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donc vous qui avez fait parcourir à notre patrie le cercle de toutes les passions déchaînées ; car une fois l'autorité légitime renversée, il n'y a plus de frein, il n'y a plus de point central auquel se puisse rattacher la soumission et l'obéissance des peuples. Depuis que vous siégez dans le sénat, qu'avezvous fait ? Lorsque vous avez déféré la couronne impériale au tyran qui vient de succomber, un des principaux articles de cet acte étoit qu'il seroit créé dans votre sein une commission pour régler la liberté de la presse et la liberté individuelle. Elle a été effectivement créée cette commission; mais qu'a-t-elle produit? C'est sous ses yeux et sous les vôtres, sénateurs, qu'on répandoit dans tous les journaux des nouvelles mensongères et absurdes, qu'on y insultoit de la manière la plus grossière tous les souverains de l'Europe, et que la France étoit réellement et matériellement bloquée pour lui dérober la connoissance des événemens connus par-tout ailleurs. Quant à la liberté personnelle, c'est sous vos yeux qu'on emprisonnoit le souverain Pontife, des cardinaux, des prélats, des prêtres, des citoyens de tout état, de toute profession. C'est sous vos yeux qu'on établissoit des com

missions militaires qui jugeoient prévôtalement tous ceux qui étoient suspects au tyran. C'est sous vos yeux que les prisons regorgeoient de citoyens enfermés sur le moindre prétexte, et dont plusieurs étaient fusillés pendant la nuit, sans même avoir été soumis à une commission militaire. C'est encore sous vos yeux que le tyran moissonnoit tous les ans les générations. Que faisoit alors votre commission? Aucune voix ne s'est élevée contre ces actes vexatoires et atroces. Je me trompe, sénateurs, vos présidens, vos rapporteurs, les ministres du tyran, ces Séjans du Tibère de la France, faisoient des discours pour justifier toutes ses mesures; et vous, sénateurs, vous applaudissiez à toutes ses propositions, et lui faisiez des adresses qui respiroient la plus basse et la plus vile adulation. Toutes ces harangues, toutes ces adresses sont imprimées, je les dénonce donc à nos contemporains, à la postérité et à l'histoire ; si toutefois la majesté de l'histoire lui permet de souiller ses fastes de noms aussi méprisables.

Sénateurs, voilà vos titres de recommandation auprès de la nation française, pour que Louis XVIII vous accorde les récompenses

que vous avez l'impudeur de lui demander. Vous réclamez la liberté de la presse et la liberté personnelle: on n'a point encore oublié que ce sont les Gorsas, les Père Duchêne, et autres libelles infàmes encouragés par les législateurs de 89, qui ont empoisonné le peuple, et qui, en trois ans de temps, ont détruit cet amour, cette vénération, cette espèce de culte que le peuple avoit pour le vertueux Louis XVI, et l'ont égaré au point de le rendre complice du plus grand des crimes. Il faut donc que cette liberté de la presse subisse des restrictions sévères, en conservant toutefois un libre essor à l'esprit, au génie et au talent.

Vous demandez que le Roi maintienne toutes les lois actuelles, c'est-à-dire donc le Code civil, le concordat, l'institution du jury, toutes les lois révolutionnaires, la conscription, l'organisation judiciaire, toutes les lois fiscales, etc., etc. Il est impossible que le Roi sanctionne une telle législation qui porte l'empreinte de l'esprit révolutionnaire ou de la tyrannie.

Vous demandez un gouvernement représentatif, c'est-à-dire deux chambres. Mais vous ne voulez, pour être sénateurs, d'autre

condition que d'être majeur; c'est-à-dire, que vous confieriez les plus grands intérêts de l'Etat à des jeunes gens dans l'âge où les passions sont dans la plus grande effervescence. Sénateurs, vous secouez promptement le joug paternel: votre créateur avoit fixé l'âge de quarante ans ; et certes, il avoit raison.

De même, pour être député au corps législatif, vous demandez seulement qu'on soit propriétaire; mais vous ne fixez pas la quotité de la propriété qui sera requise. Vous n'ignorez sûrement pas qu'en Angleterre, pour être député d'un comté, il faut avoir environ 12,000 livres de rente et pour être député d'un bourg, ou (borough), il faut avoir 4 ou 5,000 livres de rente. Les Anglais ont senti l'importance de cette quotité de propriété pour ne confier la confection des lois qu'à des hommes intéressés à la conservation et au maintien de l'ordre public. Pour vous, sénateurs, qui prétendez sûrement faire mieux que les Anglais, vous vous êtes contentés de l'expression vague et indéterminée de propriétaire. On espère sans doute que, par des intrigues et des menées sourdes, on introduira dans ce corps législatif un grand

nombre de petits propriétaires dont quelque orateur véhément et adroit, quelque Gracque moderne, s'emparera facilement. Tacite disoit des Gracques : Toute leur éloquence ne valoit pas les lois qu'ils vouloient nous don ner. Certes, on pourroit bien appliquer l'expression de ce judicieux auteur aux lois de nos législateurs modernes.

Sénateurs, je ne pousserai pas plus loin l'examen de votre charte constitutionnelle ; elle est attentatoire aux droits de nos monarques c'est, d'ailleurs, une vraie boîte à Pandore qui contient tous les germes de troubles. Prince, qui venez vous asseoir sur le trône de vos pères, n'abaissez pas votre sceptre devant des sujets qui veulent limiter votre autorité; n'endossez pas cette robe de Nessus dont on veut vous revêtir; gardezvous de cette coupe empoisonnée qu'on vous présente! Songez que vous êtes appelé au trône par l'amour de vos peuples, par le suffrage unanime de toute la nation, et que vous n'avez pas besoin d'y être appelé par des décrets d'un sénat sans titre et sans existence légale.

Et vous, magnanimes souverains, vos armes victorieuses ont terrassé l'hydre à cent

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