qu'il parût, et S. A. R. en témoigna sa surprise et son mécontentement. Le gouverneur promit d'envoyer à Blaye un de ses officiers généraux, qui feroit dans la nuit même son rapport sur l'état de la place. A son retour, l'officier annonça que la garnison étoit dans le meilleur ordre et la place bien gardée. « Mais l'artille»rie, dit MADAME ? Je ne l'ai pas vue, >> répond l'officier. -Et pourquoi le com» mandant n'a-t-il pas obéi à l'ordre de pa>> roître ici? cet ordre lui a été notifié depuis >> deux jours par le gouverneur. - Il ne m'en

>> a point parlé

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Le gouverneur proteste que son chef d'étatmajor a expédié l'ordre ; quatre jours s'écoulent sans que le commandant de Blaye obéisse, et quand il paroît enfin devant S. A. R., une extinction de voix l'empêche de renouveler son serment, et c'est le gouverneur luimême qui l'excuse et parle en sa faveur. Tout ce que put obtenir S. A. R. fut qu'un officier dont on croyoit pouvoir répondre, seroit adjoint à ce commandant pour mieux s'assurer du fort.

MADAME, que rien ne pouvoit décourager, continuoit de hâter l'armement des volontaires. On n'avoit trouvé qu'un seul dépôt d'armes, peu en état, il est vrai, mais qui pouvoient être réparées dans quarante-huit heures. Le gouverneur promit de donner les ordres nécessaires à cet effet.

Le dimanche de Pâques, MADAME passa en revue les troupes de ligne et la garde nationale assemblées au Champ-de-Mars; on avoit eu l'intention de faire fraterniser les soldats et les habitans; mais la malveillance tira parti de cette circonstance même pour insinuer à la

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