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appelés le président du conseil général, l'inspecteur et le commandant de la garde nationale; ce conseil étoit présidé par le gouverneur.

On y détermina qu'il seroit ouvert une souscription pour se procurer les fonds nécessaires à l'équipement et à l'habillement de la garde nationale, destinée à entrer en service actif. Des membres du conseil municipal furent chargés de recueillir ces souscriptions. Elles s'élevèrent le premier jour à près de sept cent mille francs; mais ce premier effort n'eut pas de suite; il se ralentit à mesure des progrès de Buonaparte, en telle sorte que cette mesure a fini par être sans effet; les souscripteurs ne purent même réaliser leurs souscriptions, l'argent ayant été tout-à-coup fort resserré.

La garde nationale n'étoit pas entièrement organisée. Une foule de jeunes gens s'étoient présentés pour prendre les armes ; ils étoient renvoyés au gouverneur par le général Harispe, et par celui-ci au commandant de la garde nationale. Ainsi découragés, leur zèle a été infructueux; les mesures manquoient d'ensemble et de régulateur. M. de Vitrolles arriva dans ces cir

constances.

Ce ministre d'Etat, après avoir eu l'honneur d'entretenir Son Altesse Royale, réunit des députés de toutes les administrations et de la chambre du commerce; il les invita à lui faire part de leurs observations sur l'état présent des choses; il leur apprit que le siége du gouvernement général, dont M. le duc

d'Angoulême étoit investi, alloit être établi à Toulouse, et leur fit connoître que tous les pouvoirs civils et militaires étoient confiés à Bordeaux au gouverneur comte Decaen. MADAME parut à la fin de la réunion, et y parla avec force, et en même temps avec une bonté angélique. Le général Decaen y exprima des sentimens de fidélité et de dévouement pour le Roi, dont nous fumes tous ravis, et je fus convaincu que le commissaire du Roi s'étoit assuré qu'on pouvoit compter sur la loyauté de ce gouverneur.

Il parut en effet vouloir régulariser les opérations, et pensa enfin aux moyens de s'assurer de la citadelle de Blaye, dont on lui avoit fait sentir depuis longtemps l'importance. Ce fut seulement alors qu'il avoua que l'on pouvoit douter de la fidélité de la garnison, et qu'il parut vouloir en neutraliser les mauvaises dispositions, en y envoyant un détachement de la garde nationale pour remplacer un bataillon qu'il devoit faire venir à Bordeaux.

Ce détachement partit en effet; mais il étoit si foible, si mal commandé, et se conduisit avec une telle indiscrétion, qu'elle servit de prétexte à la garnison pour ne pas le recevoir, et les autorités locales en furent tellement mécontentes, qu'elles furent obligées de le renvoyer dans un village voisin.

Il étoit difficile que le gouverneur ne fût pas alors convaincu de l'insubordination des soldats qui composoient la garnison de Blaye. Il en acquit une nouvelle

preuve, lorsque, malgré le mauvais succès de la première mesure qu'il avoit voulu prendre, il fit ordonner à un bataillon du 62. de partir de Blaye pour Libourne; ce bataillon refusa d'obéir.

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Cet état de chose dura à Blaye jusqu'au moment où un courrier de Paris laissa à quelque distance les proclamations de Buonaparte pour être introduites furtivement dans la citadelle. Aucune précaution n'avoit été prise pour l'éviter, et la garnison arbora l'étendard de la révolte.

Dès-lors le sort de la ville de Bordeaux fut décidé, et l'on dut être convaincu de l'incurie, si ce n'est de la perfidie du gouverneur et du préfet.

Cependant on cherchoit encore à se faire illusion, et l'on espéroit vaincre l'esprit des soldats de la garnison de Bordeaux, à force de témoignage, de confiance et d'intérêt.

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On fit une revue de la troupe de ligne et des gardes nationales pour les faire fraterniser. La perfidie tira parti de cette circonstance même, pour faire croire à la troupe de ligne que cette réunion n'avoit d'autre but que de la faire désarmer. L'intention que l'on avoit eue, parut néanmoins parfaitement remplie : le meilleur accord sembla régner entre les deux armes. S. A. R. parcourant les rangs, parla aux troupes qui passèrent successivement devant elle aux cris assez soutenus de Vive le Roi! Vive MADAME!

On ne se borna pas à ce moyen de rapprochement.

Peu de jours après, la garde nationale invita la troupe de ligne à un dîner. Les soldats mangèrent ensemble en plein air, et je fus témoin de marques de fidélité. et de confiance mutuelle du plus favorable augure. Les officiers et les autorités invitées furent réunis dans la même salle, et montrèrent le même accord. Les sentimens les plus loyaux furent exprimés et reçus par les plus vives acclamations. On eut lieu de remarquer la santé proposée par le général Decaen : « Au » nom du Roi, ses droits sont sacrés jurons tous de » les défendre jusqu'à la dernière goutte de notre » sang ».

Au milieu de toutes ces illusions, on apprit l'approche de Clauzel avec une force de deux cents hommes et quatre-vingts cavaliers.

Il n'y a aucun doute que la garde nationale de Bordeaux n'eût pu seule arrêter ses progrès, et même la détruire, si elle eût été organisée et armée; mais que pouvoit-elle dans la situation où elle étoit, laissant sur les derrières des troupes disposées, comme on devoit bientôt en acquérir la preuve, à la placer entre deux feux ?

Ce ne fut qu'au dernier moment que le gouverneur parla avec quelque force aux deux chefs de la garde nationale. Il leur donna ordre d'envoyer dès le lendemain des détachemens pour être placés sur les différentes routes par où pouvoit arriver Clauzel. Sur la difficulté que le commandant de la garde na

tionale trouvoit à pouvoir réunir ses hommes, dispersés dans les différens quartiers, le gouverneur ordonna que l'on fit battre un rappel. L'exécution de ee moyen fit connoître ce qu'on pouvoit attendre du zèle de la garde nationale et des bonnes dispositions des citoyens. Dans un instant les gardes nationales furent à leur poste et entourées d'une foule de citoyens qui excitoient leur dévouement.

Les détachemens partirent le lendemain. La principale force fut portée sur la rive gauche de la Dordogne, au passage du Cubsac, avec deux pièces de canon de petit calibre, qui composoient toute notre artillerie; là on put voir combien le gouverneur avoit mis de négligence, ou combien il avoit été mal obéi. Il avoit ordonné que le pont volant fût conduit sur la rivière, décoré du pavillon tricolore, que nos braves enlevèrent. Les deux troupes se disputoient le pont; il y eut un léger combat où nous eûmes l'avantage, et il fut décidé que le pont ne seroit pas déplacé, mais qu'il seroit rendu inutile aux deux partis.

Après quelques escarmouches, Clauzel invita la garde nationale à envoyer un parlementaire, auquel il donna l'assurance que tous les égards possibles seroient employés envers S. A. R.; qu'elle seroit maîtresse de se retirer là où elle jugeroit à propos; qu'il lui seroit même fourni une escorte, si elle le désiroit; mais qu'il falloit que les bordelais se soumissent; que la résistance seroit vaine; qu'ibattendoit une réponse

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