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» Ce n'est pas non plus d'elle, continua le cou» rageux général, ce n'est pas même de la garde, » c'est de l'armée toute entière et de chacun des » corps que je veux parler. Tant de généraux » ici présens vous le demandent avec moi. Off»ciers et soldats, tous et partout n'ont-ils pas » rivalisé de dévouement pour vous ? Tous ne » sont-ils pas tombés pour votre cause avec la » même obéissance? » Buonaparte se tut, pouvoit rien ajouter à son injuste accusation : il n'étoit pas capable de la modifier.

il ne

Il attendit plusieurs jours l'impératrice, et envoya diverses fois à sa rencontre. Trompé dans cette vaine attente, ainsi que dans toutes les espérances qu'il avoit pu concevoir, il fallut enfin quitter le palais de Fontainebleau, et se mettre en route pour l'île d'Elbe.

DÉPART

DE BUONAPARTE

POUR L'ILE D'ELBE.

BUONAPARTE partit de Fontainebleau le mer

credi 20 avril, à onze heures du matin, suivi de quatorze voitures. Son escorte employa soixante chevaux de poste. Les quatre commissaires des puissances alliées qui l'accompagnoient étoient M. le comte de Schouwalow, pour la Russie; le général Koller, pour l'Autriche; le colonel Campbell, pour l'Angleterre; et le comte de Valdbourg-Truchsels, pour la Prusse.

Quatre officiers de sa maison faisoient partie de sa suite.

Voici les paroles qu'il adressa au moment

de son départ aux troupes de la vieille garde qui étoient restées près de lui:

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Officiers, sous-officiers et soldats de la vieille garde, je vous fais mes adieux.

>>

Depuis vingt ans que je vous commande, je suis content de vous, et je vous ai toujours trouvés sur le chemin de la gloire.

» Les puissances alliées ont armé toute l'Europe contre moi : une partie de l'armée a trahi ses devoirs, et la France a cédé à des intérêts particuliers.

» Avec vous et les braves qui me sont restés fidèles, j'aurois pu entretenir la guerre civile pendant trois ans ; mais la France eût été malheureuse ce qui étoit contraire au but que je m'étois proposé. Je devois donc sacrifier mon intérêt personnel à son bonheur: ce que j'ai fait.

>>

Soyez fidèles au nouveau souverain que la

France s'est choisi; n'abandonnez point cette chère patrie trop long-temps malheureuse. Ne plaignez point mon sort; je serai toujours heureux quand je saurai que vous l'êtes. J'aurois pu mourir: rien ne m'étoit plus facile; mais non, je suivrai toujours le chemin de l'honneur; j'écrirai ce que nous avons fait.

» Je ne puis vous embrasser tous, mais je vais embrasser votre chef. Venez, général (il

embrasse le général Petit), qu'on m'apporte l'aigle, et en l'embrassant il 'dit: Cher aigle, que ces baisers retentissent dans le cœur de tous les braves! » Adieu, mes enfans! adieu, mes braves! entourez-moi encore une fois (1).

>>

· Alors l'état-major, toujours accompagné des quatre commissaires, forma un cercle autour de lui.

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(1) Qu'on suppose, en effet, à la place de Buonaparte un général qui eût été le père autant que le chef de ses soldats; qui, accablé par le nombre, et non renversé par sa propre folie, harangue, pour la dernière fois en les quittant, ses vieux compagnons d'armes avec lesquels il a partagé, pendant vingt ans les travaux de la guerre, et les lauriers de la victoire dans cette supposition on aura des adieux touchans', parce qu'ils exprimeront des sentimens vrais, et qu'on y trouvera le langage du cœur ; mais remettez à la place de ce chef un homme qui, après avoir sacrifié des millions de victimes à sa cruelle ambition, n'a pas su mourir en soldat (selon l'expression d'un de nos maréchaux ); qui, dans l'espace de vingt ans a renouvelé vingt fois celte vieille garde, naguère abandonnée tout entière dans les déserts de la Russie, et à laquelle son chef adresse ses adieux comme s'il n'en avoit pas perdu un seul homme, on le demande, que signifient alors les premières paroles de ces adieux? Quel sens raisonnable ont-elles pu offrir à l'esprit de ces braves qui en ont senti d'abord tout le faux ?

Ce seroit faire injure au lecteur que de multiplier les remarques sur la suite de cette harangue, chef-d'œuvre de dissimulation, digne de toutes celles qu'avoit prononcées sur le grand théâtre d'où ses impostures et sa folie l'ont renversé, celui qui, après avoir ébloui le monde, espère surprendre encore le suffrage d'un petit nombre de spectateurs, et débite son dernier mensonge sur dernier tréteau.

son

Buonaparte monta ensuite en voiture. Dans ce moment il ne put cacher son trouble, et il versa quelques larmes. En partant, il demanda Constant, son premier valet de chambre; mais ce domestique se trouvoit malade, et il ne put partir avec son maître. Un domestique bien plus ancien, le fameux mameluck Roustan, l'avoit abandonné depuis plusieurs jours, retenu, disoit-il, disoit-il, auprès de sa femme, qui ne vouloit pas s'expatrier (1).

(1) La retraite de Roustan a été la matière de jugemens opposés ; les uns la regardent comme un acte d'ingratitude, et les antres comme un effet de l'indignation avec laquelle le mameluck avoit vu son maître survivre lâchement à sa déchéance.

Suivant les premiers, Roustan, après avoir promis à Buonaparte de l'accompagner à l'île d'Elbe, lui avoit demandé de l'argent pour aller régler quelques affaires. Arrivé à Paris, avec une somme considérable, il y auroit été retenu par sa femme, et auroit écrit une lettre d'excuse à Buonaparte.

Cette version devenue publique a donné lieu à la réclamation suivante, insérée dans la Gazette de France du 29 avril :

Monsieur.

<< On répand depuis quelque temps les bruits les plus désavantageux sur ma personne; on va jusqu'à dire que c'est après avoir reçu une somme considérable de Buonaparte, mon maître, que je suis parti de Fontainebleau.

» Je me dois à moi-même, de déclarer ici la vérité, et de me disculper d'une action qui ne seroit pas d'un brave homme, ce dont je suis incapable. Depuis seize ans que je servois Napoléon, ma conduite a toujours été irréprochable, et devoit seule prévenir toute accusation injurieuse.

» La vérité est qu'après m'être comporté en homme d'honneur à

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