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siècles d'expérience, crût ne pouvoir exister, sans devenir la copie de l'Angleterre. Soyons reconnoissans, soyons unis par les liens d'une généreuse hospitalité. Rien de plus juste, ni de plus noble, c'est le vœu de notre Roi; mais que l'aîné des peuples chrétiens ne se rende point l'imitateur d'une nation dont les mœurs, dont le caractère, dont les dogmes ne sont pas les nôtres.

Ces pernicieuses admirations pour les contrées étrangères avoient détruit en France l'esprit de patrie. Dès le milieu du siècle dernier, la monarchie se corrompoit par le mélange des opinions que les philosophes y colportoient de tous les coins de l'Univers; et celui de tant de nations, confondues et comme entassées pêle-mêle dans son sein, par de folles conquêtes, n'avoit fait que mettre la désolation dans ce cahos. Les mœurs, les coutumes, les lois, le langage, tout devenoit étranger, et l'on étoit réduit à chercher les Français au sein de la France. A quel peuple, j'ose le demander, appartenoient les auteurs de la dernière constitution, de ce pacte inouï où l'intérêt privé dicta des lois à l'intérêt social, où l'égoïsme, hardi pour la première fois dans sa bassesse,

et confiant à l'Univers le secret de sa cupidité, osa lui révéler toute la profondeur de son mépris pour les hommes ? Est-ce dans la patrie des vertus généreuses, des sacrifices héroïques, des bienséances délicates qu'un ouvrage de ce caractère a pris naissance? Quel Français n'eût rougi de présenter un pareil code à la haute raison d'un Roi plein de lumières et de grandeur d'ame?

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Ces pensées affligent, je le sais; mais il faut, pour l'instruction des hommes, creuser ce fond d'ignominie, et que ce siècle orgueilleux se voie enfin tel qu'il est. Soyonsnous à nous-mêmes une sévère postérité, et recueillons les faits, le livre de l'histoire à la main que dira l'avenir à la vue de ce monument? Des hommes qui ont proclamé, à la face de l'Univers, la souveraineté du peuple, la liberté et l'égalité, la république impérissable, après que six millions de victimes ont été précipitées au tombeau par ces principes, et lorsque le peuple souverain est réduit à mendier son existence, se consolent de la mort des uns, de la misère des autres, de la douleur de tous, en faisant une constitution où ils se réservent tous les

honneurs, où ils s'attribuent tous les priviléges (1). Admirable changement ! coup du ciel ! des républicains se font ducs et pairs! des ennemis jurés de la royauté, s'environnent de toute la splendeur du trône! Quelle conversion inespérée ! ils ont aboli toute noblesse, et ils consentent à s'asseoir aux premiers rangs de la noblesse ! quelle grâce! ils ont proscrit tous titres, et ils ne dédaignent pas de les porter. Comtes, marquis, barons, princes, s'il le faut, ils se prêtent à tout, ces nouveaux Brutus, avec la plus flexible complaisance. Hommes rares, hommes concilians, qui rejoignent tous les extrêmes immortels héritiers de tous les partis, ou plutôt légataires universels de la révolution, seuls riches dans la publique. indigence, seuls immuables dans le bouleversement général, ils prétendent recueillir à la fois, et la succession de la tyrannie,

(1) L'assemblée nationale déclare, en présence de l'Être-Suprême, qu'il n'y a plus ni noblesse, ni pairie, ni distinctions héréditaires, ni aucun privilége, pour aucune partie de la nation, ni pour aucun individu. (Constitution de 89.)

et les bienfaits de l'autorité légitime (1). Dirai-je, enfin, leur dernier titre à toutes les faveurs royales? non, une main toute-puissante et adorée me ferme la bouche : elle voudroit arracher ce triste souvenir de nos annales. Hélas! ce ne sont pas les bourreaux, ce sont les victimes qui pleurent pour l'effacer.

Jene tarirai point la source de ces larmes, mais du moins mêlons-y celles du repentir; et qu'à la vue de tant d'effroyables conséquences, le législateur juge les principes d'où elles sont sorties. Faut-il s'étonner que notre nation, encore saisie d'horreur, recule vers les siècles de son antique prospérité, pour y chercher un asile entre le berceau et la tombe

(1) L'auteur se propose de donner au public un traité sur les lois des Visigoths, avec un commentaire sur les Prolégomènes, où l'on trouve cette belle sentence: «Que le législateur ne paroisse jamais avoir en » vue son intérêt privé, mais l'utilité commune de tous » les citoyens! » Appareat eum, qui legislator existit, nullo privato commodo, sed omnium civium utilitati communimentum, præsidiumque opportunæ legis inducere. (Leges Visigoth. Cod. Lindenbr., in-fol., pag. 7.) Vraiment ces Visigoths étoient d'honnêtes

gens.

de ses ancêtres? Elle implore son Roi comme un libérateur, et ce qu'elle redemande en lui, ah! ce n'est pas la bonté, vertu si naturelle au sang des Bourbons, c'est l'attribut de la puissance, c'est la force protectrice de la société, c'est le sceptre enfin de Henri IV et de Saint-Louis, et non pas ce frêle roseau dont les législateurs de 89 avoient armé la majesté royale, pour en faire le jouet du peuple souverain.

« Il faut, dit le sénat, que le peuple soit » libre, afin que le Roi soit puissant. » Retournez cette idée, et vous en ferez la pensée la plus vraie, la plus forte, la plus instructive: « Il faut que le Roi soit puissant, afin » que le peuple soit libre. »

J'ose croire qu'il est un juste tempérament pour unir ces deux choses autrefois incompatibles, comme parle Tacite : Res olim dissociabiles, principatum et libertatem. Ce secret est dans nos ruines; et c'est pour le découvrir à la raison de notre âge, que je vais rechercher les élémens du pouvoir public et de la représentation nationale, questions fondamentales dans toutes nos constitutions. Je prendrai mes principes dans les lois les plus anciennes et les plus inviolables de la monar

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