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décider par lui-même ni de la vie, ni de la liberté, ni de la fortune du moindre citoyen. C'étoit la seconde loi fondamentale du royaume, même avant Clovis. Et ce seroit en vain qu'on lui opposeroit quelques abus d'autorité, quelques actes de rigueur et d'injustice personnelle, rares exemples de foiblesse dans un si long intervalle. Les passions de l'homme ne prouvent rien contre les maximes établies, et la constitution demeuroit inébranlable au milieu de ces écarts passa

gers.

Le Roi étoit gravé sur les sceaux de l'Etat avec le sceptre, la main de justice, et tous les attributs de la puissance : c'étoit la marque constante de l'unité de pouvoir. Mais cette main souveraine, toute-puissante pour verser des grâces, ne pouvoit porter aucun coup au plus foible de ses sujets car c'étoit une maxime de notre droit public, que les Rois ne faisoient mourir personne. En un mot, l'abrégé, et comme la substance de la doctrine monarchique, c'est que le Roi peut tout avec les lois, et rien sans elles. Cette noble impuissance est l'image de celle de Dieu, qui ne peut rien contre la justice. Ses lois sont des règles inviolables pour lui

comme pour nous car Dieu lui-même a besoin d'avoir raison, dit excellemment Bossuet.

C'est ainsi que la plus haute liberté se trouvoit dans un parfait concert avec la puissance souveraine, et bien loin d'être irréconciliables, on ne pouvoit détruire l'une sans porter à l'autre un coup mortel. Dans leur ancienne harmonie, tout rappeloit aux hommes l'idée d'un pouvoir tutélaire et paternel, et l'Etat n'a cessé d'être une famille qu'en perdant le monarque qui en étoit le père.

Les législateurs modernes furent bien mal inspirés de vouloir remonter à l'origine du pouvoir, et de consulter la philosophie dans une question qu'elle ne pouvoit résoudre. En établissant la souveraineté populaire, c'étoit peu de contredire le bon sens, ils étoient accoutumés à ce genre de succès; mais ils se contredisoient euxmêmes et d'une manière qui prouvoit une grande foiblesse d'esprit une ou grande force de passion. Car reconnoître à la fois le Roi comme le chef de l'Etat, et le peuple comme squverain, est une aussi grande absurdité que si l'on disoit que le pouvoir paternel

réside dans le père, et que la souveraineté de la famille appartient aux enfans Je ne sais si l'extravagance humaine est jamais allée plus loin; mais il est sûr qu'ils avoient raison d'appeler cela du génie moderne. L'antiquité n'a rien connu de semblable.

Le monde chrétien sait, depuis deux mille ans, que tout pouvoir vient de Dieu : Omnis potestas à Deo. C'est un axiome de droit divin, et l'un des fondemens de la raison humaine. «Dieu, dit Leibnitz, est le Dieu de l'ordre, et c'est une nécessité que celui qui a institué l'ordre social ait aussi créé le moyen de le soutenir. Or, ce moyen est le pouvoir public; car toute société sans pouvoir est une société sans ordre; vérité historique, vérité générale et sans exception. »

Dieu confie le pouvoir à qui il lui plaît, et ne donne point d'autre gage de sa durée que sa conformité à son principe. Il est d'autant plus fort, qu'il se rapproche davantage de sa source, qu'il imite plus fidèlement l'unité et la perpétuité de son modèle; enfin, qu'il est plus sage, plus vigilant et mieux réglé dans ses conseils. La plus simple expression de cette vérité se trouvoit à la tête de toutes les lois, de toutes les ordonnances, de tous les

actes du pouvoir monarchique. N.,par la grâce de Dieu, Roi de France, etc., ce peu de mots disoit tout à qui savoit penser. Ceux qui imaginèrent d'y ajouter, et par la loi constitutionnelle, durent s'applaudir d'avoir fait marcher de front l'erreur et la vérité. Ils sembloient dire à Dieu : «Votre grâce ne » suffit pas; il y faut encore nos chartes, et toujours notre raison. »>

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Comme ce roi de Portugal, qui auroit, disoit-il, donné d'excellens conseils au Créateur, s'il eût voulu l'écouter.

C'est dommage, Garo, que tu n'es pas entré
Au conseil de celui que prêche ton curé.

Autre chose est de régner selon la loi de l'Etat, ou de régner par elle. Le premier est le devoir du souverain; il suit en cela l'exemple de Dieu même. Le second est une absurdité palpable dans le système des lois populaires; car il s'ensuivroit qu'une pareille loi confère le pouvoir, ou plutôt il se trouveroit que c'est celui qui l'a faite qui seroit au-dessus du pouvoir même. Ainsi, J. J. Rousseau, qui a fait une constitution pour la Pologne, si elle eût été acceptée, se seroit trouvé le créateur du roi de Pologne.

Cette erreur, toute grossière qu'elle paroît au premier coup d'œil, n'est pourtant que l'expression incomplète d'une grande et solennelle vérité : car la loi, telle qu'il la faut confaut concevoir dans sa source, est l'émanation de la volonté divine; et, dans ce sens, on peut dire avec juste raison que les rois règnent par elle. Mais c'est précisément cette vérité qui se trouve toute entière dans les termes consacrés de l'ancienne monarchie, et avec une telle profondeur d'expression, qu'elle énonce tout ensemble et la loi générale d'où dérive la souverainété, et la grâce particulière qui choisit le souverain.

pou

Combien cette doctrine de la monarchie est élevée au-dessus de ces foibles idées d'une raison étroite! Qu'elle nous montre le voir du prince et l'obéissance du sujet sous un jour plus noble et plus convenable à la dignité de la nature humaine ! Les partisans de la souveraineté du peuple se font les esclaves de l'homme, puisqu'ils trouvent dans la volonté populaire la règle de leur volonté. Ou plutôt n'est-ce pas ici un autre secret de cette jalousie du pouvoir, de cet orgueil philosophique, le plus profond et le plus ambitieux de tous, que le rêve d'une souverai

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