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MADAME rentra au palais, suivie d'une partie de ces fidèles gardes royaux, qui se jetèrent à ses pieds pour solliciter la permission de combattre. «Non, non, leur dit la PRINCESSE, en » les relevant, je vous prie de ne plus songer » à la défense de Bordeaux; vos efforts seroient superflus, j'en suis certaine. Je ré» pondrai au Roi du sacrifice, aussi pénible » pour mon cœur que pour le vôtre, que »je suis forcée d'exiger de vous, comme » le seul moyen qui me reste de sauver une » ville qui m'est si chère, et de conserver » au Roi des sujets qui, je l'espère, lui >> prouveront de nouveau, et dans peu, leur

» amour ».

Les généraux étoient présens; ils avoient suivi MADAME pendant tous les momens de cette cruelle journée. Se tournant vers eux, S. A. R. leur dit : « C'est vous, Messieurs, » qui devez me répondre de la sûreté de » cette ville et de ses habitans: maintenez » vos troupes et préservez Bordeaux de tout » désordre vous l'avez en votre pouvoir. Nous le jurons à V. A. R. Point

de serment: obéissez au dernier ordre que » vous recevez de la fille de votre Roi ». A peine MADAME a-t-elle achevé ces mots, qu'une fusillade se fait entendre dans la ville. Les cris, on tire sur la garde, ajoutent à l'horreur de cette situation; c'étoit des gardes nationaux qui avoient fait feu sur plusieurs de leurs officiers, soupçonnés depuis long-temps d'avoir trahi la cause du Roi. On vit passer des blessés qu'on transportoit; on annonça même que quelques citoyens avoient été tués, et que ce n'étoit que le prélude du massacre. De moment en moment on venoit apporter à MADAME des nouvelles effrayantes. Des régimens en insurrection quittoient leurs casernes; une partie s'étoit déjà rangée sur la place de la Comédie, et les soldats exhaloient leur rage contre les royalistes et même contre MADAME.

Cependant M. de Martignac venoit d'arriver à la Bastide, pour s'acquitter de la mission dont il étoit chargé. Il trouva le général Clauzel mécontent de ce qui venoit de se passer sous ses yeux. Le général répondit

que la recommandation de MADAME étoit inutile, attendu que ses devoirs, d'accord avec ses sentimens, mettoient la ville de Bordeaux et ses habitans en parfaite sûreté. Il promit, quoiqu'avec peine, d'attendre jusqu'au lendemain à neuf heures, la députation qu'on lui avoit annoncée. Après s'être excusé d'avoir fait arborer le drapeau tricolore, contre les termes de la convention verbale arrêtée · la veille, et après avoir rejeté cette espèce· d'infraction sur ce que le pavillon blanc avoit flotté à toutes les croisées du port de Bordeaux, il interrogea vivement M. de Martignac sur ce qui s'étoit passé, et sur les causes de la fusillade qu'il avoit entendue.

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Cet officier répondit qu'une partie de la garde nationale avoit obéi sans murmure à l'ordre de MADAME; que l'autre avoit trouvé honteux de capituler devant une poignée d'hommes, et vouloit résister; que cette différence de volonté avoit amené l'engagement dont il avoit été le témoin.

Le général Clauzel dit qu'on avoit tort

de croire que la foiblesse du détachement dont il étoit accompagné pouvoit être considérée par les bordelais comme une circonstance favorable; que ce n'étoit pas sur sa petite troupe qu'il comptoit, qu'au besoin il entreroit tout seul à Bordeaux ; que depuis plusieurs jours la garnison lui obéissoit, et n'obéissoit qu'à lui.

Il ajouta qu'à un signal donné ses ordres seroient exécutés, et offrit même d'en fournir la preuve à l'instant.

En effet, le drapeau tricolore ayant été arboré à la Bastide, un drapeau semblable parut sur les tours du château Trompette.

M. de Martignac quitta le général Clauzel pour retourner à Bordeaux, rendre compte à MADAME du résultat de cette conférence.

Le tumulte et le désordre étoient au comble. Il ne se passoit pas une minute sans qu'on vît arriver des messages qui venoient supplier S. A. R. de s'éloigner de Bordeaux. Rien ne pouvoit décider MADAME à abandonner cette malheureuse ville. S. A. R.: ne pouvoit soutenir la pensée du sort affreux

qui étoit réservé aux habitans après son départ; elle en étoit accablée de douleur, lorsqu'on vint lui représenter qu'en prolongeant son séjour, loin d'être utile à Bordeaux, elle compromettroit le salut de la ville. MADAME céda aussitôt qu'il fut question de sauver Bordeaux et ses habitans, qui, à ses yeux, étoient bien au-dessus des dangers qu'elle couroit, et de sa liberté personnelle.

L'ordre du départ fut donné pour la nuit suivante. Déjà le consul anglais avoit prescrit aux bâtimens de sa nation qui venoient d'escorter la flotte marchande, de se tenir prêts à exécuter les ordres de la duchesse d'Angoulême aussi tout étoit disposé à Pouillac pour y recevoir l'auguste Princesse à bord du the Wanderer. Cependant de nouvelles alarmes se succédoient, et comme la fermentation alloit croissant parmi les troupes de ligne, on supplia S. A. R. de ne plus différer de se mettre en route.

Elle reçut alors les hommages et les adieux des personnes qui, ne pouvant la suivre, lui restoient fidèles. A huit heures, l'auguste Prin

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