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route il trouva tous les volontaires découragés, effectuant leur mouvement rétrograde sur Bordeaux. Une partie du détachement du général Clauzel avoit déjà passé la Dordogne à Saint-Vincent; mais ce général étoit encore sur la rive droite, où il reçut la dépêche des autorités de Bordeaux. Il consentit sans difficulté au délai qu'on lui demandoit. Il donna en même-temps l'assurance que tous les égards possibles seroient employés envers S. A. R. la duchesse d'Angoulême ; qu'elle seroit libre de se retirer dans tel lieu hors de France, qu'elle jugeroit convenable de désigner, et qu'il lui seroit même fourni une escorte si elle le désiroit. Le général Clauzel alla même jusqu'à assurer que si MADAME, qui devoit connoître son dévouement à sa personne, pouvoit accepter ses services, il auroit l'honneur de l'accompagner au lieu qu'elle choisiroit. Ce général parla ensuite de M. Lainé, pour lequel il dit avoir une estime particulière, et il chargea spécialement M. de Martignac de l'assurer qu'il pouvoit rester à Bordeaux sans aucune inquiétude. On pouvoit comprendre aisément

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que c'étoit-là une conquête que le parti buonapartiste ambitionnoit: mais on pouvoit annoncer d'avance que celle-là échapperoit à toute la puissance et à tous les artifices de Napoléon.

Il fut convenu dans la conférence, que les troupes du général Clauzel resteroient jusqu'au lendemain sur la rive droite de la Garonne; que les courriers et les diligences y seroient retenus, et que le drapeau tricolore ne seroit pas arboré à la Bastide, située en face de Bordeaux, pendant toute la journée du samedi.

La promesse la plus formelle fut renouvelée que personne ne seroit inquiété à Bordeaux par suite des évènemens qui avoient eu lieu depuis le mois de janvier 1814.

Après avoir ainsi tout réglé, M. de Martignac quitta le général Clauzel, et reprit la route de Bordeaux pour rendre compte à MADAME du résultat de sa mission.

Mais déjà des mouvemens violens et une agitation extrême s'étoient manifestés dans la ville, et jusque dans les appartemens du château royal. La détermination de céder sans

coup férir aux soldats de Buonaparte, choquoit tellement la disposition d'esprit et les affections des bordelais, que rien au monde n'auroit pu les faire passer tranquillement de la domination des Bourbons à celle de l'usurpateur. La garde nationale et les volontaires royaux se plaignoient avec chaleur et indignation de ce qu'on enchaînoit leur courage. On parloit hautement de se défendre et d'attaquer même le général. Une nouvelle discussion s'engagea en présence de MADAME. Là, on reprocha au général Decaen sa lenteur, sa négligence, le refus qu'il avoit fait de fournir des munitions; on l'accusa de mauvaise foi, de mauvaise volonté et même de trahison. Il ré→ pondit avec aigreur et amertume, et n'en persista pas moins à soutenir que toute résistance étoit inutile.

Le gouverneur déclara nettement que l'honneur des troupes de ligne leur prescriroit de se joindre à leurs frères d'armes qui s'avançoient, si toutefois la garde nationale, sans provocation, commençoit les hostilités. On objecta qu'il n'étoit pas question d'attaquer,

mais de se défendre, et on interpella le gouverneur de déclarer si la troupe de ligne vouloit être neutre ou non. Il refusa de donner une réponse catégorique. De son côté, le général Harispe exagéra les dangers que couroient les habitans, et il ajouta que deux mille personnes dans la ville étoient prêtes à se joindre aux soldats. Cette assertion fut réfutée par le maire. Il étoit vrai cependant que des émissaires de Buonaparte excitoient les soldats à la révolte, et leur distribuoient secrètement des cartouches, même dans leurs casernes. On put juger dès-lors l'intention perfide des généraux, elle parut dans tout son jour. Leur tactique consistoit à jeter l'effroi et le découragement parmi les citoyens dévoués, et dans le palais même de la duchesse d'Angoulême. Des chefs de bataillon déclarèrent qu'ils ne répondoient plus de la sûreté de S. A. R., tant les propos devenoient affreux dans les casernes. On avoit tout à redouter pour ses jours, ajoutoient-ils, si elle ne quittoit promptement Bordeaux. Une opinion bien différente étoit établie parmi les chefs de la garde fidèle.

Ils étoient persuadés que la vue seule de MADAME ramèneroient sous les drapeaux du Roi la troupe de ligne égarée par la malveillance. On citoit à l'appui, le retour du major Mallet, avec son détachement du 8.e, qui étoit resté fidèle; n'étoit-ce pas une preuve que les craintes fondées sur le mauvais esprit des soldats étoient exagérées? En ralliant ainsi à la garde nationale les troupes de ligne, on ne pouvoit manquer de sauver Bordeaux de cette soumission honteuse à laquelle on ne pouvoit penser sans frémir, tant l'idée de voir flotter l'étendard tricolore y étoit en horreur.

Au milieu de ce désordre et de ce choc d'opinions, MADAME n'hésita pas une minute à prendre un parti décisif. On assemble de nouveau au palais un conseil extraordinaire. Là, le gouverneur et les généraux renouvellent leurs déclarations à S. A. R., qu'ils ne peuvent plus répondre des troupes; qu'il se manifeste partout des symptômes d'insurrection; qu'on ne sauroit plus céler qu'on doit enfin songer à la sûreté de S. A. R., et qu'il n'est plus temps de pourvoir à la défense de Bordeaux. La du

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