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En effet, si quelque vérité peut s'appuyer sur ce concours de raisons et d'autorités que l'histoire a fait passer sous nos yeux, rien n'est plus solidement établi, sans doute, que le droit national de donner son avis et son suffrage dans les matières proposées. L'exercice de ce droit, aussi ancien que Clovis par les monumens de nos lois, et plus ancien encore par les traditions, étoit le motif même de ces grandes assemblées, de ces conseils généraux de la nation, dont j'ai rappelé l'origine; et loin de trouver aucune loi qui le puisse combattre, il est lui-même un des élémens nécessaires et constitutifs de la loi. Car il faut remarquer que si, dans la succession des temps, ces grandes assemblées législatives ont été réduites à un plus petit nombre d'assistans, c'est que la nation plus nombreuse et plus étendue ne pouvoit se rassembler en un même lieu pour y délibérer en commun. Ce fut donc ce qui introduisit la voie de la représentation que nous avons vue subsister, avec plus ou moins de latitude; mais d'une manière inaltérable, dans tous les âges de la monarchie française. Ainsi la forme fut resserrée, mais sans rien perdre

du fond. Il est trop évident que le corps de

la nation ne pouvoit souffrir aucune déchéance dans ses droits, par la raison d'une impuissance qui attestoit sa grandeur.

Cette vérité fut si constante et tout à la fois si respectée, que même aux approches d'une révolution qui devoit tout méconnoître, elle fit sentir unanimement aux esprits de tous les ordres, que les représentans d'un peuple ne pouvoient être que ses mandataires, chargés d'exprimer, non pas la volonté, comme le disoient les révolutionnaires, mais le suffrage et le vœu de leurs commettans; en sorte que les premiers législateurs qui attaquèrent cette doctrine des siècles, et qui se crurent les hérauts de la liberté, en secouant le joug de leurs mandats, ne firent réellement qu'attenter au droit le plus essentiellement libre et national.

sage

C'est sur la notion la plus exacte de ce droit primitif, que se fonde le prodigieux ascendant de l'opinion et de l'esprit public, la que autorité de nos Rois a souvent consulté avec fruit, et toujours respecté. Ils y voyoient l'expression de nos suffrages et de nos sentimens, selon l'antique usage de la monarchie, mais une expression plus libre, plus sincère, plus filiale que celle des ma

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gistrats, trop voisins peut-être du pouvoir, pour ne pas se plaire quelquefois à le contredire. Et, d'ailleurs, qui'a jamais pensé que toute la sagesse fût tellement renfermée dans ce petit nombre de têtes, choisies pour représenter les autres, qu'aucun citoyen exclus de ce choix ne pût ouvrir un avis utile, ou proposer quelque vérité salutaire? Il falloit donc qu'une voie demeurât toujours ouverte à cet esprit de raison et de conseil, autorisé par le droit ancien. Or, la liberté de la presse est devenue, par le progrès des arts, nonseulement l'organe le moins équivoque de cet esprit public, mais même l'organe nécessaire d'une nation si populeuse, répandue sur un vaste territoire. Elle est la juste compensation de ce droit de suffrages, que nous avons vu sagement restreint dans sa forme, jamais aliéné de son principe : et cette même liberté, rappelée à la source du droit commun, demeure inattaquable dans cet enchainement de conséquences qui nous y a conduits.

Mais, à présent, quelle sera la juste mesure de ce droit, et par quelles règles sûres pourra-t-on réduire l'impétueuse licence des écrits à ce caractère de liberté noble et ju

dicieuse, qui respire dans tous nos monumens? Seconde question, également facile à résoudre par la même doctrine. En effet, si l'on s'est bien pénétré de la force et de la lumière de ce principe, que la raison de l'ordre est éminemment la raison de la société, on arrivera sans peine à ce point fixe que nous cherchons au-dessus de cette mer orageuse des passions humaines.

Eh! qu'est-il besoin de remuer ce qui est établi, d'agiter ce qui est fixe et constant? Législateurs d'un jour, ce sont vos nouveautés qui ébranlent les colonnes de l'ordre social. Prenez l'antiquité avec ses lois éternelles, et toute incertitude s'évanouit.

Et, en effet, la mesure de la liberté d'écrire est déterminée depuis quatorze cents ans, par la mesure même de la liberté de parler, qui faisoit l'essence de notre constitution primitive, à l'époque des premiers mallus de la loi salique. Que pouvoit dire un citoyen dans ces assemblées ? L'antiquité nous répondra : tout, sur les questions proposées et non fixées par les lois de l'Etat, mais rien contre ces mêmes lois. Voilà notre mesure et notre règle. Ainsi le vouloit la raison de l'ordre ; ainsi le veut-elle encore;

et nul homme, quelle que soit son autorité, ne peut en appeler de cette raison générale à sa raison particulière.

Héritage des siècles, les lois de l'Etat passent des pères aux enfans; elles sont la propriété commune et sacrée. Les attaquer, sous prétexte de liberté, c'est attaquer la liberté même.

Ces philosophes du siècle dernier, qui se croyoient des esprits libres, parce qu'ils se jouoient de tous les principes reçus, étoient donc les plus grands ennemis de la liberté publique ; et ce fut une bien fatale erreur de quelques ministres d'Etat, trop peu profonds dans la doctrine monarchique, de tolérer, de favoriser même, comme un légitime essor de l'esprit humain, cette audace présomptueuse qui remettoit en question toutes les lois de la société. « C'est un jeu sûr pour tout perdre,» dit Pascal.

Rien ne put se soutenir: vérités politiques, dogmes religieux, maximes héréditaires usages consacrés, mœurs, lois, lois, pudeur, conscience, tout fut en proie à ce vaste incendie de l'erreur; et, l'abîme une fois ouvert, il fallut descendre du sommet de la perfection sociale, jusqu'aux derniers degrés

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