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le lendemain matin; qu'il y auroit amnistie pour tout le monde. Ce parlementaire pria un de mes amis de me dire que j'étois le seul excepté, et je m'y attendois.

On résolut que le conseil général du département et le conseil municipal seroient assemblés pour qu'ils décidassent concurremment s'il y avoit lieu à la résistance; et que la gardé nationale seroit aussi rassemblée dans le même effet.

Les premières pensées des conseils réunis se portèrent sur les dangers que pouvoit courir S. A. R., et sur les moyens de l'en garantir. En général, ils ne montrèrent aucune disposition à la résistance, excepté MM. Dussumier et de Mondénard, et ils renvoyètent la détermination à prendre, jusqu'à ce que l'on fût assuré que la garde nationale auroit des moyens de défense suffisans, ce dont on parut infiniment douter.

Sur le rapport qui fut fait de cette délibération au conseil de la Princesse, S. A. R. déclara qu'elle désiroit que la sûreté de sa personne n'entrât pour rien dans les motifs de la détermination à prendre ; qu'elle ne croiroit jamais avoir rien à craindre au milieu des Français; que si sa présence étoit nécessaire à la ville, elle étoit déterminée à n'en point sortir; que si au contraire on jugeoit utile qu'elle s'éloignât, elle étoit prête à partir; qu'elle ne pouvoit dissimuler avec quel regret elle quitteroit la France et la ville de Bordeaux; mais qu'il n'y avoit aucun sacrifice qui lui

coûtât, pour donner aux Français et aux bordelais des preuves de l'attachement qu'elle leur portoit.

Le général Decaen crut enfin devoir faire connoître quelles étoient les dispositions des troupes à Bordeaux, et signifia qu'elles avoient déclaré que si la garde nationale attaquoit les troupes qui s'avançoient, leur honneur leur prescrivoit de se joindre à leurs frères d'armes. On fit observer qu'il n'étoit pas question d'attaquer de la part de la garde nationale, mais de se défendre; et on l'interpella de déclarer si la troupe de ligne vouloit être neutre ou non, vu qu'une réponse catégorique à cet égard étoit nécessaire à l'honneur de la ville. Il refusa de donner d'autre répouse. Alors le général Harispe exagéra les dangers que couroient les habitans, prétendant qu'il y avoit dans la ville deux mille hommes qui devoient se joindre aux soldats, et il ajouta que je devois mieux que personne en savoir quelque chose. Je déclarai que je n'en voyois rien la perfidie de ces deux généraux parut alors dans tout son jour.

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Il fut déterminé qu'il seroit répondu à Clauzel, que S. A. R. désiroit surtout empêcher l'effusion du sang; qu'elle préféroit se retirer, si sa présence pouvoit conduire à un pareil malheur; et que les autorités civile et militaire demandoient vingtquatre heures pour préparer le départ de la Princesse, d'une manière digne de sa naissance et de son rang.

Dans l'intervalle de ces délibérations, il y eût différens faits militaires, qui ne peuvent laisser aucun doute, que le courage seul de notre brave garde n'eût efficacement défendu la ville; mais qu'elle étoit mal commandée, et manquoit de cartouches.

La nuit suivante, on vint m'éveiller à trois heures, pour me dire qu'un garde national avoit passé à cheval devant l'hôtel-de-ville, en criant qu'il falloit m'avertir de me rendre le plus tôt possible au château. J'y appris que S. A. R. étoit déterminée à partir: que Clauzel s'avançoit, et que toute résistance devenoit infructueuse. J'ai su depuis que Clauzel s'étoit fortifié de tout ce qu'il y avoit de disponible à la citadelle de Blaye, où il n'étoit resté que des malades.

J'eus l'honneur de voir S. A. R., qui me confirma la détermination qu'elle avoit prise de s'éloigner, afin d'éviter que la garde nationale ne s'exposât pour elle à des malheurs, sans qu'il pût en résulter aucun avantage pour le service du Roi et la conservation de la ville.

En sortant de chez la Princesse, je trouvai le garde national qui avoit communiqué avec Clauzel. Il me confirma ce que le général avoit dit des dispositions me concernant.

Revenu à l'hôtel-de-ville, j'y reçus divers rapports, tous plus affligeans les uns que les autres.

Les volontaires royaux qui étoient désignés pour accompagner S. A. R. depuis la demi - distance de

Bordeaux à Pouillac, partirent pour aller l'attendre à Margaux. Cependant cette courageuse Princesse voulut encore faire un effort envers les soldats pour les conserver fidèles au Roi. Elle se rendit à leurs casernes, et leur parla avec une force, une dignité et une bonté qui ne peuvent se montrer qu'en elle; mais ils n'en furent point touchés, et sans manquer au respect auquel S. A. R. a tant de droit, ils persistèrent dans leurs mauvaises dispositions. On assure cependant que de jeunes soldats ont montré beaucoup de regrets, et qu'ils ont dit que, sans les anciens qui les menaçoient, ils se seroient rangés à leur devoir. Ainsi MADAME a tenu bien au-delà de ce qu'on pouvoit attendre, et exécuté ce qu'elle m'avoit fait l'honneur de me dire souvent : « Je ferai >> tout ce que je pourrai pour conserver au Roi une » ville qui lui a donné une si grande marque de fidé» lité ». Mais en satisfaisant à son devoir, elle a satisfait aussi à ce que l'humanité prescrivoit à son excellent cœur, en invitant et même en ordonnant à la garde nationale de ne point s'exposer inutilement. Autant elle a été, je crois, convaincue que les choses ont été amenées de manière qu'il étoit impossible qu'elles eussent une issue glorieuse pour la ville de Bordeaux, autant elle l'a été du courage et du dévouement de la garde nationale et de la sincérité de l'attachement de la grande majorité des habitans de cette ville à la cause du Roi.

La visite des casernes fut cause que S. A. R. partit très-tard de Bordeaux ; en sorte qu'elle ne se rendit à Pouillac, que la nuit du samedi au dimanche, par un chemin affreux. Elle entendit la messe en arrivant; et après un déjeuner léger, auquel elle voulut bien m'admettre, elle se rendit au port, entourée de tous les gardes royaux qui l'avoient accompagnée. C'est 'en fondant en larmes et le cœur brisé, que j'eus l'honneur de la conduire au canot de la corvette du roi d'Angleterre, the Wenderer, qui l'a portée à SaintSébastien, et je m'embarquai dans le navire marchand anglais, le William Sibbald, dans lequel je suis arrivé au port de Plymouth le 13 avril.

N. 3.

Protestation de M. LAINÉ, président de la chambre des députés.

Au nom de la nation française, et comme président de la chambre des représentans, je déclare protester contre tous décrets par lesquels l'oppresseur de la France prétend prononcer la dissolution des chambres. En conséquence, je déclare que tous les propriétaires sont dispensés de payer des contributions aux agens de Napoléon Buonaparte, et que toutes les familles doivent se garder de fournir, ou

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