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>> renouvelé votre serment de fidélité..... moi, » que vous nommiez votre Princesse..... ne >> me reconnoissez-vous plus !.... » L'expression du regret et du repentir parut alors sur la figure de quelques soldats; mais leurs officiers virent de sang-froid les pleurs et l'indignation de la pitié, que leur endurcissement et leur terrible erreur arrachoit des yeux de MADAME. << O Dieu ! ajouta la Princesse avec l'accent de » la plus vive douleur..... Après vingt ans >> d'infortune, il est bien cruel de s'expatrier >> encore. Je n'ai cessé de faire des voeux pour » le bonheur de la patrie, car je suis française, » moi!.... et vous n'êtes plus français. Allez, >> retirez-vous »>!

Le signal du départ est donné; un roulement de tambour se fait entendre, et MADAME, suivie de son escorte, repasse sous les batteries de ce triste fort, le cœur encore plus déchiré que lorsqu'elle y étoit entrée.

Dans l'intervale, le général Clauzel s'étoit posté à la Bastide avec sa troupe, n'ayant plus que la rivière entre lui et la ville. Ayant fait héler, il annonça qu'il avoit de nouvelles com

munications à faire, et qu'il désiroit qu'on lui renvoyât l'officier de la garde nationale qu'on lui avoit déjà expédié. Informée de cette demande, la duchesse d'Angoulême manda aussitôt M. de Martignac. Il courut au château. MADAME lui dit : « Vous allez passer la rivière >> et trouver le général Clauzel; vous lui direz >> que dans un temps plus heureux, je l'avois » distingué; qu'il m'a souvent assurée alors de >> son dévouement et de son affection; que je >> lui en demande une preuve en faveur de la » ville de Bordeaux. Vous lui direz que je » lui tiendrai compte de ce qu'il fera pour les ≫ bordelais, beaucoup plus que si c'étoit pour

>> moi-même ».

M. de Martignac ignoroit ce qui s'étoit passé aux casernes ; il se hasarda de le demander à MADAME, dont l'extrême bonté l'encourageoit. «< Tout est donc fini, dit-il; et les sol>> dats? - Ils m'ont refusée hautement, reprit >> MADAME, et j'en rends grâces à Dieu; je >> FRÉMISSOIS qu'ils ne me fissent des promesses; » ils ne les auroient pas tenues, et vous en >> auriez été les victimes. Ils vous auroient tous

» égorgés, et je ne m'en serois jamais conso»lée »..... Je frémissois! ce mot peint l'ame de celle qui le prononçoit.

M. de Martignac, ému de ces nobles paroles, prit aussitôt la route de la Bastide.

MADAME, afin d'adoucir l'amertume de cette pénible journée, avoit réservé pour le soir la revue de cette garde fidèle, rangée alors en bataille sur le superbe quai qui s'étend le long de la Garonne. Une scène toute différente attendoit l'auguste Princesse. A peine paroît-elle, qu'un cri général de Vive le Roi! Vive Madame! se fait entendre. A la vue de la profonde douleur répandue sur ses traits augustes, les bordelais redoublent encore de transports. MADAME cherche à se faire entendre au milieu de ces cris de respect et d'amour elle obtient enfin qu'on fasse silence, et restant debout dans sa calèche, pour être mieux entendue de la troupe nombreuse qui l'entoure, elle adresse à cette garde fidèle tout ce que son cœur lui inspire de plus sensible pour exprimer combien elle est touchée de tant de zèle et de dévouement pour le

Roi. « Je viens, ajoute-t-elle, vous deman>> der un dernier sacrifice. Promettez-moi de

» m'obéir dans tout ce que je vous com>> manderai. -Nous le jurons. Eh bien,

>> continue MADAME, d'après ce que je viens de >> voir, on ne peut pas compter sur les secours » de la garnison; il est inutile de chercher à >> se défendre; vous avez assez fait pour l'hon>> neur; conservez au Roi des sujets fidèles » pour un temps plus heureux. Je prends >> tout sur moi; je vous ordonne de ne plus >> combattre. Non, non, s'écrient des » milliers de voix; relevez-nous de notre ser>>ment, nous voulons mourir pour le Roi, >> nous voulons mourir pour vous ». On se presse autour de là calèche, on saisit la main de MADAME, on la baise, on l'inonde de larmes, on demande pour toute grâce qu'il soit permis aux braves bordelais de répandre leur sang. L'enthousiasme est porté jusqu'au délire; toute la ville le partage, et mêle ses cris de Vive le Roi! à ceux de la garde nationale. Quelle singulière position que celle où se trouvoit MADAME. D'une part,

méconnue

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méconnue par des soldats révoltés; de l'autre, accablée de protestations de fidélité et d'amour par la population entière de Bordeaux; et sur l'autre rive, ayant devant elle la troupe de ce général Clauzel, de ce lieutenant de Buonaparte, qui, posté à la Bastide, étoit témoin des hommages qu'on prodiguoit à la fille de Louis XVI. Aucun des accens d'amour qu'on lui adresse ne lui échappe; le son en parvient distinctement jusqu'à lui, jusqu'à ses soldats. Clauzel en fut alarmé, et fit braquer ses canons du côté de la ville. Les drapeaux blancs flottoient à toutes les fenêtres, et formoient une perspective que ne pouvoient supporter les satellites de l'usurpateur. Jamais la ville n'avoit offert un aspect à la fois si imposant et si touchant! Elle étoit brillante de signes de royalisme. La population paroissoit doublée, et quand MADAME retourna au palais, elle fut accompagnée par tout ce peuple fidèle qui la bénissoit les larmes aux yeux, et s'unissoit, du fond de l'ame, à ses regrets et à sa douleur.

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