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nécessaire à la formation des lois. De là, les mallus de la loi Salique, les Champs de Mars sous la première race, les Champs de Mai sous la seconde, les Cours plénières, les Placités ou Etats-Généraux, et enfin le Parlement, où se conservoit l'esprit de l'antiquité, et la forme même en abrégé de ces anciennes institutions. Ce conseil, ou ce corps national, soit réuni, soit divisé en plusieurs chambres, exerce les fonctions législatives, mais il n'a pas le pouvoir législatif; de même que les juges exercent les fonctions judiciaires, sans avoir pour cela en eux-mêmes le pouvoir judiciaire; car ils rendent la justice au nom du souverain qui leur en commet l'autorité.

Le Roi n'est donc point la tierce-partie du corps législatif, comme l'insinuent encore aujourd'hui des hommes qui ne se lassent point d'errer depuis vingt-cinq ans ; et il n'est point d'absurdité à laquelle la vraie monarchie répugne plus fortement par tout l'ensemble de ses dogmes et de ses lois, que l'idée d'un pouvoir divisé contre lui-même.

Le Roi possède seul la plénitude du pouvoir souverain, mais dans un tel éloignement du despotisme et de l'arbitraire, qu'il ne peut

décider par lui-même ni de la vie, ni de la liberté, ni de la fortune du moindre citoyen. C'étoit la seconde loi fondamentale du royaume, même avant Clovis. Et ce seroit en vain qu'on lui opposeroit quelques abus d'autorité, quelques actes de rigueur et d'injustice personnelle, rares exemples de foiblesse dans un si long intervalle. Les passions de l'homme ne prouvent rien contre les maximes établies, et la constitution demeuroit inébranlable au milieu de ces écarts passa

gers.

Le Roi étoit gravé sur les sceaux de l'Etat avec le sceptre, la main de justice, et tous les attributs de la puissance : c'étoit la marque constante de l'unité de pouvoir. Mais cette main souveraine, toute-puissante pour verser des grâces, ne pouvoit porter aucun coup au plus foible de ses sujets : car c'étoit une maxime de notre droit public, que les Rois ne faisoient mourir personne. En un mot, l'abrégé, et comme la substance de la doctrine monarchique, c'est que le Roi peut tout avec les lois, et rien sans elles. Cette noble impuissance est l'image de celle de Dieu, qui ne peut rien contre la justice. Ses lois sont des règles inviolables pour lui

d'impuissance: il faut qu'il retourne à l'antiquité, et que sa fière raison apprenne enfin à son école ce secret d'immortalité dont elle animoit ses ouvrages.

Je sens toute la force de ce préjugé; mais j'en connois les justes bornes. Je suis aussi loin de mépriser tout ce qui paroît nouveau, que d'estimer tout ce qui est ancien. Il n'est que la vérité qui soit à la fois ancienne et respectable, et l'erreur la plus commune de la raison moderne est de croire que ce qu'elle dit de vrai, soit quelque chose de nouveau.

Je prends donc la question dans les termes même posés par le Roi ; et je ferai voir qu'un corps législatifen deux parties, adopté comme base du nouvel ordre politique, n'est qu'une forme plus développée d'une institution fondamentale de la monarchie, dont le principe est toujours demeuré en vigueur. Il n'y a pas jusqu'au titre de sénateur qui n'ait son fondement dans notre histoire : ce titre étoit considérable à la cour des premiers rois de France. On le conféroit à des hommes de la plus éminente dignité, comme on le voit par l'exemple de saint Sulpice, archevêque de Bourges, que Grégoire de Tours appelle un des premiers sénateurs de France. Vir valdè

nobilis et de primis senatoribus Galliarum. (Lib. vi, n.o 39.) Tous les membres de ce sénat exerçoient des fonctions législatives et judiciaires, soit dans les provinces, soit à la cour même du Roi. On les nommoit, dans la langue du temps, viri sagi et senatores, et leur président avoit le titre de premier sénateur de France.

La dignité de leur caractère répondoit à celle de leurs charges : les rois, descendans de Clovis, presque toujours en guerre ou en défiance, les prenoient pour arbitres de leurs intérêts dans les plus délicates rivalités, et se donnoient mutuellement en otages les enfans des premiers sénateurs. (Lib. xxxi, n°. 5o.)

De tels rapprochemens feront sentir à tous les esprits justes, de quelle importance il est de donner aux institutions nouvelles un caractère antique et national. Nous ne sommes point un peuple récemment sorti des forêts, étranger aux lois, aux coutumes, à la mémoire des temps passés ; ceux qui ont fait violence à toutes ces choses, n'ont servi qu'à prouver la force de leur empire. C'est assez d'avoir lutté vingt-cinq ans contre la raison rendons-nous à l'expérience, ses

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leçons coûtent trop

cher pour n'en pas profiter ne nous débattons pas, comme des enfans opiniâtres, sous la main paternelle qui s'empresse à nous relever.

Il faut sans doute se plier au temps avec cette juste mesure de condescendance qui ne fait rien perdre à la raison de sa légitime autorité; mais s'il est un secret pour concilier tous les esprits, dans ce siècle de confusion, c'est, j'ose le dire, d'asseoir la constitution nouvelle sur les anciens fondemens de la monarchie. C'est l'unique moyen de donner à sa jeunesse un air d'antiquité qui lui attire le respect. En la réconciliant avec tous les siècles, on lui ôtera ce double et funeste caractère de la nouveauté et de l'imitation.

Ceux qui prétendent nous modeler sur le gouvernement anglais, semblent ne voir dans la législation que des formes, et ne donner aucune attention aux principes. Deux chambres législatives ne constituent point un gouvernement, et la vraie monarchie repose sur des fondemens d'une toute autre étendue ils ne sentent pas combien il seroit honteux que la France, ce pays si riche en doctrine et en exemples, après quinze

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