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l'attendre, mais inutilement. Elles étoient rentrées dans leurs quartiers lorsqu'il passa. On ne connut son passage à Lyon que le lendemain. On sut qu'il avoit fait acheter toutes les brochures qui avoient paru depuis le 1er avril. Celui qui fut chargé de cette emplette avoit reçu un ordre si positif, que, ne pouvant trouver la collection complète du journal de Lyon, il exigea du libraire un certificat pour attester ce fait. Le montant des brochures s'éleva à 1100 fr., en y comprenant divers livres de religion, notamment une belle Bible de Sacy, en trente-deux volumes et un Herbier: double acquisition, qui aura eu pour Buonaparte l'attrait de la nouveauté. Toutefois on se le représente difficilement livré à l'étude de la religion et à celle de la nature, et cherchant, dans deux livres jusqu'alors si absolument fermés pour lui, des remèdes à sa chute, ou des distractions capables de la lui faire oublier.

Le dimanche matin 24, Buonaparte arriva au Peage de Roussillon, petit bourg situé sur les bords du Rhône, où il s'arrêta pour déjeûner. La foule s'étant rassemblée devant l'auberge où il étoit descendu, l'ex-empereur se mit à la fenêtre, et harangua la populace. Il déclara qu'il descendoit du trône sans regret, puisqu'il ne pouvoit plus faire le bonheur des Français; que

la félicité de ses peuples avoit toujours été l'objet de ses vœux les plus ardens (il faut convenir qu'il les y conduisoit par des chemins aussi longs que difficiles); qu'il avoit conçu de grands projets pour la félicité de la France.... (en allant chercher les Russes à Moscou), mais que la trahison de ses ennemis en avoit empêché l'exécution. Cette scène de tréteaux, dont le ridicule effaçoit l'impudence, produisit son effet. Elle parut attendrissante à la canaille qui en étoit témoin, et des cris de Vive l'empereur! vinrent consoler le héros fugitif. Il lui étoit réservé de cruelles expiations. Mais n'anticipons pas sur les

événemens.

Après cette scène, Buonaparte fit venir le maire, et le questionna fort sur l'esprit du département. C'étoit une belle occasion qu'avoit ce maire de lui dire qu'il avoit été écrasé de réquisitions pour nourrir l'armée du Midi, dont le dénûment étoit complet. Buonaparte demanda des nouvelles de cette armée, s'informant avec soin de quelle manière s'étoient battus le maréchal Augereau et le général Marchand. Il paroît qu'il étoit à cet égard dans une ignorance complète, ses communications avec cette armée ayant été souvent interrompues pendant la campagne, et étant entièrement coupées depuis le 20

mars, époque de la prise de Lyon, qui avoit en lieu après plusieurs combats opiniâtres, livrés

hors de la ville.

Le maréchal Augereau avoit fait sa retraite sur Valence, mettant entre lui et les Autrichiens la rivière de l'Isère, dont le beau pont fut brûlé par un effet de la prudence excessive du général Pannetier.

Il y avoit un mois que le maréchal Augereau étoit à Valence lorsqu'il fut instruit, le samedi 23, du prochain passage de Napoléon.

Le dimanche 24, à sept heures du matin, le maréchal fit battre la générale, et après avoir rassemblé ses troupes sur l'esplanade, il les fit transporter sur la rive droite du Rhône : précaution fort sage et même commandée par l'esprit de ce corps, peu éclairé encore sur la cause des événemens, et dont les yeux n'étoient pas dessillés sur le compte de Napoléon.

Il ne resta à Valence que cent cinquante chasseurs autrichiens arrivés la veille pour protéger le passage de Napoléon.

Ces précautions prises, le maréchal Augereau partit de Valence, à midi, le dimanche 24, et se rendit sur la rive gauche de l'Isère. Comme le passage en étoit interdit depuis la veille, il la trouva encombrée de voitures, de charrettes et

de voyageurs, qui attendoient le moment de passer, et dont l'impatience étoit d'autant plus grande, qu'il n'y avoit là aucun abri contre les injures de l'air.

Il y avoit seulement deux petites baraques, dont l'une étoit occupée par quelques-uns des commissaires, qui étoient déjà passés, et l'autre étoit réservée pour Buonaparte, qui ne tarda pas à passer. Ce fut là qu'eut lieu son entrevue avec le maréchal Augereau. « Tu m'as trahi, lui dit l'ex-empereur en l'abordant, j'ai ta proclamation dans la poche. Sire, dit le maréchal, c'est vous qui avez trahi la France et l'armée, en les sacrifiant l'une et l'autre à une ambition insensée. Tu vas aussi servir de nouveaux maîtres.-Je n'ai pas à vous en rendre compte.-Tu n'as pas d'âme.

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C'est toi qui n'en as pas; vas-l'en, répondit' le maréchal vivement indigné, et d'un ton qui termina l'entretien et l'entrevue, sans permettre à Buonaparte de répliquer.

Suivant une autre relation, l'entretien ne fut ni si court ni terminé d'une manière si brusque. On assure que l'ex-empereur et le maréchal passèrent trois quarts d'heure ensemble, chemin faisant, et en se promenant depuis l'Isère jusqu'à Valence, où ils se quittèrent. Suivant cette version, Buonaparte n'auroit connu la proclamation

du maréchal qu'à Montelimart, où un soldat la lui auroit remise, en lui en dénonçant l'auteur comme un traître (1).

(1) Voici cette pièce qui est assurément d'un bon Français: Proclamation de S. Exc. le maréchal Augereau à son armée. Soldats!

Le sénat, interprète de la volonté nationale, lassé du joug tyrannique de Napoléon Buonaparte, a prononcé, le 2 avril, sa dechéance et celle de sa famille.

Une nouvelle constitution monarchique, forte et libérale, et un descendant de nos anciens Rois remplacent Buonaparte et son des~ potisme.

Vos grades, vos honneurs et vos dictinctions vous sont assurés. Le corps-législatif, les grands dignitaires, les maréchaux, les généraux et tous les corps de la graude armée, ont adhéré aux décrets du sénat, et Buonaparte lui-même a, par un acte daté de Fontainebleau, le 11 avril, abdiqué pour lui et ses héritiers, les trônes de France et d'Italie.

Soldats, vous êtes déliés de vos sermens; vous l'êtes par la nation en qui réside la souveraineté; vous l'ètes encore, s'il étoit nécessaire, par l'abdication même d'un homme qui, après avoir immolé des millions de victimes à sa cruelle ambition, n'a pas su mourir en soldat.

fils

La nation appelle Louis XVIII sur le trône: né Français, il sera fier de votre gloire, et s'entourera avec orgueil de vos chefs; d'Henri IV, il en aura le cœur : il aimera le soldat et le peuple.

Jurons donc fidelité à Louis XVIII et à la constitution qui nous le présente; arborons la couleur vraiment française qui fait dis paroître tout enb'ème d'une révolution qui est fixée, et bientôt vous trouverez dans la reconnoissance et dans l'admiration de votre Roi et de votre patrie, une juste récompense de vos nobles tra

vaux.

Au quartier-général de Valence, le 16 avril 1814.

Le maréchal AUGEREAU,

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