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les administrations; et ils craignoient de perdre ces avantages, en changeant de gouvernement.

J'avois donc lieu d'appréhender ce que pouvoit faire cette garde nationale; mais le secret ayant été étonnamment bien gardé jusqu'au moment décisif, je jugeai qu'elle seroit frappée de stupeur et comprimée par la présence des troupes anglaises et qu'enfin, voyant la masse du peuple seconder l'élan donné par son premier magistrat, qui avoit sa confiance, sa mauvaise volonté deviendroit impuissante: c'est ce qui arriva.

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On ne tarda pas cependant à être convaincu des mauvaises dispositions de cette garde urbaine; ce qui détermina lord Dalhousie, sur mes représentations, à la casser et à en reformer une autre; grand avantage de l'accord des autorités civiles et militaires, dans les momens difficiles.

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Cet ensemble de circonstances favorables, jointes au succès des alliés au nord de la France, ne laisse aucun doute que cette époque de la révolution n'ait été la seule où l'on ait pu, avec fondement, se flatter que l'on pourroit en arrêter le cours et l'anéantir à jamais. S'il est infiniment triste d'éprouver le contraire, il n'est pas sans intérêt, et surtout pour le maire de Bordeaux, de prouver que la disposition différente où cette ville s'est trouvée au moment de la débâcle, devoit la mettre dans l'impossibilité d'y résister.

Loin d'être appuyée en 1815 par une force armée protectrice, la ville renfermoit dans son sein des soldats, non-seulement mal disposés pour leur souverain légitime, mais d'autant plus décidés à lui être infidèles, qu'ils y étoient portés par la sourde et infernale trahison des chefs: trahison d'autant plus dangereuse qu'elle étoit masquée sous les apparences de la fidélité la plus dévouée.

On peut dire que la contre-révolution a été faite à Bordeaux, dès l'instant que les troupes de ligne y ont été introduites. Ce n'étoit point avec des dispositions administratives que l'on auroit pu déjouer leurs mauvais desseins. A supposer que cela eût pu être, on verra tout à l'heure que de la manière dont elle étoit composée, cette administration ne l'auroit pas voulu.

Une force armée peut seule être opposée à une force armée; alors on a la guerre civile, et son issue dépend du plus ou moins de courage et de l'habileté des combattans.

On n'avoit à opposer à la troupe de ligne, qui consistoit à peu près en deux mille hommes, que la garde nationale, dont la majorité étoit bonne sans doute, mais c'eût été se faire illusion que de croire que la totalité l'étoit : première différence en faveur de la troupe de ligne. Animée du même esprit, celle-ci étoit bien armée et bien exercée: la garde nationale n'avoit aucun de ces avantages,

et quoique plus nombreuse en apparence, elle ne pouvoit évidemment qu'avoir le dessous.

J'ai dit que ce n'étoit pas avec des mesures administratives que l'on auroit pu s'opposer aux mauvais desseins de la troupe de ligne, et que même, dans la supposition contraire, l'administration civile à Bordeaux n'en avoit pas eu la volonté.

Le général comte Decaen avoit eu, dans l'origine, la prétention d'être gouverneur civil et militaire; et il est probable qu'il entroit dans les vues de son parti qu'il réunit ces attributions : j'en sentis tout le danger, et je provoquai une décision ministérielle qui condamna cette prétention.

L'autorité administrative supérieure resta donc au préfet; et si ce magistrat eût épousé avec loyauté les intérêts du Roi, il auroit pu, d'accord avec moi, éclairer le gouvernement sur les dangers de notre position. Il en a été tout autrement; le préfet s'est dévoué au gouverneur. Je n'ai été pour eux qu'un homme suspect, embarrassant, dont il falloit se défier. L'autorité municipale s'est donc trouvée douloureusement paralysée.

La mauvaise disposition des militaires n'avoit point échappé à la vigilance de la police locale. Instruit par mes agens des discours coupables qu'ils tenoient, j'eus soin d'en avertir le préfet et le gouverneur; mais celui-ci recevoit si mal les informations qui lui étoient transmises, que loin de les approfondir, il

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regardoit comme une espèce d'insulte de les lui déférer.

Je me suis alors vu forcé d'en instruire directement le gouvernement, et c'est ce qui a été fait avec une constante sollicitude.

Le général Decaen a commencé à agir avec une politique plus adroite, lors de la bénédiction du drapeau de la troupe de ligne. Il lui parla avec une telle énergie en faveur du Roi, que j'en fus la dupe, et que je finis par attribuer l'obstination de ce gouverneur à ne pas convenir des dispositions des militaires, à la répugnance qu'éprouvoit sa loyauté naturelle à trouver un autre sentiment dans ses subordonnés.

Cependant j'étois loin d'avoir une entière confiance dans les généraux employés dans la division; et je pris la liberté de faire savoir à M. le duc d'Angoulême, la nécessité d'employer ailleurs le général Lhuillier, et de le faire remplacer par un autre, sur les dispositions duquel je pusse compter. L'on envoya le général Harispe, et je dus penser que l'on étoit assuré de ses sentimens. Je m'ouvris donc à lui avec moins de réserve sur ce qui regardoit les militaires et le gouverneur lui-même; je lui trouvai des dispositions favorables, mais de nature seulement à dissiper mes craintes sur ce dernier.

Tel étoit l'état des choses, lors de l'arrivée de LL. AA. RR. à Bordeaux.

Il est difficile de dépeindre l'enthousiasme qui éclata dans cette mémorable circonstance. Il s'est toujours soutenu avec la même énergie; mais il ne fut point partagé par les militaires, qui étoient froids et silencieux. Lorsque les cris de Vive le Roi! se faisoient entendre de toutes parts, le gouverneur disoit qu'il n'étoit pas d'usage que les militaires sous les armes se permissent des cris; il disoit que l'on cherchoit à les provoquer; qu'on leur montroit une injurieuse défiance, et autres choses semblables.

Le 9 mars, nous parvint l'invasion de Buonaparte, et M. le duc d'Angoulême partit. Je crus alors devoir parler à S. A. R. MADAME sur les individus en qui résidoit l'autorité civile et militaire. J'eus l'honneur de lui faire part de mes observations sur le gouverneur et le préfet, du doute où j'avois long-temps été sur le compte du premier, doute qui, bien que dissipé en partie, se réveilloit dans les circonstances du moment.

MADAME parut parfaitement rassurée à l'égard de l'un et de l'autre. Ces messieurs se réunissoient chez M. de Montmorency, et se rendoient ensuite chez la Princesse pour lui proposer ce qu'ils croyoient convenable. Ainsi, S. A. R. avoit pu les juger, si une belle ame pouvoit jamais sonder la profondeur de l'ame des scélérats.

MADAME trouva à propos de former une espèce de conseil, où elle désira que je fusse admis, et où furent

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