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d'instans après; M. le sous préfet s'approcha de la première voiture dans laquelle se trouvoit le général Bertrand avec l'un des commissaires. Ces Messieurs lui manifestèrent leur indignation sur lamanière dont ils avoient été traités en Provence, et leurs craintes pour la suite du voyage. Ils s'informèrent soigneusement avec lui si des mesures avoient été prises à Aix pour protéger leur passage, et le prièrent de ne pas les quitter un instant tant qu'ils seroient dans son arrondissement. M. le sous-préfet se rendit à cette invitation, et suivit le cortège qui arriva aux portes d'Aix à deux heures du matin. Après avoir changé de chevaux, Buonaparte, continuant sa route, passa sous les murs de la ville au milieu des cris répétés de Vive le Roi, que firent entendre les habitans accourus sur les remparts. Ceux des fauxbourgs l'accompagnèrent des mêmes acclamations. Le mistral qui souffloit toujours avec violence et l'obscurité de la nuit le préservèrent d'autres accidens plus fâcheux. Il continua sa route, et sans s'arrêter au relai suivant, il arriva à la limite du département, à une auberge appelée la Grande Pugère; ce fut là qu'il s'arrêta pour déjeûner. Il n'étoit que quatre heures du matin, mais les désagrémens de la route depuis Avignon lui avoient fait négliger de prendre la nourriture dont il avoit besoin.

Le sous-préfet d'Aix avoit ignoré jusque lá si Buonaparte étoit avec les commissaires, ou s'il s'en étoit séparé, et avoit pris le devant, comme les commissaires le disoient. Prêt à retourner à Aix, il alla prendre congé du général Bertrand. Le général le pressa fort de les accompagner encore plus loin. Le sous-préfet lui fit observer. que hors des limites de son département il n'avoit plus aucune autorité. Le général, forcé de se rendre à cette raison, lui proposa de monter avant de partir dans la chambre des commissaires, où tout le monde étoit à déjeûner. Il y avoit dix à douze personnes, Napoléon étoit du nombre; il avoit son costume d'officier autrichien et une casquète sur la tête. Voyant le sous-préfet en habit d'auditeur, il lui dit : « Vous ne m'auriez » pas reconnu sous ce costume? Ce sont ces » Messieurs (en montrant les commissaires) qui » me l'ont fait prendre, le jugeant nécessaire à » ma sûreté. J'aurois pu avoir une escorte de trois » mille hommes que j'ai refusée, préférant de » me confier à la loyauté française. Je n'ai pas eu » à me plaindre de cette confiance depuis Fon»tainebleau jusqu'à Avignon; mais depuis cette » ville jusqu'ici, j'ai été insulté et ai couru bien » des dangers. Les Provençaux se déshonorent. » Depuis que je suis en France, je n'ai pas eu un

» bon bataillon de Provençaux sous mes ordres;

>>

ils ne sont bons que pour crier. Les Gascons » sont fanfarons, mais ils sont braves. » Sur ce propos, un des convives qui étoit sans doute Gascon, tira son jabot, et dit en riant, cela fait plaisir. Buonaparte continuant à s'adresser au sous-préfet, lui dit : « Que fait le préfet (Thi» baudcau)? — Il est parti à la première nouvelle » des changemens survenus à Paris.. » femme? Elle étoit partie plus tôt.

Et sa

Elle

» avoit donc pris le devant? Paie-t-on bien >> les octrois et les droits réunis ? Y a-t-il beau» coup d'Anglais à Marseille ?»- Ici M. le souspréfet raconta à Buonaparte ce qui s'étoit passé naguère dans ce port, et avec quels transports on y avoit accueilli les Anglais. - Buonaparte qui ne prenoit pas grand plaisir à ce récit y mit. fin, en disant au sous-préfet : « Dites à vos Pro>> vençaux que l'empereur est bien mécontent. >> d'eux. » Cet entretien soutenu sur un ton moitié sérieux, moitié plaisant, et auquel se mêloient' quelquefois les convives, eût duré encore; mais le général Bertrand, s'adressant à Napoléon, lui dit : « J'observerai à votre majesté qu'il seroit temps » de partir. Buonaparte jeta sa serviette sur la table, et se leva, en disant : Je suis prêt. Alors, se tournant du côté du sous-préfet, il lui dit :

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Vous me laisserez bien vos gendarmes? Volontiers. Le général Bertrand fit observer que ces gendarmes étant allés chercher l'empereur à la Calade, leurs chevaux devoient être fatigués. Le sous-préfet ajouta qu'ils avoient recruté en route, et qu'ils avoient une brigade de plus. « C'est égal, répondit Napoléon, des chevaux » peuvent bien faire dix-huit ou vingt lieues dans » un jour. Saint-Maximin (1) est une ville » de deux mille âmes, et il faut éviter ces criail»leries, ainsi vous me les laisserez, n'est-ce pas ? » -Les ordres furent donnés en conséquence, on se mit en route.

Nul accident ne troubla la marche depuis le lieu du départ jusqu'au village de Tourves; mais entre ce village et Brignoles, on rencontra une foule de peuple accourue des communes voisines, qui fit craindre le renouvellement des scènes d'Orgon. La frayeur de Buonaparte fut si grande qu'il ne put être rassuré par la présence d'un détachement de deux cents hommes qui l'attendoient sur la route, et qui lui donnèrent des marques d'attachement.

Arrivé à un quart de lieue de la ville, il s'arrêta une bonne heure, soit pour donner à la troupe

(1) Première ville où Buonaparte devoit passer.

qu'il avoit devancée le temps d'arriver, soit pour attendre le résultat des pourparlers qui eurent lieu entre le maire et un major autrichien, et dont l'objet étoit le maintien de la tranquillité publique.

Mais toutes ces précautions ne purent empêcher que le peuple ne se portât en foule sur la route, où il forma bientôt une double haie. Buonaparte la traversa au milieu des imprécations les plus amères, et qui ne furent interrompues que par les cris de Vive le Roi. Des courriers qui le précédoient traversèrent la ville en répandant le bruit qu'il avoit pris sa route par Aups, qu'il étoit arrivé la veille au Luc, et qu'il n'y avoit dans les voitures que les commissaires étrangers. Quoique le diner fût commandé, on ne s'arrêta point. On traversa la ville ventre à terre; douze gendarmes ouvroient la marche au grand galop.

Le passage de Buonaparte en rappela un bien différent, celui du Saint-Père, qui avoit eu lieu 7 février précédent.

le

les

Ce vénérable pontife, accueilli partout par vœux et les acclamations publiques, attiroit audevant de lui des communes entières qui se pressoient autour de sa voiture, malgré le colonel Lagorse qui repoussoit tout ce qui se présen

toit.

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