Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

que l'acte de déchéance. Je me suis demandé d'abord à quel titre le Sénat s'était permis de rédiger pour la France une constitution. Le Sénat ne doit son existence qu'à la Constitution même qui vient d'être détruite. Il est donc dissous par le fait; il n'est donc plus qu'une association d'individus sans caractère politique et sans droits. Et alors, d'où empruntet-il la mission qu'il se donne? Qui est-ce qui l'a invité à nous constituer de nouveau ? et pourquoi nous imposerait-il des lois, lui qui, déchu de sa puissance, n'a plus rien aujourd'hui qui le sépare des citoyens ordinaires?

Dira-t-il qu'il représente la Nation? Quoi ! le Sénat représente la Nation! Mais a-t-il oublié que par son institution même, il n'était pas appelé à délibérer sur ses intérêts; qu'il n'était chargé que de garantir de toute atteinte la Charte constitutionnelle, dont quelques-uns de ses membres avaient rédigé les articles; que, pour être représentant d'une Nation, il faut être immédiatement délégué par elle, et que, forsqu'il s'agit sur - tout de la constituer, une délégation ordinaire ne suffit pas; qu'il faut, de plus, pour une œuvre pareille, un mandat spécial qu'aucun autre acte ne peut remplacer ?

Et puis, qu'est-ce que, dans son système, le Sénat fait du Corps législatif? Celui-là représente bien véritablement la Nation. Or, a-t-il été admis aux délibérations du Sénat? Est-ce avec lui qu'on

a discuté l'acte constitutionnel? A-t-on livré à la discussion, dans son sein, chacun des articles de cet acte extraordinaire? Si rien de tout cela ne s'est fait, si ce ne sont pas ceux qui avaient le droit d'agir et de parler, qui ont agi, qui ont parlé, qu'on me dise donc, d'après quelle maxime, d'après quelle loi, les membres du Sénat voudraient me forcer à respecter leur ouvrage ?

Je me suis demandé ensuite, comment le Sénat avait pu décréter que Louis XVIII ne serait proclamé Roi qu'autant qu'il aurait accepté l'acte constitutionnel. Est-ce que Louis XVIII a besoin du Sénat pour être Roi? La royauté n'a-t-elle pas toujours éte héréditaire en France? N'est-il pas le frère de Louis XVI, et l'oncle de Louis XVII? Louis XVIII, d'ailleurs, peut-il accepter l'acte constitutionnel, avant que la Nation elle-même, qu'il faut cependant compter pour quelque chose (1), ait émis son vou? Et jusqu'à cette acceptation, que fera-t-il ? Ne sera-t-il

(1) J'avertis, au reste, qu'il ne faut pas regarder comme vœu de la Nation, les adhésions forcées, qu'à force de mensonges et de menaces on pourra obtenir de la faiblesse des autorités constituées dans les provinces. La Nation détestait Buonaparte, et les journaux n'étaient remplis que d'adresses pleines de protestations de dévouement pour le meilleur et le plus aimé des souverains. On sait comment on se procurait ces adresses, on comprend donc de quelle manière aussi on pourra se procurer ces adhésions.

qu'un simple particulier dont l'état n'est pas fixé, et qui n'a, dans le système social, aucune fonction à remplir?

Louis XVIII a conféré à Monsieur la lieutenance

générale du royaume, suivant l'ancien usage de la monarchie. Tous les Français ont cru que Monsieur était en conséquence suffisamment autorisé à prendre en main les rênes du gouvernement. Le Sénat, ce Sénat, je ne crains pas de le dire, que toute la France réprouve, n'a pas pensé de même. Il s'est permis de regarder Louis XVIII comme incompétent, dans la nomination qu'il a faite du Prince son frère, et ce n'est qu'après l'avoir nommé lui-même, qu'il a souffert que les Français lui obéissent.

Il faut que je dise toute ma pensée. Voudraiton légitimer en quelque sorte l'assassinat juridique de Louis XVI? Voudrait-on consacrer, au moins tacitement la doctrine contenue dans l'acte par lequel la Convention a déclaré déchus du trône pour toujours les nobles descendans de Charlemagne, de St. Louis, d'Henri IV? En conséquence de cet acte épouvantable, aurait - on pensé qu'on ne doit pas recevoir Louis XVIII comme un Prince qui a des droits qu'on ne peut méconnaître, mais comme un Prince qui attend d'une volonté étrangère une couronne à laquelle, par lui-même, il ne lui est pas permis de prétendre ? Ainsi donc, il suffirait qu'une troupe de

[ocr errors]

factieux, après avoir soumis à l'ignominie d'une procédure criminelle un Roi légitime, l'eût fait périr sous la hache d'un bourreau, pour que cet attentat exécrable produisit à la Nation, dans le sein de laquelle il aurait été commis, un droit nouveau et l'affranchît pour toujours de ses devoirs envers la famille de l'auguste victime que les barbares auraient sacrifiée, ou à leur intérêt, ou à leur vengeance? Je ne sais, mais il me semble qu'il est difficile d'offenser avec plus de hardiesse Ja majesté des têtes couronnées, et les principes de cette morale éternelle, sans lesquels il n'y a que désordre anarchie et bouleversement dans les empires.

2

Au reste, et je me hâte de le dire, je suis loin d'imaginer qu'une pensée si affreuse se soit présentée à l'esprit de ceux qui ont souscrit l'acte sur lequel on se, propose d'élever l'édifice de notre constitution nouvelle. Cependant, il n'est pas moins vrai qu'une telle pensée est cachée en quelque sorte dans la rédaction de cet acte important, et qu'un jour peut-être elle pourra donner lieu à des événemens bien funestes.

Enfin, je me suis demandé comment le Sénat avait été si peu soigneux de sa renommée, pour entreprendre de convertir en dignités et en patrimoines héréditaires, des dignités à vie et des biens qu'il ne possède qu'à titre d'usufruit. Est-ce que ces biens

n'appartiennent pas à la Nation? Est-ce qu'il a le droit de transmettre à ses héritiers ces dignités, qui étaient la propriété de tous, puisque tous pouvaient y prétendre? Quoi! de son autorité privée, il déclare que ce qui ne lui a été que confié, est irrévocablement à lui; il conteste à nos Princes leurs droits au trône, et pour satisfaire son avarice et sa vanité, sans demander aux Français leur aveu il fait sortir, pour ainsi dire, du commerce, les honneurs dont il jouit, les domaines et les terres dont il perçoit les revenus mais qui ne lui ont pas été aliénés; et ne donnant pour raison de son usurpation que sa volonté, il annonce fièrement que Louis XVIII ne sera proclamé Roi, qu'autant qu'il aura consacré par son suffrage une usurpation si violente et si honteuse.

[ocr errors]
[ocr errors]

Voilà donc les membres du Sénat, devenus, par leur fait, Pairs et premiers Pairs du royaume. Et les Rohans, les Montmorency, les Périgord, les Choiseul, les Brissac, les la Trémouille, lorsque le Roi jugera à propos de leur conférer cette dignité, ne marcheront qu'à leur suite. MM. Garat, Grégoire, Chaptal, Chasset, et tous ces hommes qui, au commencement de notre funeste révolution ont déclamé avec tant de véhémence contre les titres, les distinc tions, les priviléges, qui ont défendu avec tant d'opiniâtreté le système de l'égalité des conditions et des droits; les voilà devenus, à force de souplesse de patience et de cupidité, les personnages les plus éminens de l'Etat. Si le chevalier sans peur et sans

« PreviousContinue »