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BUONAPARTE

A FONTAINEBLEAU.

LA

campagne de 1814 duroit depuis deux mois avec des succès divers. Napoléon avoit arraché les dernières faveurs à la fortune, mais il avoit fait des pertes immenses, et qu'il ne pouvoit plus réparer. Son armée n'étoit pas seulement épuisée par les combats sanglans et continuels qu'elle avoit soutenus ou livrés, mais encore plus par la misère, la faim, la fatigue des marches et des contremarches, où l'entraînoit, avec autant de peine que d'inutilité, un chef qui ne sembloit plus maître ni de ses mouvemens, ni de lui-même.

Cette campagne, commencée à Saint-Dizier par un combat livré le 27 janvier, finit au même lieu, le 26 mars, par un combat livré au corps d'observation que commandoit le genéral Wintzingerode.

Pendant que le maréchal Oudinot poursuivoit se corps dans la direction de Bar-sur-Ornain,

Napoléon prit la route de Doulevant, espérant trouver enfin l'armée du prince de Schwartzenberg dont il cherchoit inutilement la trace depuis quatre jours: ce prince la lui avoit dérobée; son armée, avoit passé l'Aube le 23, et après avoir fait jonction avec celle de Blucher, elle marchoit sur Paris pendant que Napoléon la cherchoit sur la route de Vandoeuvre.

Elle entroit à Meaux le 28 lorsque Napoléon en apprit des nouvelles dans un village situé à trois licues de Doulevant, ce même jour, au moment où il déjeûnoit. Il quitta Doulevant le lendemain 29, et porta son quartier-général à Troyes, où il passa douze heures, attendant sa garde qui ne pouvoit le suivre. Il en partit le 30 à neuf heures du matin, arriva le soir à la même heure à Fontainebleau, et continua sa route vers Essone; c'étoit le jour de la capitulation de Paris. Napoléon en reçut la nouvelle le soir à onze heures, par un général qui venoit le trouver à franc-étrier, et qui le rencontra à la Cour-de-France (1). A cette nouvelle Napoléon resta comme un homme frappé de la foudre; revenu à lui, il dit qu'il auroit mieux aimé qu'on lui eût percé le cœur d'un coup de poignard; il demanda si la garde nationale s'étoit

(1) Lieu de poste entre Essone et Villejuif.

bien battue; sur la réponse que lui fit l'officier qu'elle n'avoit pas tiré un coup de fusil (ce qui étoit d'une fausseté insigne), Ah les lâches! dit Buonaparte, ils me le paieront. Il ajouta qu'il se reprochoit deux grandes fautes: l'une, de n'avoir pas brûlé Berlin, l'autre, de n'avoir pas brûlé Vienne.

Pensoit-il que l'incendie de ces deux capitales eût entraîné celui de Paris: catastrophe qu'il regardoit comme son unique ressource, et la dernière chance de salut qui lui restât, et qu'il s'étoit ménagée de loin?

On peut juger, par là, de quel œil il vit la capitale échapper à la destruction qu'il lui prédisoit depuis deux mois comme la suite de la conquête, et qu'il préparoit en même temps comme la suite inévitable de la résistance qu'il avoit lui-même ordonnée; ne se bornant pas au rôle stérile de prophète, mais assurant par tant d'efforts l'accomplissement de ses prédictions sinistres.

Furieux de la conduite magnanime des monarques alliés, combien plus ne dut-il ne dut-il pas l'être de l'inexécution de l'ordre qu'il avoit donné de faire sauter le magasin à poudre de Grenelle? Ce magasin contenoit deux cent quarante milliers de poudre en grains, cinq millions de cartouches d'infanterie, vingt-cinq mille gargousses à bou

let, trois mille obus chargés, et une grande quantité d'artifices. Ceux qui se ressoúviennent des effets produits en 1794 par l'explosion du magasin de la plaine de Grenelle, où il n'y avoit que huit milliers de poudre, pourront aisément se faire une idée des épouvantables désastres qu'auroit causés l'explosion d'un magasin cent fois plus. considérable. La plus grande partie de la capitale auroit été anéantie de fond en comble: c'étoit là la dernière catastrophe dont Buonaparte vouloit épouvanter le monde. Tout Paris frissonna d'horreur en apprenant ce dessein; il fut raconté de différentes manières; elles obligèrent M. de Lescourt, directeur du magasin, à faire lui-même le récit de ce qui étoit à sa connoissance. Voici sa lettre adressée au rédacteur du Journal des Débats, le 5 avril, et insérée dans le numéro

du 7.

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« J'étois occupé, dans la soirée de l'attaque de Paris, à rassembler fau Champ-de>> Mars les chevaux nécessaires pour l'évacuation » de l'artillerie; je partageois ce soin avec les >> officiers de la direction générale. A neuf heures » du soir environ, un colonel à cheval arrive » près de la grille de Saint-Dominique où j'étois » alors, et demande à parler au directeur de » l'artillerie. Je me présente : Monsieur, me dit

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» il, le magasin à poudre de Grenelle est-il »évacué? Non, lui répondis-je; il ne peut même

» pas l'étre, nous n'avons pour cela ni assez de » temps, ni assez de chevaux. Eh bien, il

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faut le faire sauter sur-le-champ. A ces mots, je pâlis, je me trouble, sans penser que je » n'avois pas à m'inquiéter d'un ordre qui ne » m'étoit point donné par écrit, et qui m'étoit » transmis par un officier que je ne connoissois

»> pas.

» Hésiteriez-vous, Monsieur? me dit-il. Après » un moment de réflexion, je revins à moi, et,

craignant qu'il ne transmît à d'autres le même » ordre, je lui répondis avec un air calme que

j'allois m'en occuper; il disparut. Maitre » de ce secret affreux, 'je ne le confiai à per

» sonne.

>> Je ne fis point fermer les portes du magasin » de Grenelle, comme on l'a dit ; je laissai conti» nuer l'évacuation commencée dans la jour» née.

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J'ajouterai, maintenant, que cet ordre ne » peut m'être venu des bureaux de l'artillerie, » dont tous les officiers me sont connus; que je » savois déjà que le ministre de la guerre et le général chef de division de l'artillerie avoient quitté Paris depuis plusieurs heures, et que

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