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Cependant il s'étoit engagé en présence de MADAME, entre les divers personnages qu'on avoit appelés, une discussion vive, animée et

tranchante.

Quels étoient les moyens de défense? Bordeaux, qu'avoit-il à craindre ou à espérer ? Ce fut sur ces questions décisives que le gouverneur fut vivement interpellé et pressé, notamment par M. Lainé, dont l'énergie et la chaleur sembloient défier tous les orages.

La ville, répondoit le général Decaen, ne peut compter que sur la garde nationale ; c'est là sa seule défense. Quant à la garnison, ses dispositions sont plus propres à inquiéter qu'à rassurer. Je n'oserois pas répondre, en cas d'hos tilités, que les soldats vissent tirer tranquillement sur leurs frères d'armes. M. Lainé insista alors pour que l'ordre fût donné aux troupes de partir pour Bayonne; mais le gouverneur répondit qu'elles n'obéiroient pas, et que cet ordre imprudent avanceroit le moment de la défection. M. Lainé, pour sauver l'honneur dé la ville, vouloit au moins que le gouverneur et le général Harispe donnassent par écrit une

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déclaration portant qu'ils avoient la certitude

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que la garnison tireroit sur la garde nationale, si un engagement survenoit entre les citoyens et la troupe du général Clauzel. «Que l'univers, >> que la postérité sachent, s'écria M. Lainé, qu'une Princesse auguste, qui s'appelle Ma» rie-Thérèse, défendue par l'amour d'une population entière, garantie par deux ri» vières, a cédé à l'absolue nécessité, et n'a >> pas fui devant un prévôt et quatre gen>> darmes >>.

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Le général Decaen refusa de donner cette déclaration. MADAME, interrogée sur sa volonté, répondoit constamment qu'elle ne vouloit pas compromettre inutilement la ville, et qu'il falloit céder, s'il étoit reconnu que la résistance feroit couler du sang. « J'aurai conservé >> la bonne ville de Bordeaux, ajoutoit S. A.R., » aussi long-temps que je l'aurai pu; je me » retirerai satisfaite d'elle et de moi ».

Il étoit minuit, et aucune résolution n'avoit été prise; il falloit pourtant s'arrêter à une détermination.

MADAME demanda à M. de Martignac, si le

détachement qu'il avoit laissé à Saint-Vincent, défendroit-le passage. M. de Martignac avoit vu les volontaires dans les meilleures dispositions; il ne leur manquoit que des munitions, et il en avoit rencontré sur la route. Il crut donc pouvoir assurer que le poste seroit gardé, et que le général Clauzel ne passeroit pas à Cubzac avec son foible détachement.

Cette assertion mit un terme à la délibération. Il fut décidé que M. de Martignac partiroit à l'instant même, et qu'au point du jour il feroit dire au général Clauzel, que les autorités civiles et militaires n'avoient pas envoyé de réponse. Le conseil se réserva de prendre un parti définitif le lendemain, après avoir consulté le vœu de la garde nationale.

M. de Martignac partit à franc étrier, et arrivé au Carbon-Blanc à une heure et demie du matin, il y trouva beaucoup d'agitation et de tumulte. Aidé de tous côtés par des traîtres, le général Clauzel avoit fait donner dans la nuit même, par des hommes attachés à son parti, une fausse alerte aux volontaires bordelais, qui n'avoient pas encore reçu les munitions attendues

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attendues depuis si long-temps. On avoit entendu de plusieurs côtés différens le cri d'alarme, le cri désorganisateur, Nous sommes coupés! nous sommes vendus! et ce cri funeste avoit répandu le désordre et entraîné une retraite précipitée sur le Carbon-Blanc. Ainsi le passage de la Dordogne étoit abandonné, et tout changeoit de face. Bientôt les mêmes manœuvres eurent le même résultat sur la rive droite de la Garonne. Des hommes apostés semèrent de nouveau l'alarme, crièrent à l'improviste que les pièces de canon étoient prises. A ces mots, la déroute se mit encore parmi les troupes bordelaises, dont la plus grande partie avoit déjà abandonné le poste du Carbon-Blanc.

Ce nouvel incident rendoit le danger plus imminent encore. Ne trouvant plus aucun obstacle devant lui, le général Clauzel pouvoit paroître dans la matinée même sur la rive droite de la Garonne, en face de Bordeaux, et là se rendre maître de la ville par la défection de la garnison et par de simples menaces. MADAME reçut ces nouvelles alarmantes avec une fermeté d'ame que rien ne pouvoit ébran

ler, ne parlant jamais que de Bordeaux, de la garde nationale, du danger dont la ville étoit menacée, et ne souffrant pas qu'on s'occupât de sa sûreté personnelle.

On arrêta dans le conseil qu'on écriroit au général Clauzel, pour lui demander la journée entière. M. Lainé rédigea lui-même la dépêche conçue à peu près en ces termes :

« Monsieur le général,

>> Madame la duchesse d'Angoulême ayant >> eu connoissance des communications que >> vous avez faites aux autorités civiles et mi»litaires de la ville de Bordeaux, et voulant » épargner à cette ville les malheurs que pourroit lui faire éprouver une plus longue résis» tance, fait des dispositions pour son départ. » Nous vous demandons jusqu'à demain » pour que le départ de S. A. R. puisse s'effec» tuer avec tous les honneurs qui sont dus à

>> son rang ».

Cette lettre, signée par le gouverneur, le préfet et le maire, fut portée sur-le-champ au général Clauzel par M. de Martignac. Dans sa

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