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et les mêmes lois fondamentales. Dans l'un comme dans l'autre, le Roi, source de l'autorité législative, (car on ne connoissoit pas la division des pouvoirs), ouvroit la délibération, soit par lui-même, soit par son chancelier, qui exposoit à l'assemblée les argumens et les motifs du prince, laissant de côté le caractère du pouvoir qui commande, pour prendre celui de la raison qui persuade. Auctoritate suadendi, magis quàm jubendi potestate, dit Tacite, en parlant de nos ancêtres. Enfin, dans l'un comme dans l'autre, la liberté publique étoit assurée par celle des suffrages de la nation ou de ses représentans, puisqu'à défaut de leur con-. sentement, nulle ordonnance, nul édit, nul arrêt ne pouvoit avoir force de loi dans le royaume. C'étoit une des maximes les plus constantes et les plus révérées de la monarchie.

Qu'y a-t-il de mieux prouvé par toute la suite des ordonnances de nos rois? La plus ancienne que nous possédions, et qui fut dressée sous Clotaire, frappe de nullité toute sentence qui s'écarte de la forme instituée par la loi, ou qui dépasse les bornes de l'au'torité, quæ modum legis excedit : elle prévoit même le cas où, par surprise, on auroit

obtenu du monarque quelque mesure contraire au principe des lois; et, dans cette supposition, le Roi la déclare sans valeur et sans effet, non valebit; non-seulement il autorise les magistrats à n'y point obtempérer, mais il leur enjoint expressément de n'y avoir aucun égard. Si impetrata fuerit, vel obtenta, à judicibus repudiata, inanis habeatur et vacua. (Capitul. ). Quand on voit ces délicatesses du pouvoir, et ce respect pour la liberté, ne semble-t-il pas que le prince se mette à la place du moindre de ses sujets, et qu'il s'alarme pour lui des abus inséparables de l'autorité ? Ces règles d'équité et de sagesse, maintenues sous les règnes suivans, découloient comme naturellement de ces maximes toujours présentes, que l'autorité ne va pas sans la loi (1); que le roi et la loi n'ont qu'un pouvoir, et pour parler le langage naïf de ces anciens temps, qui n'en prouye que mieux la force d'une doctrine également royale et populaire, disons comme nos aïeux: si veut le roi, si veut la loi; et

(1) Ut auctoritates cum lege competentes in omnibus habeant stabilem firmitatem. (Capitul. ) C'est la raison de toutes les ordonnances,

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rex et lex eamdem imperandi excipiant potestatem. (Capitul.)

Je ne connois rien, dans aucune législation, qui approche de cette pensée d'un de nos capitulaires, où le Roi, parlant au nom de la nation assemblée, dit ces paroles mémorables: << Si nous ne servons tous de con>> cert les lois et la justice, nous ne serons, » à la vue de Dieu, ni le Roi, père de la patrie, ni les évêques, ministres du salut, >> ni le peuple chrétien, dignes du titre que >> nous portons (1),

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Certes, auprès d'une si majestueuse doctrine, la sagesse des Solon et des Numa n'est qu'un enfant au berceau : tout étoit plein de cet esprit; et quiconque s'en éloignoit par passion, y pouvoit être ramené par l'autorité des principes toujours constans et toujours inaltérables. Les rois les plus fiers fléchissoient noblement sous leur empire; et jamais les magistrats ne leur rappeloient en vain

·(1) Nisi communiter certaverimus ut in omnibus justitia conservetur, nec Rex, pater patriæ, nec episcopi, propitiatores populi ad salutem æternam, nec qui christiani dicuntur, hoc quod humano ore dicimur, in divinis oculis esse valemus. (Capitul.)

la foi de leur serment. La forme seule de cet acte religieux avoit pu varier dans le cours des âges; le fond subsistoit toujours, et ce qu'ils promettoient à la face du ciel, en recevant la couronne de Dieu même, par les mains du sacré pontife, ils le promettoient comme héritiers des lois et des statuts de la monarchie, inviolable dépôt, que les rois leurs prédécesseurs leur avoient transmis avec le sceptre, et qu'ils juroient de conserver toujours de concert avec le conseil général de leur féaux, afin que tous les siècles fussent unis par les liens d'une croyance uniforme et d'une doctrine perpétuelle.

Tel étoit l'esprit de l'ancienne formule, selon nos vieux capitulaires (1); et il falloit bien que ces principes eussent été regardés dans tous les temps comme une loi fondamentale de l'Etat, consacrée doublement par un long usage et par la vénération des

(1) Polliceor... me servaturum leges et statuta populo, qui mihi ad regendum misericordia Dei committitur, , per commune consilium fidelium nostrorum, secundùm quod prædecessores mei, imperatores et reges gestis inseruerunt, et omninò inviolabiliter tenenda et observanda decreverunt. (Capitul, tom. I.)

hommes, pour faire plier la volonté d'un prince aussi despotique par caractère, que l'étoit Louis XI. Frappé de l'intrépide opposition des magistrats à l'un de ses édits, et forcé d'en reconnoître la légitimité, par les maximes mêmes de notre constitution, ce prince n'en conçut que plus d'estime pour ces généreux défenseurs de la monarchie.

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Il leur jura qu'il leur seroit bon roi, et >> que de sa vie il ne les contraindroit à faire >> chose contre leur conscience. » Ce même Louis XI, dans le Rosier des guerres, où il donne de si belles instructions à son fils Charles VIII, établit par une foule de maximes toutes royales, que le monarque ne peut régner que selon les lois, qu'un roi est bon et noble, qui se garde d'en rompre le cours, entendant que la loi ne donne point l'autorité, mais le caractère de la puissance divine au prince qui en respecte les règles. Ainsi le seul tyran peut-être qu'ait eu la France dans cette longue succession de bons rois, ne l'étoit pas par principe, mais par violence et par passion.

On ne trouve nulle part des idées plus nobles et plus grandes sur cette matière, que dans la bouche de François I.er, de ce roi

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