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sant un pourparler, avoit annoncé que le lendemain il feroit son entrée à Bordeaux, où il avoit, disoit-il, des intelligences sûres qui rendroient inutiles toutes tentatives de défense. Il renouvela trois fois la demande qu'on lui envoyât un officier chargé de recevoir des volontaires royaux faits prisonniers, et qu'il vouloit rendre. Le colonel de Pontac chargea de cette mission M. de Martignac, fils, officier de la garde nationale bordelaise. Mais ce n'étoit qu'un prétexte de la part de Clauzel; il reçut avec distinction M. de Martignac, et engagea aussitôt un long entretien, où il parla avec admiration et emphase du succès de Napoléon. Il ajouta qu'en effet toutes ses mesures étoient prises pour arriver à Bordeaux le lendemain, qu'il y arriveroit sans tirer un coup de fusil; qu'il n'avoit pas besoin de troupes, attendu que celles qui formoient la garnison de Bordeaux étoient déjà sous ses ordres. Il insista beaucoup sur l'indulgence dont vouloit user l'Empereur, et assura qu'il répondoit de la vie de tous les habitans de Bordeaux, excepté de celle de

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M. Lynch. Il assura que tout ce qu'il disoit étoit déjà consigné dans sa proclamation et ses ordres du jour. Il avoit une dépêche toute préparée pour les autorités civiles et militaires de la ville de Bordeaux, dont M. de Martignac consentit à être porteur, sous la condition expresse qu'il ne remettroit le paquet à son adresse qu'en présence de MaDAME le général y consentit.

M. de Martignac s'aperçut dans la traversée, qu'on avoit jeté dans le bateau des proclamations et des ordres du jour; il les fit déchirer et jeter dans la rivière. Un tambour avoua qu'on avoit démonté sa caisse et qu'on y avoit enfermé un grand nombre de papiers. On s'en empara aussitôt, et on les remit à M. le colonel de Pontac. Ces artifices pouvoient donner une idée du plan de campagne que s'étoit formé le digne lieutenant de Napoléon.

De retour à Bordeaux, M. de Martignac fut introduit auprès de MADAME; il fit à S. A. R. le récit exact de sa mission, et lui remit le paquet dont il étoit chargé. MADAME, versa des

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larmes au récit du léger combat dans lequel un volontaire bordelais avoit été blessé. Elle manda aussitôt le gouverneur, le préfet, le maire et M. Lainé, et fit répéter à M. de Martignac son récit d'un bout à l'autre. On lut ensuite les dépêches; elles contenoient des plaintes amères sur les hostilités qui avoient eu lieu, des promesses d'un oubli total pour le passé, et une déclaration formelle par laquelle les autorités civiles et militaires étoient rendues responsables des malheurs que pourroit entraîner une plus longue résistance.

MADAME écouta avec sang-froid et fermeté les sommations et les plaintes du général Clauzel.

On s'occupa de sa personne royale et de sa sûreté personnelle; mais MADAME imposa silence, et ne voulut entendre parler que de Bordeaux, de son intérêt et de ses dangers. La sûreté de la ville veut-elle qu'on capitule ou qu'on se défende? Telle fut la seule question que MADAME permit d'examiner.

Le bruit s'étoit déjà répandu que la tête seule du maire étoit exceptée de l'amnistie; aussitôt un cri général d'indignation retentit

de toutes parts. On entendit répéter d'une voix unanime: Des armes! des armes! combattons pour sauver Bordeaux. L'agitation et le tumulte étoient au comble.

Le conseil général du département, le conseil d'arrondissement et le conseil municipal venoient de se réunir à la préfecture. MADAME pensa que c'étoit à eux qu'il appartenoit de prendre une résolution. M. de Martignac se rendit par son ordre à l'assemblée; et fit aux divers conseils le rapport circonstancié de sa mission.

Il s'agissoit de décider concurremment s'il y avoit lieu à la résistance. Les premières pensées des conseils réunis se portèrent sur les dangers auxquels pouvoit être exposée la duchesse d'Angoulême, et sur les moyens de l'en garantir. En général on montra peu de dispositions à une résistance armée. Deux magistrats, MM. Dussumier et de Mondenard, furent les seuls pour ainsi dire qui opinèrent avec quelqu'énergie contre toute espèce de soumission (1). Le maire étant proserit, s'abs(1) Voyez le rapport du Maire.

tint d'influer sur la décision des conseils. Ils ne prirent aucune détermination, sous prétexte qu'il falloit s'assurer d'abord si la garde nationale avoit des moyens de défense suffisans. Les conseils s'en remettoient à MADAME et à l'autorité supérieure, sur tout ce qu'il seroit convenable de faire.

On présenta immédiatement à la duchesse d'Angoulême le rapport de cette délibération, et S. A. R. déclara aussitôt, que la sûreté de sa personne ne devoit entrer pour rien dans les motifs d'une détermination aussi importante; qu'elle croyoit n'avoir jamais rien à craindre au milieu des Français; que si sa présence étoit nécessaire, elle étoit décidée à ne point sortir de la ville; que si au contraire on jugeoit utile qu'elle s'éloignât, elle étoit prête à partir; qu'elle ne pouvoit dissimuler toutefois avec quel regret elle quitteroit la France et sa chère ville de Bordeaux; mais qu'il n'y avoit aucun sacrifice qui lui coutât, pour donner aux Français, et surtout aux bordelais, des preuves de l'attachement qu'elle leur portoit dans son cœur.

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